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« L’EVEIL DU PRINTEMPS » : UNE AFFAIRE D’EPOQUE ? – KEVIN POEZEVARA

 

 

l y a onze ans, après avoir découvert L’Éveil du printemps au Théâtre de La Colline j’ai utilisé une des répliques de la pièce comme titre pour mon mémoire de master recherche : « Si masqué soit-il, il est au moins cela ». A l’époque, deux de mes enseignants (Jacques André et François Richard) venaient de gentiment s’escrimer autour de la question « la psychanalyse d’adolescent existe-t-elle ? »[1] et je crois que je tentais, comme jeune clinicien qui travaillait déjà avec des adolescents, de me positionner dans ce débat. Simplement, je ne pouvais pas encore l’exprimer comme je le peux maintenant, après plus de dix ans passés au contact de Markos Zafiropoulos, soit en retournant la question pour passer de « la psychanalyse d’adolescents existe-t-elle ? » à « L’adolescent existe-t-il pour la psychanalyse ? »

Depuis que je me suis engagé à vous parler de L’Eveil du printemps, un ouvrage a été publié, intitulé Lacan avec Wedekind – une autre lecture de l’adolescence[2]. Il m’était dès lors difficile de proposer sur la question autre chose qu’une note de lecture dudit ouvrage… Qu’à cela ne tienne, ouvrons le pour lire à la première page de la préface, le jugement que Sidi Askofaré prononce à l’égard du commentaire qu’a donné, non pas Lacan d’abord, mais Freud de la pièce qui nous occupe : « Reconnaissons-le :ce commentaire à lui tout seul, de réduire l’œuvre de Wedekind à un “document valable d’histoire de la civilisation”, aurait peu contribué à lui donner la place qui est devenue la sienne dans la “bibliothèque idéale” du psychanalyste. »[3] Dans la bibliothèque idéale du psychanalyste, et à peu de choses près dans la bibliothèque du psychanalyste idéal… qui aux yeux de Sidi Askofaré ne doit sans doute pas faire partie du CIAP, puisque pour ces gens-là l’avis de Freud sur un texte qu’il considère comme un document valable d’histoire de la civilisation, ce n’est pas à qualifier de « réduction » et à balayer en à peine quatre lignes de préface. Surtout quand l’objectif est clairement d’opposer l’intérêt de la note de Freud à celui de celle de Lacan, alors que ce dernier, Lacan, s’y dit être « orthodoxe quant à Freud ».

D’ailleurs ça commence comme ça :

« Ainsi un dramaturge aborde en 1891 l’affaire de ce qu’est pour les garçons de faire l’amour avec les filles, marquant qu’ils n’y songeraient pas sans l’éveil de leurs rêves. Remarquable d’être mis en scène comme tel : soit pour s’y démontrer ne pas être pour tous satisfaisant, jusqu’à avouer que si ça rate, c’est pour chacun. Autant dire c’est du jamais vu. Mais orthodoxe quant à Freud j’entends : ce que Freud a dit. »[4]

Pour ce qui nous occupe aujourd’hui, le plus important dans ce passage c’est le « c’est du jamais vu », parce quand il y a du « jamais vu » chez un dramaturge cela génère, plus que ça ne les reflètent, des créations psychologiques. Une thèse que Lacan a soutenu « sans ambigüité » en 58, tout en se disant être, sur ce point, « dans la ligne de Freud ». 

Seize ans plus tard, Lacan est donc toujours « orthodoxe quant à Freud », même si cette expression est sans doute à prendre avec des pincettes, puisqu’on peut aussi y entendre (ce que Lacan nous invite d’ailleurs à faire : « j’entends : ce que Freud a dit »), à y entendre – au-delà de ce qu’on y lit – une première occurrence du néologisme du séminaire sur Le sinthome qui, deux ans plus tard, verra Joyce qualifié d’affreux sujet « a-Freud ». Ce qu’on pouvait donc déjà entendre dans cet « orthodoxe quant a-Freud » … Mais passons pour l’instant.

Donc pour Lacan, ce qu’avance Wedekind en1891, c’est du jamais vu et surtout du pas encore vu par Freud, puisque, comme il l’écrit, « le dramaturge [à cette date], anticipe Freud et largement. »

« Puisqu’on peut dire qu’à ladite date, Freud cogite encore l’inconscient, et que pour l’expérience qui en instaure le régime, il ne l’aura pas même à sa mort mise encore sur ses pieds. »[5]

Là Lacan fait un peu plus son affreux, et poursuit même en disant qu’il lui sera « resté de le faire avant que quelque autre » ne prenne la relève. Un autre qui – ajoute-t-il – ne sera peut-être pas plus juif qu’il ne l’est… Alors pourquoi cette précision ? Pourquoi précise-t-il que lui-même n’est pas juif au moment de se mettre en scène comme un des Pères destinés à laisser sa place dans la grande succession de l’orthodoxie psychanalytique ? Il y a une part de boutade, en réponse au fait que Lacan (il le confesse dans sa préface) ait d’abord supposé que Wedekind était juif. François Regnault, à qui l’on doit la traduction française de L’Éveil, explique comment il a corrigé ce qu’il appelle cette « invention » de Lacan, en lui disant que la biographie de Wedekind « montre qu’il n’a jamais été juif » mais qu’il a par contre, à un moment, rêvé, fantasmé, par identification à ces exclus de la société allemande, être lui-même juif. Donc Lacan lecteur de Wedekind a peut-être inventé qu’il était juif, mais vu que « commenter un texte c’est comme faire une analyse »[6], Lacan lecteur de Wedekind n’était donc pas tout à fait à côté de la plaque.

Au-delà de la boutade, la remarque est d’autant plus importante que Lacan insiste, quelques lignes plus loin : « Mais Wedekind c’est une dramaturgie. Quelle place lui donner ? Le fait que nos juifs (freudiens) s’y intéressent on en trouvera l’attestation dans ce programme ». Les Juifs encore, qui se sont donc regroupés chez Freud un mercredi pour commenter L’Éveil du printemps et qui, comme Lacan, se sont interrogés sur ce qui aura permis au dramaturge d’y voir si clair, bien avant eux. « Peut-être est-ce un signe des temps. Peut-être les temps sont-ils mûrs » pose Freud, et Reitler (qui pour le coup n’était pas juif) fait le rapprochement avec Jensen, et sa capacité remarquée par Freud de produire intuitivement sur le symptôme un discours profane en accord avec tant la clinique que la théorie. Si sur ce point Lacan insiste pour qualifier les freudiens de Juifs et Wedekind de simple hanovrien, cela tient je crois à la reprise d’une de ses vieilles questions – dont je pense on remerciera longtemps Markos Zafiropoulos de l’avoir mise en lumière –, qui date des Complexes familiaux, à l’époque où il soutenait qu’il fallait bien être un juif bourgeois de la Vienne fin XIXe pour réagir au supposé déclin de la famille patriarcale. Réagir comment ?  En tentant, comme l’écrit Roudinesco, grâce à l’invention de la psychanalyse, de « revaloriser symboliquement le père ».  Donc quand Lacan écrit en 74 : « Car j’en ai d’abord, il faut que je l’avoue, inféré que Wedekind était juif », l’aveu pourrait bien concerner sa plus lointaine erreur, lorsque, avant 53, il était encore durkheimien, et pensait là aussi que c’était une affaire d’époque, qui aura permis à un Juif viennois de repérer, au moment de sa supposée ruine, l’importance de la figure du père.

Pourquoi m’attarder là-dessus au lieu de vous proposer – ce qui serait bien plus aimable – une énième récitation de ce que raconte Wedekind ? Parce qu’à mon sens Lacan n’ouvre pas sa préface là-dessus par hasard, ce qui est d’autant plus sûr quand on voit qu’il y propose ensuite une sorte de point d’étape de là où il en est de sa théorie du père. Ce qui je l’espère pourra peut-être redorer quelque peu le blason de ce petit texte aux yeux de Markos Zafiropoulos, qui éprouve à son égard – je le sais – quelques réticences, dues au fait que Lacan le conclut en évoquant Robert Graves et sa Déesse Blanche. Et – comme Paul-Laurent Assoun le sait bien – le meilleur moyen de se disputer avec Markos Zafiropoulos reste de le lancer sur la question du statut du matriarcat[7].

La Préface à L’Éveil ne saurait être étudiée sans être rapprochée du séminaire intitulé par Lacan Les Non-dupes errent. Ce titre, il le cite directement dans la Préface, dont il est important de noter qu’elle a été écrite le 1er septembre 1974, soit comme une sorte de résumé post-estival des épisodes précédents, après l’arrêt dudit séminaire le 11 juin de la même année. Le séminaire s’était ouvert en novembre 73 sur la question de la passe : Lacan y disait que la valeur de la passe c’est qu’elle donne l’occasion de voir tout d’un coup avec un certain relief ce que l’on a pu faire jusqu’ici, et que le titre Les non-dupes errent exprime exactement ça pour ce qui le concerne. Pour ceux qui sont durs d’oreille, il signale en effet que ça sonne « strictement de la même manière que les Noms-du-Père », à savoir ce dont il a promis de ne jamais plus parler. En effet, revanchard comme on le sait à l’égard de ceux qui « au nom de Freud », dit-il » l’on fait suspendre (il y a donc une face morbide de l’orthodoxie quant à Freud), il dit continuer de leur refuser « le réconfort de ce qu’il aurait pu leur apporter », à savoir de les aider à identifier certains de ces “Noms-du-Père” qu’ils ignorent parce qu’ils les refoulent et qui aurait pu leur servir[8].

Eh bien le séminaire sur les Non-dupes errent passé, Lacan va finalement lever un coin du voile et révéler une part de ce qui aurait pu être dit dans celui sur les Noms-du-Père, et il fait ça dans sa préface à Wedekind, en disant lire dans la fin du drame ce qu’il a expressément refusé « à ceux qui ne s’autorisent que de parler d’entre les morts » (autre façon donc de désigner ceux qui l’ont excommunié au nom de Freud) : « Soit de leur dire [il finit donc par lever son silence] que parmi les Noms-du-Père, il y a celui de l’Homme masqué. » La suite a déjà été on ne peut plus commentée :

« Mais le Père en a tant et tant qu’il n’en a pas Un qui lui convienne, sinon le Nom de Nom de Nom. Pas de Nom qui soit son Nom-Propre, sinon le Nom comme ex-sistence. Soit le semblant par excellence. Et l’“Homme masqué” dit ça pas mal. »[9]

A propos de ce passage Alain Vanier a pu écrire, en conclusion d’un texte sur l’adolescence, qu’il témoigne de la poursuite du travail de Lacan, dans le sens de la « déconstruction du père »[10]. Donc malgré les clins d’œil à sa thèse désuète de l’invention de la psychanalyse comme réponse au supposé déclin de la figure paternelle, pas de marche en arrière de la part de Lacan qui plus que jamais ici pointe l’insignifiance nécessaire de ce signifiant, qui ne vaut que d’exister comme tel.

L’autre point, développé dans son séminaire, sur lequel Lacan revient à la faveur de cette préface, c’est la question de l’initiation. Et c’est heureux qu’il reprenne cette question au moment de commenter un texte qui parle des affres du passage adolescent. Il faudrait compter – je n’en ai pas eu le courage – le nombre de fois où Lacan insiste pour dire que ce qu’il y a à retenir de son séminaire cette année-là, il l’a posé dès la deuxième leçon en disant que le malheur, « c’est que de nos jours, il n’y a plus trace, absolument nulle part, d’initiation ». Deux semaines plus tard il revient à la charge et cette fois ne pose plus qu’il n’y a plus d’initiation mais dit cette fois qu’il « n’y a pas d’initiation », ce qui de son point de vue, revient à dire « qu’il n’y a pas de rapport sexuel » … Entre il n’y a plus et il n’y a pas, faut-il trancher ? Une semaine plus tard, il remet ça et précise :

« Dans mon deuxième séminaire, qu’on appelle ça, j’ai commencé par dire qu’il n’y a pas d’initiation [ce qui est faux, il a dit qu’il n’y avait plus d’initiation…]. Il n’y a pas d’initiation, je veux dire qu’il n’y a que le voile du sens, qu’il n’y a de sens que ce qui s’opercule, si je puis dire, d’un nuage. […] Il n’y a rien d’autre derrière que ce en quoi il faut s’en tenir, au support du semblant »[11].

Quand il dit qu’il n’y a plus ou qu’il n’y a pas d’initiation, le terme initiation ne désigne donc pas la même chose : d’un côté il désigne la pratique en elle-même, qui aurait donc disparu de l’organisation sociale, et de l’autre l’objet promis à ceux qui en passerait par la pratique initiatique elle-même. D’un côté la promesse, qui ne ferait plus florès (Lévi-Strauss a tout de même montré qu’il en existe quelques reliquats, ne serait-ce qu’avec le jeu de dupe annuel autour du Père-Noël[12]), et de l’autre, l’objet de cette promesse qui ne pouvait se révéler être autre chose, de toute manière, qu’une place vide, à moins de faire comme à l’époque des Mystères grecs et d’y dresser quelque phallus qui fera office de faire « sans-blanc ». Toute l’astuce est là : comme avec le Père-Noël, ce qui fait que l’initié en est un, c’est qu’il sait qu’il n’y a pas d’autre initiation que de savoir qu’il n’y a rien à savoir d’autre qu’il n’y a rien d’autre à savoir qu’il n’y a rien à savoir d’autre, etc., etc. Une mise en abyme qui n’est pas autre chose que ce que Lacan indique en parlant du « Nom de Nom de Nom », et à propos de laquelle le monde se diviserait entre d’une part les dupes et d’autre part les non-dupes. Non-dupes dont on peut cliniquement (voir politiquement) remarquer qu’ils se divisent eux-mêmes en deux factions :

  • Vous avez d’un côté ceux qui tiennent à vendre le pot-au-rose, qui beuglent “Dieu est mort !” (ils sont plutôt de gauche), malheureusement, comme Zarathoustra en a fait l’amère expérience, les gens du marché sont rarement enclins à leur tendre l’oreille,
  • et de l’autre côté, ceux qui tiennent à ce que le voile d’Isis reste bien occultant, et qui en bout de course finissent souvent par redevenir dupes de leur propre mascarade, à l’image de tous les conspirationnistes des romans d’Umberto Eco, ou bien du fameux Quesalid, rendu célèbre par Lévi-Strauss avec son texte « Le sorcier et sa magie », qui voulait mettre à jour la supercherie du chamanisme mais n’a réussi qu’à devenir chaman à son tour.

Cette mise en abyme, Wedekind la met admirablement en scène avec son Homme masqué, non pas seulement dans le rôle qu’il lui donne à la fin du drame, de « sauver Melchior des griffes de Moritz », mais dans la manière qu’il a de lui dédier sa fiction, dit Lacan, « tenue pour nom propre ». Wedekind dédie en effet sa pièce « à l’Homme masqué » et insiste en signant cette dédicace, non pas de son nom propre mais en écrivant simplement « l’auteur ».

« à l’homme masqué. L’auteur. »

Il faut savoir que l’auteur en question, Wedekind, jouait lors des premières représentations l’Homme masqué lui-même. Au-delà du fait que l’on ait pu affubler l’Homme masqué d’un masque de femme, c’est à mon sens, surtout dans ce petit jeu-là, où l’auteur se dédie à lui-même sa propre œuvre, que l’on touche à quelque chose de l’ordre de la perversion. Et plus précisément du fétichisme, qui n’est jamais absent des affaires de création de biens culturels. Enfants compris. Heureusement, quand il s’agit d’adolescence, le fétichisme est le plus souvent temporaire. Annie Birraux, dans son Eloge de la phobie, commençait en disant « Il n’y a pas d’adolescence sans phobie »[13]. Je crois que l’on peut dire qu’il n’y a pas d’adolescence sans dimension fétichiste. Ce qui je crois revient au même, mais on pourrait en débattre. Il n’y a pas d’adolescence sans flirt avec cette dimension de centration sur l’objet ou sur le corps. Sans ce jeu avec le registre du semblant.

Ce qui nous amène, pour finir, à la scène finale de la pièce : loin de la meute, Melchior se réfugie donc dans un cimetière. Au début de la scène il incarne ce rapport structurel à la marge, cette fonction psychique de l’errance qui agite toute véritable adolescence ; je vous renvoie à l’excellent De l’adolescence errante d’Olivier Douville. Melchior court le risque de mettre un pied dans cette zone de l’entre-deux et d’y rencontrer Moritz, ce suicidé de la société, ce non-dupe qui erre au « royaume des morts ». Et Moritz, en bon héraut de la jouissance et de la pulsion de mort, va tout faire pour tenter de séduire Melchior.

« Donne- moi la main ! Si tu me donnes la main, tu t’écrouleras de rire qu’à ressentir comment tu me la donnes… »[14] En psychiatrie on appelle ça un rire immotivé.

Moritz le mort, l’exclu, l’acéphale, tente de faire décompenser Melchior. Mais voilà qu’intervient, in extremis, L’Homme masqué. Zorro est arrivé ! En narratologie on appelle ça un Deus ex machina et c’est normalement une sorte d’aveu de faiblesse de la part de l’auteur. Sauf qu’ici ça fonctionne ! Pourquoi ? Car Wedekind, l’auteur, assume de révéler qu’il est l’homme derrière le masque. Nous sommes ici en présence d’une figure de style que l’on peut qualifier, à la suite de Genette, de métalepse. Soit, comme j’ai pu le montrer ailleurs, d’une sorte d’équivalent littéraire de la suppléance.

Le jeu ontologique provoqué par l’irruption de l’auteur dans sa propre œuvre provoque une mise en abyme, une fuite en avant métonymique, dont on ne peut sortir que par une injection de sens, une greffe symbolique. Comme l’ont bien montré les spécialistes de la linguistique et de la narratologie, John Pier en tête, la métalepse offre en effet une troisième voie à côté de la métonymie et de la métaphore, une voie combinatoire puisque la métalepse se présente en dernière analyse comme une métonymie à valeur de métaphore.

En attendant revenons à la scène : face à la figure mystérieuse de l’Homme masqué, dont Melchior réclame de connaitre l’identité, très vite la tentative de séduction de Moritz défaille et le non-dupe de reconnaitre que ce qu’il a à offrir ne fait pas le poids : « J’ai fait le fanfaron. Laisse-le s’occuper de toi, et sers-toi de lui. Si masqué soit-il, il est au moins cela ! » On peut faire l’hypothèse, je ne suis pas le premier à le faire, que c’est ici que Lacan prélève ce qui deviendra, deux ans plus tard, la fameuse formule du séminaire sur le sinthome : le fameux, « à condition de s’en servir ». En effet, quand on lit cette histoire de « fiction tenue pour nom propre », on se dit que Lacan, lecteur de Wedekind, avait déjà Joyce en tête.

Il est temps de conclure.

A part lorsqu’il dit, en 72, que ce que l’on évite mal, lorsque l’on a 14 ans, c’est « le savoir de la castration »[15], Lacan a peu disserté sur la question adolescente. Comme je l’ai dit, s’il aborde régulièrement la question de l’initiation dans son séminaire de 73, c’est d’abord à propos de la passe. A vrai dire, Lacan, dans sa préface à L’éveil du printemps, parle-t-il de l’adolescence ? Je ne crois pas. Le titre de la pièce rapproche le passage adolescent et celui des saisons, et comme l’a montré l’anthropologue Van Gennep, les rituels qui accompagnent ces temps liminaires sont structurés de la même façon. Comme je l’ai dit, Lacan profite de ce que met en scène la pièce de Wedekind pour revenir sur la question de l’initiation et en dernier lieu, je crois, non sur la question de l’adolescence mais sur la question de la formation des analystes et de la passe.  « Le savoir de la castration » c’est quelque chose que l’on évite mal à 14 ans, mais également que l’on évite mal dans une analyse qui mérite son nom. Et c’est cette conjonction qui, je crois, rend la question de la psychanalyse de l’adolescent si délicate.

J’ai commencé mon intervention sur la question « La psychanalyse d’adolescent existe-t-elle ? », je conclurai sur une autre : « L’adolescence est-elle “analysable” ? » Cette fois le titre est d’Octave Mannoni. Dans ce texte, Mannoni commente celui, fameux, que consacre Winnicott en 1962, à la question adolescente. Il reprend cette idée développée par Winnicott qui fait de l’invention du concept d’adolescence, le fruit de la disparition d’un certain rituel, celui du service militaire. On retrouve cette idée que l’on trouve chez Lacan, au moins sous la forme d’un lapsus, qu’Il n’y a plus d’initiation, nulle part… On apercevra, je l’espère, arrivé à la fin de mon intervention, ce que cette thèse (plus que reprise) a d’identique avec celle qui fait de l’invention de la psychanalyse le fruit d’un déclin de la figure paternelle… Heureusement, tant chez Winnicott, que chez Mannoni, il n’y a pas de pessimisme lié à l’idée du déclin du rite initiatique. Pour Winnicott, il en va même de la santé d’une société qu’elle soit en mesure de laisser du temps pour qu’advienne le processus adolescent. Le seul remède à l’adolescence : Le temps. Et le psychanalyste là-dedans peut être celui qui va aider à ce que le temps passe. A ce propos, Mannoni pousse même le curseur un peu plus loin, et s’accorde, ce sera ma thèse aujourd’hui, avec la proposition de Lacan, lorsqu’il rapproche le processus adolescent et le processus analytique. Pour lui, le temps de l’adolescence est une mue. Je le cite : « Les oiseaux qui muent sont malheureux. Les humains aussi muent, au moment de l’adolescence leurs plumes sont des plumes empruntées. »[16]

Il y a dans la crise d’adolescence quelque chose qui, structurellement, ressemble au processus analytique. Dans cet effeuillage identificatoire qui peut laisser l’homme nu. C’est d’ailleurs ce qui fait, comme le disait cette fois Maud Mannoni, que « l’adulte mis en cause par l’adolescent peut, avec quelques chances, en sortir “remanié” comme dans une analyse »[17].

« Dans une analyse d’adolescent, concluait Octave Mannoni, l’analyste n’arrivera pas à grand-chose s’il reste du côté de son savoir, lequel savoir fait partie du monde que l’adolescent conteste. Ce qu’il devrait obtenir, c’est qu’on puisse jouer le jeu de la contestation [quitte à jouer les hommes masqués] ce qui est le seul moyen de se retrouver dans un monde où on puisse s’accorder , mais cela reste fort obscur, car l’analyse n’est pas un jeu. Mais quand Winnicott dit que l’espace analytique c’est l’espace transitionnel, il dit l’essentiel. »[18]

 

[1] J. André, C. Chabert, La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ?. Paris, Puf, 2010.

[2] D. Bernard (dir.), Lacan avec Wedekindune autre lecture de l’adolescence. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019.

[3] S. Askofaré, « Préface », Lacan avec Wedekind – une autre lecture de l’adolescence, op. cit., p. 9.

[4] J. Lacan, Préface à L’Éveil du Printemps. Paris, Gallimard, 2009 (1974), p. 9.

[5] Ibid., p. 10.

[6] J. Lacan, Le séminaire Livre I, Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Paris, Le Seuil, 1975, p. 87.

[7] M. Zafiropoulos (dir.), La question féminine en débat, Paris, Puf, 2013.

[8] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXI, Les Non-dupes errent (1973-1974), 13 novembre 1973, inédit.

[9] J. Lacan, Préface à L’Éveil du Printemps. op. cit., p. 12.

[10] A. Vanier, « Un retour sur l’adolescence ». Adolescence, 2016, 342, p. 251-260.

[11] J. Lacan, Les Non-dupes errent, op. cit., leçon du 18 décembre 1973.

[12] Cl. Lévi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », Les Temps Modernes, no 77, mars 1952, p. 1572-1590.

[13] A. Birraux, Éloge de la phobie, Paris, Puf, 1994, p. 7.

[14] F. Wedekind, L’Éveil du Printemps, Paris, Gallimard, 1974, p. 92.

[15] J. Lacan, « Discours de conclusion au Congrès de l’École Freudienne de Paris sur La technique psychanalytique », Lettres de l’École freudienne, 1972, n°9, p. 513.

[16] O. Mannoni, « L’adolescence est-elle “analysable” ? », La Crise d’adolescence, Paris, Denoël, 1984, p. 35.

[17] M. Mannoni, La Crise d’adolescence, op. cit., 1984, p. 16.

[18] O. Mannoni, op. cit., p. 39-40.


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LACAN ET « LE ROI LEAR » – ALAIN VANIER

 

Un bref rappel, tout d’abord : Le Roi Lear commence avec la décision de celui-ci de renoncer à la direction de son royaume, à ses fonctions royales au profit de ses héritières, ses trois filles, Goneril, Regan, et Cordelia. Chacune doit pour cela l’assurer de son amour et recevra alors un tiers du royaume ainsi divisé, tiers conçu de telle façon qu’il ne puisse y avoir aucune jalousie, c’est-à-dire avec le projet de faire taire toute rivalité entre elles. Françoise Dolto voyait là une illusion majeure[1]. La justice n’étant pas de ce monde, disait-elle, si un enfant avait le sentiment d’être moins aimé qu’un frère, il fallait lui dire que c’était possible, mais que c’était comme ça et qu’on ne pouvait rien y faire. Ce rêve d’une justice absolue n’est-il pas celui d’une extinction du désir ? Le jouet désiré, entre divers semblables, est celui que l’autre possède, que son désir rend « vivant », qui figure une complétude imaginaire avec l’Autre. Lear veut un partage parfait, sans reste, au-delà du désir, bien qu’il ne soit pas sans savoir qu’un quelque chose en plus, un petit rien, intervient dans cette distribution.

En même temps, les trois filles du Roi Lear reçoivent un époux, un duc, sans prévalence de titre.

Les deux premières, Goneril et Regan, disent les mots qu’il faut pour s’assurer leur part d’héritage. Quant à la troisième, Cordelia, la plus jeune, qui est aussi la plus belle et la préférée du roi, elle ne peut rien dire d’autre que :

« J’aime Votre Majesté

Comme notre lien le veut ; ni plus, ni moins. » (I, 1, 86)

« I love your majesty

According to my bond ; no more nor less. »[2]

Cette phrase ne satisfait pas le roi. Lear a demandé quelque chose en plus, qui est ce qui va circuler dans toute la pièce et va mouvoir tous les protagonistes.

En fait, la réponse de Cordelia est précédée d’une précision : elle aura un tiers égal aux autres, mais avec un rien de plus, un tiers plus opulent, lui dit Lear (« a third more opulent than your sisters » I, 1, 80). Cette marque la laisse sans voix ; à la question de son père sur son amour, elle répond : « Rien », car elle est sûre que son « amour (…) pèse plus que (s)a langue », il la rend muette (I, 1, 72). C’est le rien de Cordelia qui déclenche tout, car ce rien est aussi son savoir sur la demande. « Rien ne vient de rien », « Nothing will come of nothing », si l’on veut bien distinguer ces deux « rien », est la formule de la pièce, du « rien » de Cordelia viendra le rien de l’anéantissement final.

Le roi la déshérite et partage le royaume en deux parts. Elle perd ainsi et sa part d’héritage et le duc qui lui était destiné ; mais gagne un roi étranger, celui de France, et disparaît ainsi, pour un temps, de l’histoire.

Lear, par ce contrat, avait demandé que les héritières se partagent la charge de l’entretenir ainsi que sa suite qu’il avait prévue conséquente, et d’assurer ainsi la conservation de son titre. Il perdait le pouvoir mais il restait le roi. Cette distinction est bien au-delà du partage médiéval entre l’autorité et le pouvoir, car il ne souhaite conserver de son rang que le signe.

La suite est connue : les sœurs trouvent que sa demande est excessive. Elles en viennent ainsi à diminuer son équipage, son train de vie, et la dépense qui lui est due. Il est peu à peu réduit à rien et devient « fou ». Dans ce chemin, dans cet enfoncement dans la nuit de la folie, il est accompagné par deux personnages, d’une part son fou qu’il ne cesse de réclamer, et d’autre part Kent, le duc de Kent qui apparaît déguisé, lui aussi banni, lui aussi désolidarisé du signifiant de son rang, de son origine.

Une autre intrigue se noue parallèlement qui concerne les enfants du duc de Gloucester. Edgar et Edmond, l’aîné légitime et l’enfant adultérin sont au cœur de cette phase de l’histoire. Il convient de relever que c’est la seule tragédie de Shakespeare à introduire une intrigue subordonnée, mais quasiment parallèle à la principale, la redoublant en quelque sorte. L’enfant adultérin du duc de Gloucester, Edmond, celui qui est véritablement le fils du désir paternel, conçu dans un déduit particulièrement réussi, ravivera la rivalité mortifère des deux sœurs aînées, Goneril et Regan. Elles s’entre-tueront. Cordelia viendra reconquérir le royaume et rétablir le roi, la bataille sera d’une certaine façon perdue, mais gagnée à un autre niveau, tout ceci se terminant par la mort de Cordelia et celle de Lear.

Freud trouvait tout à fait invraisemblable le thème du Roi Lear. Mais après tout, à partir de prémisses improbables, l’auteur a « le droit d’édifier un développement tout à fait fidèle à la vie »[3]. Mais il y reviendra en lui donnant un développement plus large. On peut lire, à un premier niveau, le Roi Lear comme deux sages leçons selon lesquelles on ne doit pas de son vivant renoncer à ses biens et à ses droits, ni prendre la flatterie pour argent comptant. Mais on peut aussi y repérer cette opposition entre un premier temps où Lear, semblant sain d’esprit, fait un acte déraisonnable, puis un deuxième où il n’est jamais aussi sensé que lorsqu’il paraît fou – « Reason in madness » (IV, 5, 161) – thème emprunté à Montaigne, en particulier à l’Apologie de Raymond Sebond (Essais, II, 12), dont l’influence est sensible dans la pièce.

La pièce se déroule en trois temps. Un premier temps d’exposition qui met en place ces prémisses que Freud qualifie d’improbables, un deuxième temps de folie, folie nocturne, hors tout repère, puis un troisième temps d’apaisement avec un retour à l’ordre, ordre perturbé au départ.

Le mouvement du Roi Lear est celui d’une régression. Elle devient inévitable dès l’instant où Lear, le père, le roi, n’assume plus sa place dans le Symbolique. Par ce renoncement à son titre et à sa fonction, il s’opère quelque chose qui est comme une éjection de ce registre, qui déclenche, qui engage le mouvement régressif autour duquel est construit l’action et ouvre à la sorte de folie qui traverse la partie centrale de la pièce. Comme Œdipe, semble-t-il, il renonce au service des biens, aux devoirs royaux. Mais en fait il ne renonce à rien, dans un premier temps, car il veut une « vie de fête avec cinquante chevaliers, la rigolade jusqu’au terme »[4].

Un roi, c’est quelqu’un qui dans un groupe social constitué comme un ensemble fini, un royaume, a pour fonction d’assurer la cohésion du groupe social, c’est-à-dire la clôture symbolique du groupe. C’est une figure de ce Un d’exception toujours nécessaire pour que le groupe puisse tenir. Une jouissance sans limite lui est imaginairement prêtée, mais il doit en connaître la limite, puisqu’il est à la fois celui qui se trouve au-delà et celui qui l’incarne. Car c’est un privilège mais c’est aussi une charge. Ce que Lear veut, c’est renoncer à la charge et garder le privilège. Il est dès lors non plus le roi dans sa figure symbolique, mais le roi dans ses atours purement imaginaires, le despote, his majesty the baby, le roi imaginaire d’un royaume d’enfance. Ainsi la scène du début où Lear revient de la chasse, alors qu’il est l’hôte de sa première fille, apparaît comme une réunion d’enfants, un enfant avec ses compagnons de jeu.

À ce moment-là, ce qui lui reste comme fonction royale va lui être retiré. Un serviteur de sa fille le bouscule, ne le reconnaît plus et lui signifie qu’il n’a plus droit aux honneurs qui lui étaient dus jusque-là. Quand Lear lui demande : « Qui suis-je ? » question clé du mouvement de la pièce, le serviteur au lieu de répondre le roi, répond « le père de madame » (I, 4).

On remarquera que la scène est ponctuée, à chaque fois que défaille quelque chose de ce qui soutient son identité, par les appels que Lear profère à l’égard de son fou. Et c’est Kent qui surgit, qu’il ne reconnaît pas, Kent banni, qui apparaît comme le témoin, le corrélat de sa place symbolique, telle qu’elle a disparu. Ce que Kent lui dit et que le roi n’entend pas, c’est qu’il veut le servir, c’est-à-dire le rétablir, car il a l’autorité d’un roi. Or, tous les bons personnages ont un trait commun, la fidélité, ce qui ne leur réussira pas. Ce que Lacan commentera : « au niveau de Lear, mais au niveau de tous ceux qui sont des gens biens dans la pièce, que nous voyons l’absolue condamnation au malheur de tous ceux qui se fondent sur la seule fidélité et sur le pacte d’honneur ».

« Who am I, sir ? » et la réponse « my lady’s father », le père de madame, apparaît comme un renversement dans la logique symbolique de la filiation. Il tient son identité de sa fille. La vérité vient de la bouche du fou, qui dira que la folie de Lear est d’avoir fait de ses filles ses mères.

Le roi Lear peut ainsi se lire à un premier niveau comme un drame de la fonction paternelle et de la transmission. Lorsque ce qui fonde le repérage et l’ordre symbolique du monde défaille, il n’y a plus d’élément qui permette de repérer l’identité. Le fou peut ainsi le manifester, lui qui en permanence dit au roi : « tu es moi et moi je suis toi ». C’est la réversion imaginaire. Les références à cette folie dans la filiation émaillent tout le texte, puisque le roi appelle régulièrement son fou mon neveu.

En 1913, Freud fait référence au Roi Lear dans « Le motif du choix des coffrets »[5] (1913f). Si ce texte peut se lire comme écrit par un devin, guidé par un sens qui serait de l’ordre de l’inspiration poétique, Freud, pour autant, comme le soulignera Lacan, n’est jamais dans la référence à un ineffable, au contraire il est, jusqu’au point le plus obscur, à la recherche du sens.

Ce motif du choix des coffrets est l’étude d’un thème. Il apparaît comme l’analyse structurale d’un mythe au sens de Lévi-Strauss. Freud remarque qu’un thème constant qu’il isole d’abord dans Shakespeare – dans Le Marchand de Venise – mais aussi dans de nombreuses autres figures littéraires ou folkloriques, apparaît comme récurrent : un homme est amené à choisir entre trois femmes. C’est une structure mythologique, mais ce n’est pas un archétype. Freud l’analyse comme ayant la valeur d’un mythe. Il le retrouve aussi bien dans Cendrillon, dans le choix que Pâris doit faire entre les trois déesses, prélude à la Guerre de Troie, etc.

Le silence de Cordelia, ce qu’elle ne peut pas dire, est le véritable amour. À la limite, son silence est le gage d’authenticité de son amour. Elle ne répond pas à la demande de son père et par son silence, manifeste la vérité mortelle de celle-ci. L’amour rend muet, il est au-delà des mots, il manque à se dire, ou plutôt il manque à dire ce qu’il y a de désir en lui. Cela, Lear le méconnaît. Pour Freud, ce drame est celui de l’homme confronté à la mort, qui est l’une des faces de l’amour. Il note que c’est toujours la troisième, Cendrillon, Cordelia, Vénus, qui est choisie. C’est toujours la troisième qui est d’une part la plus belle et d’autre part muette. Cordelia « aime et se tait ».

Mais Cordelia est celle qui à défaut d’avoir un duc aura un roi, le roi de France, c’est-à-dire la seule qui pourra soutenir les emblèmes de la fonction qu’occupait son père. Les choses se calmeront, quand elles rentreront dans l’ordre, quand il retrouvera ses coordonnées symboliques, c’est-à-dire lorsque sa troisième fille venue faire la guerre le rétablira dans sa fonction. Elle l’honorera, le traitant à nouveau en roi. À ce moment-là, il retrouve sa place et le signifiant qui la subsume, mais aussi la mort.

Pour Freud, le mythe se décompose ainsi : tout d’abord, un homme doit faire un choix entre trois femmes ; deuxième séquence, il choisit toujours celle qui est muette ; enfin, cette caractéristique est, dans les rêves, une représentation usuelle de la mort.

Le silence est, à un premier niveau, du registre mortifère de l’imaginaire. Cette femme muette est d’une part la plus belle, celle qui capte le regard, celle qui emplit le voir, et d’autre part celle qui se tait, là où défaille toute parole. La beauté est forme de la vérité et résonne toujours pour nous en rapport avec la mort.

Cette mort a donc à voir avec le regard. C’est la dimension captivante de cette image saisie dans le miroir, de ce maître absolu qu’est la mort, captation de cette image pour laquelle on est aimé, sans savoir pourquoi. En même temps, de cette image, le sujet est dépossédé par l’amour même auquel il est assujetti. Pour assumer cette image, il faut le signifiant, mais c’est lui qui, en même temps, nous la confère et nous en dépossède. « Avant d’avoir à jouir, l’être humain est aimé : sa servitude, l’amour, c’est ce qui répond à la demande d’amour »[6], celle que Lear fait à ses filles, et à Cordelia en particulier.

Freud repère l’origine du mythe dans une figuration ancienne qui est celle des Parques, des Moires ou des Nornes suivant les différentes traditions. Et si la troisième des sœurs est la déesse de la mort, elle s’appelle Atropos, ce qui veut dire l’inexorable, qui associe le a privatif à tropos qui veut dire tourner, mouvoir, fléchir. Cette figure ternaire est une figure unique, car, à l’origine, les Moires n’étaient pas trois. Une déesse unique, Moïra, personnifiait le destin en tant qu’inéluctable.

Ces Parques sont les gardiennes de la loi naturelle et de l’ordre sacré qui fait que dans la nature « le même revient toujours selon un ordre immuable ». Ce retour, Lacan l’identifiera comme une des figures du Réel, ainsi le retour des astres à la même place pour les Anciens. Ce conflit de la Nature et de la coutume est évoqué dès le début du roi Lear par Edmond, fils naturel de Gloucester (I, 2). Mais la culture qui semble s’opposer à l’accomplissement du désir est aussi son fondement.

Ces déesses incarnent le réel de la mort, la séparation. Freud avance un paradoxe : le choix entre ces femmes est libre, mais tombe, à chaque fois, sur la mort que personne n’a choisie. Le sujet en est victime parce qu’il y a une substitution qui remplace la mort par l’amour, vice-versa. Les trois coffrets sont, en effet, le lieu d’une confusion entre désir et demande. Si le phallus est l’objet de la demande, dans le coffret, c’est « un phallus mort, car l’objet est mort »[7]. Dans le coffret, ce n’est pas l’objet correspondant à la demande qui s’y trouve, mais c’est l’objet du désir[8]. Or, c’est une demande d’amour que fait Lear, car il « croit qu’il est fait pour être aimé, ce vieux crétin »[9]. Cette demande est aussi question sur le désir de l’Autre que le sujet pose en toute méconnaissance, car ce à quoi il se refuse, c’est à la castration, comme condition du désir. Le paradoxe de la demande est de viser le désir tout en s’y refusant.

Ce lien entre amour et mort est rencontré dans le miroir, dans la perfection mortifère de cette image narcissique, pour laquelle le sujet se pense aimé, image qui lui est extérieure, étrangère, qui ne peut signifier pour le sujet que sa propre mort.

Ce mouvement est donc pour Freud une régression. Elle renvoie à l’archaïque. D’une part, celui du mythe, car, à l’origine, les déesses de la fécondité, de l’amour et de la mort étaient les mêmes, mais aussi à cette identité archaïque de la préhistoire du sujet.

Lear est en quelque sorte un rebelle, il refuse de se soumettre à la loi de la mort, à la castration. Pour Freud, c’est une inversion du désir, puisque le choix apparent et forcé, celui de Cordelia, Lear s’y refuse. Le choix est une illusion, puisque le sujet ne peut choisir que celle qui, évidemment, est la plus belle et la préférée.

Le personnage de Kent soutient cet ordre d’un bout à l’autre de la pièce, il en est le témoin et le vestige déguisé. Et c’est lui qui accompagnera Lear à la mort en disant : « Ne cherchez pas à le ranimer, véritablement il va là où il a à aller » (V, 3).

Freud nous indique qu’on ne peut pas voir triomphe plus éclatant de l’accomplissement du désir. On choisit là où, en réalité, on obéit à la contrainte, à la contrainte du désir. Lear n’assume pas ce désir qu’il rencontre, qui, en dernier lieu, est un désir pour la mort. Il n’assume pas ce choix bien qu’il l’ait déjà fait dans son esprit. Lear n’est pas qu’un vieillard mais, pour Freud, littéralement un moribond. Les prémisses ne sont alors pas incroyables et le partage du royaume peut se comprendre.

Mais le mouvement s’inverse car, si Lear peut renoncer aux biens de ce monde, il ne veut pas renoncer à l’amour de la femme, au désir le plus archaïque, celui d’être aimé. Dès lors, cette mise à mal de l’ordre symbolique, ce choix qui « arracha la structure de mon être à ses fondements » (I, 4, 221), est aussi mise à mal du désir comme défense face à la jouissance. Le désir suppose la fonction phallique comme canalisant la jouissance. Dès l’instant où celle-ci n’opère plus, c’est une autre jouissance sans limite qui entre en scène. À la « rigolade » du début succède la destruction, qui gagne et ravage tous les personnages, et les mène à la mort. À mesure que l’action progresse c’est le thème du regard qui devient prévalent, comme la cécité de Gloucester qui lui permet de voir la vérité, « Quand je voyais, j’ai trébuché » (IV, 1, 19). L’objet a ne prend son statut que de l’angoisse de castration, de sa phallicisation qui est aussi séparation. Faute de cette indexation, c’est sa face de rebut réel, sa dimension d’horreur qui émerge. La jouissance du regard est aveuglement.

Lacan voyait dans le roi Lear une version dérisoire du tragique d’Œdipe, écart qui peut se concevoir comme effet d’époques distinctes. « Est-ce que, pour me faire comprendre, il faut que j’évoque une autre figure tragique, sans doute plus proche de nous, c’est à savoir le Roi Lear ? » . Mais :

 

 

« Cette topologie qui est la topologie tragique en l’occasion, je vous en ai montré l’envers et la dérision, parce qu’elle est illusoire, parce que ce pauvre Lear n’y comprend rien, et fait retentir, pour avoir voulu entrer, lui, d’une façon bénéfique avec l’accord de tous, dans cette même région, l’océan et le monde, pour nous apparaître toujours n’ayant rien compris, tenant morte dans ses bras l’objet, bien entendu méconnu par lui, de son amour. » [10]

Le dérisoire de Lear est de la nôtre, de ce que Lacan repérait comme affaiblissement de l’imago paternelle dans notre culture et qui se présentera chez Claudel comme père humilié. Mais Œdipe comme Lear sont amenés à un franchissement, qui les conduit dans « cette zone, voie dérisoire de Lear, voie tragique d’Œdipe, [où quiconque] s’y avancera seul et trahi »[11].

À la rencontre du chariot du temps, Lear se rebelle. À la fin du parcours, il devra renoncer à l’amour et choisir la mort. Sa folie est sa lucidité, comme écrivait Montaigne : « Qui ne sçait combien est imperceptible le voisinage d’entre la folie avecq les gaillardes elevations d’un esprit libre », elle est assomption de la limite nécessaire à la jouissance, sans quoi il n’y a que mort. « Ils me disaient que j’étais tout ; c’est un mensonge. Je ne suis pas à l’abri d’une fièvre » (IV, 5, 99).

Ces figures de la mort sont des figures de femmes, de ce désir sans limite, « ô étendue incommensurable du désir d’une femme ! » (IV, 5, 257). Ces trois figures de la femme accompagnent toute vie. La première est la génitrice ; la deuxième, la compagne ; et enfin la troisième est destructrice et mort. On se souviendra de ce tableau de Hans Baldung Grien intitulé Les Trois Âges de la Femme et la Mort que l’on peut voir au Prado, et qui reprend un thème fréquent dans la peinture de cette époque. Il représente ces trois âges sous la forme de trois femmes, trois femmes plus un, le bébé, le nourrisson, son objet ; une femme peut-être enceinte, une vieillarde et enfin un cadavre. Le nourrisson rencontre ces trois personnages, la génitrice, la compagne et la destructrice. Ces trois femmes, rappelle Freud, sont peut-être aussi celles par lesquelles passe pour un sujet l’image de la mère au cours de la vie.

 

 

 

 

« La mère elle-même, l’amante qu’il choisit à l’image de la première ; et pour terminer la terre-mère qui l’accueille à nouveau en son sein. Mais c’est en vain que le vieil homme cherche à ressaisir l’amour de la femme, tel qu’il l’a reçu d’abord de la mère ; c’est seulement la troisième des femmes du destin, la silencieuse déesse de la mort qui le prendra dans ses bras » (Freud, 1913f)[12].

Voir et regarder. Tentative dérisoire de Lear de ressaisir ce point d’où il est et se veut regardé à travers la captation de l’image qu’il voit. Dans la quête de cet objet, Lear le devient, mais déphallicisé, réduit à son être de déchet, à ce rien qui a engagé l’action (cf. IV, 6). Or, ce point a aussi un lien mystérieux avec la féminité, avec le champ de l’Autre où il s’inscrit. Si la coupure des deux instaure le temps inéluctable qui le rattrape, la confusion des deux est précisément la mort elle-même, c’est-à-dire l’anticipation de la fin.

[1] F. Dolto, « Conflits entre les enfants d’une même famille », Les étapes majeures de l’enfance, Paris, Gallimard, 1994 (1946), p. 83.

[2] Les citations proviennent de deux éditions bilingues, qui ne se réfèrent pas exactement au même texte anglais, puisque l’établissement de celui-ci a posé de nombreux problèmes : W. Shakespeare, La Tragédie du roi Lear, trad. J. Derocquigny, Paris, Les Belles Lettres, 1931, et W. Shakespeare, Le roi Lear, trad. G. Monsarrat, Paris, Robert Laffont, 1995.

[3] S. Freud, Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, Paris,  Gallimard, 1986 (1907a), p. 183.

[4] J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), Paris, Seuil, 1986.

[5] S. Freud, « Le motif du choix des coffrets », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985 (1913f).

[6] J. Lacan, De ce que j’enseigne, conférence à L’Évolution psychiatrique (23-01-1962), 1962, Inédit.

[7] J. Lacan, op. cit., 1962.

[8] J. Lacan, Le Séminaire, Livre IX, L’Identification (1961-1962), inédit.

[9] J. Lacan, op. cit., (1959-1960).

[10] J. Lacan, op. cit., (1959-1960), 29 juin 1960.

[11] J. Lacan, op. cit., (1959-1960).

[12] S. Freud, op. cit.,1913f.


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LES TRAGEDIES ET LA QUESTION FEMININE CHEZ LACAN (LES LEÇONS D’ANTIGONE) – MARKOS ZAFIROPOULOS

 

Pour ce dossier concernant les sources littéraires de Lacan nous avons choisi de nous focaliser sur l’usage que fait Lacan des héros tragiques pour des tas de raisons, mais notamment parce qu’à l’époque de ce que j’appelle ses mythologiques (1957-1962)[1], Lacan mobilise les caractères tragiques (notamment Œdipe et Antigone) pour mettre au jour ce qui dans l’acte héroïque et résolutif du drame, frappe les trois coups d’une modification subjective, conduisant à la chute de la tragédie. Et ceci de manière strictement homologue à ce qu’il en est de l’acte ouvrant à l’issue de l’expérience psychanalytique qui accouche in fine d’un psychanalyste. C’est pour le dire plus directement de rien moins ici que de la question de la passe qu’il s’agit, car c’est bien elle (la passe) qui motive – au moins de mon point de vue –, la recherche de Lacan s’engageant dans l’analyse des mythes ou des grands textes de la culture occidentale. En effet Lacans’engage dans cette recherche sur laquelle j’insiste dans les deux derniers volumes de mes Mythologiques[2], non pas pour quelque intérêt littéraire ou mondain qui aurait pu le conduire à rendre compte à son tour des tragédies au motif d’un savoir supplémentaire sur quelque complexe découvert par l’expérience freudienne, mais tout au contraire, il le fait parce que le sujet occidental, sa structure inconsciente comme son évolution, se déduisent, selon lui, de l’émergence de ces grands textes et de leurs évolutions historiques.

 

D’où le fait que la chute ou l’issue, voire quelques points d’inflexion des grands textes, soient homologues, à ce qui se répète dans l’expérience même d’une cure menée jusqu’à son terme. Et d’où aussi cette citation rappelée en tête de mon premier volume intitulé La prison de verre du fantasme : « Je soutiens et, je soutiendrai sans ambiguïté et, ce faisant, je pense être dans la ligne de Freud – que les créations poétiques engendrent, plus qu’elles ne les reflètent les créations psychologiques. »[3]

Alors si Lacan est bien ici dans la ligne de Freud, il me paraît devoir être situé plus précisément à l’envers de cette ligne, car il met l’accent non pas sur l’analyse des complexes au ressort de tragédies (comme le voulait Freud), mais sur cette idée proprement bouleversante, selon laquelle les mythes ou les tragédies engendrent les créations subjectives qui constituent l’objet même de la psychanalyse. Et c’est donc par l’analyse du développement de ces mythologies que Lacan rend compte du processus d’engendrement du monde inconscient du sujet occidental (et de son histoire).

Loin de répondre aux exigences d’une sorte de contrainte externe au champ psychanalytique, c’est bien donc une exigence épistémologique interne à l’expérience freudienne elle-même qui motive notre Lacan mythologue. Pas moyen de faire l’impasse sur l’analyse de la mythologie en Occident pour saisir le mode de structuration du sujet de l’inconscient occidental (et son évolution), puisqu’il s’agit de l’objet même de l’expérience psychanalytique, et qu’il lui faut, relève-t-il, pallier le défaut dans lequel nous laisse, du point de vue de l’nalyse des mythes, l’œuvre de Lévi-Strauss. Œuvre largement consacrée aux mythes amérindiens et pas (ou peu) à la mythologie occidentale. C’est donc ce défaut qui motive aussi sa recherche. Mais c’est bien en louchant une nouvelle fois sur l’œuvre de Lévi-Strauss que Lacan opère alors dans une logique proprement structuraliste, pour notamment mettre au jour – lors d’une brillantissime étude comparative entre les textes Œdipe Roi et Hamlet –, tout ce qui oppose le caractère tragique d’Œdipe décidé dans son acte, et les embarras du prince de Danemark reportant sans cesse l’acte résolutoire de meurtre par lequel la loi, l’ordre et la décence sont appelés à revenir dans la cité, via l’acte du fils, perpétré au nom du père. Sur ce point Lacan oppose clairement l’indécision d’Hamlet dont il fait le paradigme de l’homme moderne, à l’acte droit du héros antique (Œdipe).

Et pourquoi donc cette dysharmonie historique ?

Parce que, selon Lacan, d’Œdipe à Hamlet vingt-deux siècles ont passé et que la révélation chrétienne en a fini avec le polythéisme des dieux grecs, laissant l’homme moderne à un monde où la mort des dieux laisse le fils de la mythologie occidentale aux affres de la névrose qu’il juge donc ipso facto comme historiquement déterminé dans son existence même : « Le désir du névrosé, dirai-je, est ce qui naît quand il n’y a pas de Dieu »[4].

Cette formule est un peu résumative indique Lacan, mais pour y insister rapidement je souligne ici que c’est bien du fait de l’éloignement du divin dans la mythologie occidentale que la relation au père se serait de son point de vue quelque peu dégradée, et que dès lors, le fils de la modernité chrétienne rechignerait à l’acte résolutif. Acte résolutif de castration perpétré au nom du père et que le fils de la modernité est beaucoup moins prompt à réaliser que le fils de l’Antiquité (le roi de Thèbes) qui d’un seul coup d’un seul, aveugle sa propre face, à la différence d’Hamlet qui rechigne à endommager l’être phallique qu’il se plaît à incarner aux yeux de sa Gertrude de mère. Bref, l’homme moderne recule face à la castration ou mieux dit face à son automutilation. Et dans cette marche vers la castration, l’homme moderne exige selon Lacan une sorte de rançon que le psychanalyste appelle objet (a). Objet d’abord défini comme une image moi idéale typique du sujet. Image [i(a)] organisant le caractère indestructible du fils mais qui se referme aussi sur lui comme ce que j’ai appelé dans mes Mythologiques la prison de verre du fantasme organisant sa névrose. Au désir décidé du héros antique succède donc historiquement, selon Lacan, l’impuissance de l’homme moderne arrêté par la viscosité de son fantasme. Dispositif du fantasme dans lequel il trône, disons-le rapidement, comme le phallus de sa mère. Dispositif qui l’enferme mais qu’il a pourtant maçonné de ses propres mains.Dès lors on comprend notamment que Lacan n’a jamais eu l’idée folle de diagnostiquer la fin de l’Œdipe, mais qu’il cherche à analyser les déboîtements de la mythologie occidentale qui, sur la longue durée (plus de vingt siècles d’Œdipe à Hamlet), ont vu émerger en Occident cette sorte de sujet embastillé dans des murs de verre qu’il revient à l’expérience analytique d’abattre pour obtenir cette sorte d’issue favorable par laquelle l’homme moderne émergerait enfin à la vie libre hors de son fantasme.

Tout ceci vaut d’abord pour le garçon. Pour les filles c’est un peu différent puisque, quoi qu’on veuille, l’œdipe des filles n’est pas tout à fait celui des garçons. Et disons, pour aller vite, que si les tragédies sophocléennes (Œdipe Roi et Œdipe à Colone) ou shakespearienne (Hamlet) sont au principe de la structuration inconsciente des fils de l’Occident (et de son évolution) via l’émergence historiquement déterminée du fantasme, c’est le caractère d’Antigone que Lacan choisit d’étudier – toujours sous l’œil averti de Lévi-Strauss auquel il demande aide et confirmation –, pour mettre au jour le processus de production de l’inconscient au féminin. Inconscient informant plus généralement ce que j’ai appelé La question féminine de Freud à Lacan [5] dans mon ouvrage éponyme avec son sous-titre : « la femme contre la mère ». Tout est dit. Depuis ce texte je mets donc l’accent sur une répartition des genres qui me semble vraiment très éclairante pour l’analyse clinique du cas mais aussi pour l’analyse du collectif, en distribuant grossièrement les ressorts du féminin du côté de l’être, tandis que j’assigne ceux du masculin du côté des avoirs.

Être ou avoir il faut choisir pourrait donc d’abord affirmer Lacan face aux louables efforts de ceux qui tâtonnent vers une sorte de bouleversement des  paradigmes de la psychanalyse, en rejoignant notamment la démarche du  philosophe queer Paul B. Preciado[6] cherchant à  faire émerger du fluide, et de l’au-delà à l’idéal du binaire. Nonobstant, à cette première répartition (être et avoir côté fille versus garçon) j’ai capitonné une autre disjonction (elle aussi établie par Lacan comme analyste du féminin) et qui distribue dans l’univers – disons donc du féminin –, le désir qu’il classe côté être (être l’objet du désir). Désir qu’il revient à la femme comme femme d’incarner et qui s’oppose de manière strictement antagoniste avec ce que Lacan appelle la satisfaction fétichiste de la mère que je classe donc logiquement du côté des avoirs. Le féminin est pas-tout, comme on le répète beaucoup et à juste titre, en se précipitant volontiers vers les tableaux de la sexuation[7] sans toujours bien apercevoir la sorte de genèse clinique de ce pas-tout qui pourrait bien tenir ses racines historiques de notre Lacan mythologue.

Le féminin est pas-tout, car la jouissance de la mère ou sa « satisfaction instinctuelle » (dit Lacan) trouve à se réaliser par la production d’un avoir de plus. Un enfant offert au mâle ou à la culture. Et du coup, l’émergence de la mère dans le féminin détourne la fille du registre de l’être pour la conduire par la maternité dans celui des avoirs. Et – clinique du social – cette transsubstantiation de la fille vers la mère se fait depuis toujours (mais il arrive que ce soit maintenant un peu différent) par la voie de l’alliance par laquelle (je force le trait) un mâle prend une vierge pour en faire une épouse. Une épouse et une mère dès lors fixée dans cette sorte de domestication où la mère-épouse va s’affairer par des tas de moyens à reproduire de manière élargie les avoirs de la maison (dont les enfants). Maison où prime toujours peu ou prou la domination masculine. D’où mon idée soutenant que la mère est au service de la domination masculine. Côté féminin on voit qu’en opposition à l’idéal peut-être le plus abouti de la femme comme femme  – à savoir celui de la vierge qui est à situer du côté du rien et donc de l’incarnation de l’être du désir, voire comme la cause même du désir située en place du rien depuis Platon –, l’épouse et la mère reconduisent la domestication des filles et la logique des avoirs, où règne la domination masculine via les règles de l’alliance où les sociétés se constituent en accouchant chacune à leur tour des règles du droit. Droit qui est un opérateur de régulation de la jouissance des biens ou des avoirs. Autrement dit et au plan très général, l’alliance qui se fait entre la jouissance de l’épouse, la mère et le mâle reconduit la domination non pas seulement des mâles mais la domination des avoirs, qui va contre la part qu’une société laisse non pas ou pas seulement aux filles mais plus généralement à l’être, et donc à l’être-rien comme cause du désir qui exclut logiquement le champ des avoirs. Alors dans notre actualité, et faute peut-être d’avoir correctement saisi cette dialectique entre la jouissance des biens et l’être du désir, il y a comme une guerre des sexes (hommes/femmes) qui atteindra peut-être une sorte de point de rupture lorsque les mères-épouses objecteront à leur domestication de manière plus ou moins radicale ou, pour rester dans l’ambiance des mythologiques, lorsqu’elles opteront massivement pour la stratégie de Médée. Médée d’abord décomplétée par sa maternité grâce aux bonnes œuvres du dénommé Jason et qui retrouve sa position de femme (comme femme) après son infanticide qui met un terme à sa maternité ou à son alliance avec les avoirs du traître. Cet acte par lequel Médée s’arrache à son époux, à la maternité et aux avoirs la qualifie du point de vue de Lacan comme la vraie femme dans son entièreté de femme, où l’on constate au passage d’ailleurs que l’infanticide de la mère est aussi un cas de matricide. Pour la guerre des sexes disons qu’il y a encore peu de chances d’apercevoir une épidémie de Médée véritablement déferlante, tant la jouissance de la mère reste puissante – ce que l’on aperçoit bien dans les analyses de femme devenues mères[8]. Mais disons aussi pour alléger l’atmosphère qu’après tout, et pour ce qu’il en est du désir et donc du rien, rien justement n’est jamais perdu tout à fait puisqu’une fille domestiquée au profit de la domination masculine ou de la domination des biens, une fille devenue mère peut toujours, comme on le voit avec Médée, faire le chemin inverse et se reconstituer – mais au prix de l’holocauste des biens de la maison – comme femme en tant que femme. C’est-à-dire que toute femme devenue mère peut toujours se reconstituer dans le registre de l’être où, libérée des biens, elle peut de nouveau venir occuper la place du rien causant dès lors de nouveau le désir. Elle redevient alors une vraie femme dans son entièreté de femme. Rien n’est donc jamais perdu pour la femme comme femme.

Au total j’indique donc que les trois tragédies (Œdipe roi, Œdipe à Colone et Antigone) que je mets en série dans le second volume de mes Mythologiques intitulé Œdipe assassiné ? traitent au moins pour une large part de cette délicate question de la distribution entre l’être et l’avoir. Ou de l’antipathie structurale de ces catégories qui permettent au mieux de situer la reconduction de la jouissance des biens de la cité des mâles, des mères et des épouses contre la place à faire au registre de l’être qu’il revient aux femmes (comme femmes) d’incarner.

Antigone de ce point de vue a fait un choix clair et sacrificiel quant aux biens. Un choix pour l’être et la virginité dédaignant le choix pour la mère-épouse qu’elle aurait pu devenir. Elle quitte les ors de Thèbes pour d’abord devenir le seul soutien de son Œdipe de père (et de frère) dont l’errance le conduit vers Colone. De Thèbes à Colone c’est la passe d’Œdipe qui s’écrit. Mais pour Antigone c’est très exactement ce choix pour le rien qui l’oppose au roi de la cité, le dénommé Créon à qui elle s’oppose dans la tragédie éponyme, au motif qu’elle ne peut en aucun cas laisser sans sépulture son frère Polynice alors que le Polynice en question a tout de même résolument trahi sa propre cité (celle de Thèbes) contre laquelle il a levé une armée ; raison pour laquelle Créon le roi de Thèbes ordonne de laisser son cadavre au dehors de la cité et donc livré aux chiens et aux oiseaux.

De ce point de vue, Créon – souvent simplement présenté comme le roi des cons – est le roi qui fait valoir le service des biens et du bien de la cité. De ce point de vue il est tout à fait dans son rôle, mais Antigone, elle, elle refuse au nom de la particularité sacrée de son frère. Son axiome éthique est très simple. Mon frère est mon frère et quoi qu’il ait pu faire contre la cité, il y a un au-delà du bien de la cité et de ses règles, c’est l’empire de la loi des dieux d’en bas qui réclament que tout être nommé doit au moment du trépas les rejoindre dans les entrailles de la terre.

Que dire de ce point de vue ?

Eh bien que Créon est – il faut le reconnaître – parfaitement irréprochable puisqu’il fait en toute chose prévaloir les droits de la cité. Et il rappelle par exemple à son fils Hémon l’importance de la discipline qu’il veut voir régner dans la cité dont il est le roi, comme dans sa propre maison. Créon plaide au nom du père de famille :

« Oui voilà bien mon fils la règle à garder au fond de ton cœur : se tenir là toujours derrière la volonté paternelle. C’est pour cela justement que les hommes souhaitent avoir à leur foyer des fils dociles sortis d’eux (…) l’homme qui se comporte comme il le doit avec les siens se montrera également l’homme qu’il faut dans la cité (…) il n’est pas en revanche fléau pire que l’anarchie »[9].

D’où l’on vérifie que Créon parle du point de vue du père de famille et du maître de la cité.

Raison pour laquelle j’indique être en désaccord sur ce point avec Pierre Vidal-Naquet affirmant de manière générale que « la tragédie exprime cette tension entre l’oikos et la cité »[10] et qui, de ce point de vue, ajoute qu’ « Antigone est l’exemple le plus célèbre de cette tension ».

Je ne le crois pas puisque Créon plaide au nom de la maison et de la cité car il plaide de manière plus générale du point de vue du service des biens.

Antigone, je l’ai dit, a fait un autre choix. Elle recouvrira le corps de son frère de la poussière de Thèbes car elle n’agit pas au nom de la cité ni vraiment au nom de la famille. Mais au nom des dieux et des morts.

« Ma vie depuis longtemps j’y ai renoncé afin d’aider les morts » dit-elle en signalant donc l’existence de l’au-delà, ou de l’en deçà du service des biens, qui seul vaut pour le héros antique. Et ce lieu s’appelle chez Lacan celui de l’entre-deux-morts.

Mais dans la dispute tragique s’agit-il d’une affaire de genre, Créon contre Antigone, ou directement d’une affaire de femme contre la domination masculine ?

Pas vraiment, puisque la sœur d’Antigone, Ismène, tout aussi fille qu’Antigone a choisi comme Créon le service des biens. Elle refuse d’accompagner Antigone dans son acte et répond à sa proposition de s’y joindre en ces termes : « Mais, malheureuse, si l’affaire en est là, que puis-je moi ? J’aurai beau faire, je n’y gagnerai rien (…) J’entends obéir aux pouvoirs établis ».[11]

On voit qu’il ne s’agit pas directement d’une affaire de genre où seraient assignés les protagonistes, mais de l’opposition radicale entre l’être et l’avoir qui n’est pas totalement disjointe de l’opposition entre les sexes, loin de là, mais qui ne s’y résume pas.

Avec la tragédie on aperçoit Antigone et Ismène. Deux filles, deux sœurs, deux éthiques. Ismène a choisi le service des biens et ses actes doivent lui rapporter. Elle doit y gagner quelque chose. L’intraitable Antigone a choisi coûte que coûte « les lois non écrites, inébranlables des dieux », bref, les lois qui surclassent celles de la cité et du service des biens. Les lois des dieux ou les lois que Lacan identifie aux lois du signifiant d’où se déduit le caractère sacré de l’engendrement du sujet de l’inconscient. Inconscient qui s’avoue avec Lacan comme le fils des lois de la parole et du langage. Sujet de l’inconscient qui entre en analyse par le biais du langage et qui veut très précisément dans le dispositif même être reconnu et entendu comme tel.

Pour Antigone en tout cas – et dès lors pour nous tous –, la valeur de son frère Polynice, est « essentiellement de langage » :

« Hors du langage, elle ne saurait même être conçue, et l’être de celui qui a vécu ne saurait être aussi détaché de tout ce qu’il a véhiculé comme bien et comme mal, comme destin, comme conséquences pour les autres, et comme sentiments pour lui-même. Cette pureté, cette séparation de l’être de toutes les caractéristiques du drame historique qu’il a traversé, c’est là justement la limite, l’ex nihilo autour de quoi se tient Antigone. Ce n’est rien d’autre que la coupure qu’instaure dans la vie de l’homme la présence même du langage. »[12]

Fils de la coupure, voilà ce qu’est le sujet de l’inconscient selon Lacan. Et Antigone s’en fait le garant au prix de sa vie même, puisqu’elle rejoindra son père dans le rien de la mort où Œdipe s’est précipité à Colone, enseveli dans un tombeau dont le lieu est soustrait au savoir de tous.

Œdipe comme Antigone en fin de parcours tragique rejoignent donc l’espace tant désiré du rien. Tous deux se déprennent de la souveraineté des biens pour choisir le camp de l’être. Être rien. Et de ce point de vue, il suffit pour s’y retrouver, de lire quelques ultimes paroles énoncées à Colone par le vieil Œdipe adressant à Antigone cette ultime découverte : « C’est donc quand je ne suis plus rien que je deviens vraiment un homme ».

Découverte interprétée par Lacan comme la découverte terminale de la passe d’Œdipe qu’il fallait donc suivre de Thèbes, où il a laissé les ors de son pouvoir, jusqu’à ce rien qu’il devient à Colone. Passe que le choix d’Antigone pour la mort reconduit et qui désigne au total, et du point de vue de Lacan, l’horizon de l’éthique de la psychanalyse. Horizon de la psychanalyse qui ne saurait, selon lui, s’accorder avec le service des biens ou des avoirs. Laissons cela à Créon. Pour les psychanalystes la solution est bien du côté de l’être rien, car pour eux il ne s’agit pas, indique Lacan, de se faire :

« Les garants de la rêverie bourgeoise (…) Il ne s’agit pas du bonheur des générations futures (…) La fonction du désir doit rester dans un rapport fondamental avec la mort (…) la terminaison de l’analyse, la véritable, j’entends celle qui prépare à devenir analyste, ne doit-elle pas à son terme affronter celui qui la subit à la réalité de la condition humaine ? (…) La détresse où l’homme dans ce rapport à lui-même qui est sa propre mort (…) n’a à attendre d’aide de personne »[13].

Et il poursuit :

« Œdipe ayant renoncé au service des biens, rien pourtant par lui n’est abandonné de la prééminence de sa dignité sur ces biens mêmes, et [il convient d’explorer] où, dans cette liberté tragique, il a affaire à la suite de ce désir qui l’a porté à franchir ce terme et qui est le désir de savoir. Il a su, il veut savoir plus loin encore (…) Lear comme Œdipe nous montrent que celui qui s’avance dans cette zone, qu’il s’y avance par la voie dérisoire de Lear ou par la voie tragique d’Œdipe, s’y avancera seul et trahi »[14].

 

Bon, nous voilà au moins introduit une nouvelle fois à Œdipe, Antigone, Hamlet mais aussi au Roi Lear dont va traiter Alain Vanier. Et en attendant j’espère que le lecteur a pu mesurer combien l’éthique de la psychanalyse pour Lacan est tragique et combien le choix du titre de notre dossier scientifique fut judicieux. Mais pour conclure maintenant sur Antigone, j’ajoute qu’à exiger qu’une part soit faite non pas directement à la femme mais à l’être ou à la loi des dieux, elle n’est pourtant pas marginale à la cité antique, puisqu’elle emporte du même mouvement l’adhésion lyrique du coryphée, et l’amour éperdu du fils de Créon qui se perce le corps de son épée, tandis qu’Antigone, rejoignant le geste qui la qualifiera une nouvelle fois comme une vraie femme, se pend. Elle se pend car les femmes de la Grèce antique se donnent la mort de cette façon-là, comme d’ailleurs l’avait fait avant elle Jocaste qui, découverte dans sa jouissance maternelle illicite, s’était in fine elle aussi, et au dernier mouvement de l’intrigue de Thèbes, saisi de la corde et du fléau de la mort pour séparer l’horrible mélange entre la femme et la mère qui l’avait conduite (en toute conscience) à jouir de son Œdipe de fils. Elle aussi donc aura trouvé sa voie de retour par la mort, retour à la femme comme femme. Mais ce fut bien à partir de sa jouissance incestueuse de mère que se déchaîna le malheur des Labdacides car Jocaste savait qu’elle couchait avec son fils. Elle savait. Comme quoi le savoir ne suffit pas toujours à arrêter la jouissance. Ce qui se vérifie assez souvent dans l’expérience psychanalytique dès lors en impasse. Mais sur la culpabilité de Jocaste, Antigone là encore est inflexible, puisque lorsque le chœur veut rehistoriciser son funeste destin, en convoquant « les fautes paternelles que paye ici son épreuve », elle l’arrête. Et en bonne lacanienne dans la passe, elle s’insurge contre l’inculpation de son père (Œdipe) en ces termes : « Tu touches là au plus cruel de mes soucis, au sort lamentable, cent fois ressassé, de mon père, et, du même coup, à tout notre destin, à nous les nobles Labdacidès »[15]. Et elle situe enfin clairement la cause du malheur de sa famille dans la figure de l’hymen infernal qui surplombe le destin de sa lignée et plonge ses racines dans cette sorte d’alliance originaire polarisée par la chose maternelle. « Ah ! fatal hymen d’une mère ! incestueuse étreinte qui au bras de mon père ont mis ma mère infortunée »[16] articule enfin Antigone. La clairvoyance d’Antigone est sans faille. Elle désigne la cause du malheur dans l’être même de l’alliance émergeant dans le désir incestueux que Jocaste aura reconduit au prix d’un rejet de savoir embarquant Œdipe dans sa destinée d’infortune.

En cela elle est vraiment lacanienne car c’est bien la jouissance de la mère qui in fine est inculpée par Sophocle, comme elle l’est dans ce que j’appelle la révolution du phallus[17] par laquelle Lacan indique qu’il faut analyser les sources du désir incestueux en les logeant là où il faut. Non pas du côté de l’enfant mais du côté de la mère. Et c’est bien côté fille, et contre cette jouissance maternelle, que la femme comme femme se défend par le rien au risque par exemple du refus anorexique. Refus par lequel la figure de la vierge maigre devient volontiers l’héroïne tragique du désir, du rien et de l’être dans notre modernité. Les garçons de ce point de vue, se faisant plus volontiers les serfs de leur propre fantasme qu’ils érigent contre la jouissance maternelle. Fantasme, le cas échéant de l’avare, qui les rivent volontiers du côté des biens. Mais bref et au total, on voit tout l’intérêt épistémologique qu’il y a pour développer une clinique du cas, comme du social ou du politique d’opter pour une démarche d’analyse guidée par l’opposition être et avoir qui surclasse dans sa fécondité et de très loin une simple logique des genres. Au moins pour ce qu’il en est du point de vue psychanalytique, car c’est bien cette opposition-là (être et avoir) qui nous aide au mieux à nous y retrouver, dans la logique des grands textes dont nous restons quoi qu’on veuille les inconscients héritiers.

Voilà en tout cas l’hypothèse centrale qui a guidé mon analyse des tragédies de Sophocle : Œdipe Roi, Œdipe à Colone et Antigone.

 

 

 

 

[1] Période où je situe la révolution du phallus et ses effets. Période où l’on trouve le Livre V du séminaire, Les formations de l’inconscient ; le Livre VI, Le désir et son interprétation qui est selon moi un séminaire sur le fantasme et le Livre VII, L’éthique de la psychanalyse qui est un séminaire sur la sublimation. Cette période 1957-1963 se clôt sur la mise en réserve du séminaire annoncé sur Les Noms du Père.

[2] M. Zafiropoulos, Les Mythologiques de Lacan, vol. 1 : La prison de verre du fantasme : Œdipe Roi, Le diable amoureux, Hamlet, Toulouse, Erès, 2017 (traduction en espagnol : La carcel de cristal del fantasma, Œdipo Rey, El diablo enamorado, Hamlet, Buenos Aires,  ed. Logos Kalos, 2018) et vol. 2 : Œdipe assassiné ? Œdipe Roi, Œdipe à Colone, Antigone ou l’inconscient des modernes, Toulouse, Erès, 2019.

[3] J. Lacan, Le Séminaire Livre VI, Le désir et son interprétation (1958-1959), Paris, Ed. La Martinière, 2013, 4 mars 1959, p. 295-296.

[4] J. Lacan, op. cit., p. 541.

[5] M. Zafiropoulos, La question féminine de Freud à Lacan ou la femme contre la mère, Paris, Puf, 2010. (Traduit en langue chinoise, Shanghai, éd. Fujian Education Press, 2016 et en langue espagnole La cuestion femenina de Freud a Lacan, Buenos Aires, ed. Logos Kalos, 2017).

[6] P. B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle : rapport pour une académie de psychanalystes, Paris, Grasset, 2020, p. 93.

[7] J. Lacan, Le Séminaire Livre XX, Encore (1972-1973), Paris, Seuil, 1975, p. 73.

[8] Au plan des masses on voit comment la lutte pour l’avortement rentre dans cette guerre des sexes puisqu’après une cinquantaine d’année de légalité les juges de la cour suprême américaine sont revenus sur cette légalité. Cette cour compte trois femmes et six hommes très à droite car nommés par le Président Trump.

[9] Sophocle, Antigone, édition bilingue, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 89.

[10] Oikos, du grec ancien : la maison, le patrimoine. Préface à Sophocle, Tragédies, Folio, Paris,1973.

[11] Antigone, op. cit., p. 86.

[12] J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), Paris, Seuil, 1986, p. 325.

[13] J. Lacan, op. cit. p. 350-351.

[14] Ibidem, p. 352-353.

[15] Antigone, op. cit., p. 114.

[16] Ibid.

[17] M. Zafiropoulos, « La révolution du phallus dans l’enseignement de Jacques Lacan, Figures de la psychanalyse, 2012/1, n°23.


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Vidéos

ALAIN ABELHAUSER – « Mal de femme, perversion au féminin »
13.06.2019, Espace Analytique


MARKOS ZAFIROPOULOS – « Œdipe assassiné ? Oedipe roi, Oedipe à Colone, Antigone ou l’inconscient des modernes » – éditions érès
Parution : 26 septembre 2019


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ŒDIPE ROI, ŒDIPE A COLONE, ANTIGONE OU L’INCONSCIENT DES MODERNES; LES MYTHOLOGIQUES DE LACAN 2 » – Markos ZAFIROPOULOS

 

Après avoir retrouvé Œdipe au cœur de la Vienne fin de siècle, Freud affirme l’universalité de son désir coupable : vouloir posséder sa mère et donc assassiner son père. 

 

Il fait alors clairement du complexe d’ Œdipe une sorte de schibboleth propre à faire le départ entre les tenants de la psychanalyse et ses adversaires. Reste qu’aujourd’hui, et loin de rappeler à la présence des Labdacides au cœur de l’inconscient des modernes, une bonne part du chœur des psychanalystes se fait le héraut de la disparition d’Œdipe du même coup renvoyé à cette sorte d’obscurité d’où la courageuse lucidité de Freud l’avait extrait. Mais qui fut Œdipe ? Que dire avec Lacan et Lévi-Strauss du long voyage qui, du trône de Thèbes à l’extrême dénuement de Colone, le conduisit au seuil des premières divinations freudiennes faisant du récit de Sophocle ( Œdipe Roi, Œdipe à Colone) le témoignage de cette passe originaire d’où chaque psychanalyste aperçoit l’orée du champ freudien , comme il lui revient d’apercevoir le destin de l’Autre sexe dont le poète raconte la tragédie dans le texte éponyme qu’il fallait bien relire aussi ici avec notre Question féminine : Antigone .


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CE SPUNE LACAN DESPRE „TOTEM SI TABU” – de Markos ZAFIROPOULOS; traducerea Paul ROBE

Rezumat :

Acest articol îşi propune să reia Totem şi Tabu drept cheie de boltă pentru antropologia psihanalitică atât la nivelul analizei de caz, cât şi la nivelul analizei pe plan colectiv. Pentru a oferi o imagine fidelă cu privire la locul acestui principiu fondator în cadrul antropologiei psihanalitice şi perspectiva pe care o poate deschide aplicarea lui, este necesar deasemenea, pe parcursul unei reveniri la Freud, să situăm acest principiu şi în perspectiva consideraţiilor lui Lacan cu privire la Totem şi Tabu.

Astfel, acest articol îşi propune să pună în lumină diversele momente ale lecturii lacaniene a mitului freudian. Aceste momente diferite sunt articulate pe fond de transferul lui Lacan faţă de Lévi-Strauss într-un moment în care Lacan refondează psihanaliza renunţând la lectura sa centrată pe familie în favoarea unei lecturi structuraliste, concepţie în cadrul căreia legile limbajului şi ale vorbirii le depăşesc pe cele ale familiei.

Pentru a merge direct la esenţial, din punctul meu de vedere aş spune că Totem şi Tabu reprezintă cheia de boltă a antropologiei freudiene atât la nivelul analizei de caz, cât şi la niveul analizei colectivului. Acest text exprima ceea ce reprezintă Tatăl inconstient din punctul de vedere al lui Freud şi ceea ce motivează astfel nici mai mult nici mai puţin decât existenţa societăţii de drept.

Am să reamintesc în câteva cuvinte ideea centrală a acestui text din 1912 care afirmă că pe vremuri oamenii ar fi trăit în condiţiile unei hoarde primitive dominată de un tată tiranic care dispunând de toate femelele îşi condamna astfel fii la a se exila şi la a trăi împreună într-o homosexualitate deloc satisfăcătoare. De aici mânia şi rebeliunea lor, conducându-i la uciderea bestiei paterne pe care ulterior fii antropofagi ar fi devorat-o cu mare poftă pentru a încorpora forţa tatălui, identificându-se astfel între ei drept comeseni. Comesenii ar fi fost astfel uniţi printr-o comuniune primitivă în cadrul căreia ar fi fost introiectată o bucată din tată, dar şi printr-un straniu sentiment de vinovăţie împărtăşită care ar fi motivat apoi idealizarea bestiei paterne devenită între timp o figură divină în Numele căreia fiii ar fi formulat o lege capabilă să garanteze pacea între fraţi cu condiţia ca fiecare dintre ei să renunţe la partea sa de juisare sexuală căutată în comerţul cu mama şi/sau cu sora. Fraţii ar fi promulgat atunci interdicţia incestului, condiţie a exogamiei şi schimbului de femei şi, in fine, condiţie a alianţei care se află la baza existenţei societăţii de drept şi a păcii. Inversul acestei legi face trimitere la dorinţa incestuasă pe care Freud a recunoscut-o în frumoasa tragedie a lui Sofocle, ridicată de atunci la demnitatea textului complexului lui Oedip, acest complex universal care face ca fiii œdipieni să fie parazitaţi, în miezul nevrozei lor, de o dorinţă pentru mamă, dorinţă a cărei culpabilitate o poartă cu atât mai mult cu cât aceasta se asociază cu o dorinţă de moarte faţă de tată. Regăsim în felul acesta logica lui Totem şi Tabu însă la nivel de caz.

Bun, această idee bine cunoscută şi însuşită în câmpul nostru analitic este exact interpretarea către care se îndreaptă încă din 1938 critica tânărului Jacques Lacan în cadrul Complexelor familiale[1]. El observă atunci că nu reuşeşte să înţeleagă foarte bine cum, după ce au înfăptuit crima contra tatălui,  fiii ar fi putut să simtă cel mai mic sentiment de vinovaţie faţă de actul lor având în vedere că nu cunoşteau legea.

Pe scurt, din punctul de vedere al tânărului Jacques Lacan (atunci în vârstă de 37 de ani), Totem şi Tabu se prezintă ca „o construcţie” pe care o consideră „ruinată prin însăşi revendicarea de principiu pe care o poartă în sine”  şi anume „să atribuie unui grup biologic posibilitatea de a se întemeia pe recunoaşterea legii” (Complexes familiaux, pag. 54).

În plus, el adaugă că, pe masura ce progresează cunoştiinţele noastre cu privire la antropoide, tirania invocată a şefului de hoardă primitivă se reduce treptat la imaginea „unei fantome din ce în ce mai incertă” (CF, pag. 54). Lacan susţine în special că nu se poate să ne apropriem punctul de vedere freudian conform căruia veneraţia ar fi constituit singurul resort al promulgării Legii pentru că acest lucru ar fi contrazis existenţa — pe care o credea la vremea aceea atestată ştiinţific — „urmelor în mod universal prezente” ale „supravieţuirii pe scară largă a unei structuri matriarhale a familiei”, fiind o probă conform căreia „ordinea familiei umane are fundamente sustrase forţei masculului” (CF, p 54-55).

Cum să înţelegem oare această poziţie a primului[2] Lacan? Credem că este necesar, în primul rând, să o situăm în cadrul gândirii din acea perioadă a lui Lacan, care nu era freudian din mai multe puncte de vedre. Trebuie să ne reamintim, în particular, că, încă de la intrarea sa în câmpul psihanalitic, Lacan propune o teorie cu privire la structurarea subiectivă care este foarte îndepărtată de aceea propusă de Freud. Acolo unde Freud indentifica în copilul nou născut o fiinţă complet narcisică, Lacan vede o fiinţă „în bucăţi”, venită pe aceasta lume fără să aibă un „Mine”[3], începându-şi existenţa prin ceea ce el numea „complexul de înţărcare (sevraj)”, complex dominat de puterea unei mame şi care antrenează un raport organic cu un copil „în bucăţi”, născut prematur. Acest lucru explică, conform lui Lacan, că imago-ul mamei „aparţine profunzimilor psihismului şi că sublimarea sa este în mod particular dificilă”. „În măsura în care acest imago rezistă noilor exigenţe, care sunt cele ale progresului personalităţii, acest imago salvator la origine devine factor de moarte” (CF, p 33).

Ştim că, din punctul de vedere al lui Lacan, în acest stadiu al sevrajului (anterior stadiului oglinzii), copilul vrea să moară în mamă graţie unui masochism originar în care el ar vrea să regăsească paradisul pierdut al matricei. Copilul depăşeşte acest moment de încercare (atunci când reuşeşte sa o faca) prin identificarea cu fratele (complexul de intruziune). Această identificare cu fratele permite copilului să acceadă şi să asume imaginea alterităţii care devine astfel invelisul imaginar al corpului propriu — conform logicii stadiului oglinzii pe care Lacan o împrumută de la Wallon[4]. Acest model explicativ pune în evidenţă foarte bine resorturile imaginare ale alienării în imaginea fratelui. Această alienare, încărcată de resorturi agresive, explică totodată şi deschiderea către Alteritate introdusă de funcţia simbolică prin intermediul căreia copilul se va îndrepta, cel puţin în Occident, spre şicana oedipiana care îl va conduce spre întâlnirea cu alteritatea, celalalt, care va îmbrăca forma tatălui. În aceasta ordine, îi revine băiatului să se identifice în cadrul tipologiei virile idealizate, în timp ce pentru fată forma perfectă a idealului Minelui este, conform lui Lacan, „idealul virginal” (CF, p 65).

Acest lucru face ca între fete şi băieţi să nu existe raport, voi reveni asupra acestui aspect. Insă ceea ce doresc să pun în evidenţă aici este în primul rând faptul că în aceea perioadă Lacan a ales să obiecteze faţă de Totem şi Tabu utilizând argumentul matriarhatului. Se poate spune că Lacan alege „nostalgia faţă de mamă” contra „nostalgiei faţă de tată” specifică gândirii freudiene. Ori, acest lucru este expresia faptului că Lacan promoveaza în aceea perioadă pe de o parte o teorie a structurării subiective foarte îndepărtată de acea a lui Freud, iar pe de altă parte aşează în primul timp al structurării subiective complexul sevrajului dominat de un imago al mamei, în poziţie inconştientă de Supra-mine, conferindu-i o putere anterioară şi mult mai mare faţă de aceea a idealizării Tatălui, specifică fazei de declin din complexul lui Œdip prin care subiectul (fată şi băiat) se supune Legii în optica lui Freud.

De aici se poate deduce după părerea mea :

  • nostalgia sânului la tânărul Lacan care merge contra nostalgiei freudiene faţă de Tată;

  • faptul că Lacan reinterpretează teoria freudiana privind pulsiunea de moarte, pe care o numeste „instinct de moarte” (CF, p 33) pentru că din punctul său de vedere subiectul vrea să moară în mamă;

  • ideea conform căreia această voinţă de întoarcere la sânul mamei sub acţiunea masochismului originar este determinantă la nivelul unei analize a colectivului pentru că, conform lui Lacan din aceea perioadă, motivează„ practica sepulturii sau formele primitive de habitat”, dar în egală măsură şi „mirajele metafizice ale armoniei universale”, „abisurile mistice ale fuziunii afective, utopia socială a unei tutele totalitare, felurite căutari ale unui paradis pierdut de dinaintea naşterii şi cea mai obscură aspiraţie la moarte” (CF, p 34-35).

Se poate înţelege mai bine din acest moment cum şi de ce tânărul Lacan caută să introducă contra lui Freud puterea ataşamentului faţă de imagoul mamei primordiale ca  „fundament sustras forţei masculului” (CF, p 55) în ceea ce priveşte emergenţa antropologică a ceea ce el considera atunci ordinea familiei şi a legii. Din acest punct de vedere Lacan, ca mulţi alţi intelectuali din epocă, este încurajat de către inevitabilul Bachofen[5] care are impresia că a gasit urme „ale matriarhatului peste tot la temelia culturii antice” (CF, p 67).

Ştim cu toţii astăzi, însă este nevoie să îl reamintim, că matriarhatul nu a existat[6] niciodată. În ciuda acestui lucru, suntem nevoiţi să îl constatăm ca fapt al istoriei gândirii:  că între 1936 şi 1950 tânarul Lacan a ridicat obiectii faţă de Totem şi Tabu sprijinindu-se pe argumentul matriarhatului.

Să mergem însă mai departe. Dupa zece ani de la de Complexele familiale (Les complexes familiaux), Lacan reia critica „cercului mitic” care vicieaza Totem şi Tabu în măsura în care acesta „deriva din evenimentul mitologic, adică moartea Tatălui, dimensiunea subiectivă care îi dă sensul, respectiv vinovăţia”[7]. Să remarcăm, însă, că în acest moment Lacan accentuează aspectul euristic al textului lui Freud cu privire la funcţia pacifiantă a idealului Minelui, adică „legătura dintre normativitatea sa libidinală şi normativitatea culturală asigurată de la începuturile istoriei de către imagoul tatălui” (Ecrits, p 117). Iată deci ceea ce spune Lacan în 1948 despre Totem şi Tabu.

Doi mai târziu, adică în 1950[8], Lacan îşi atenuează încă o dată critica faţă de textul lui Freud pentru a afirma in mod ferm că „dincolo de câteva critici de metodă la care este expus acest studiu, ceea ce este important este faptul că el a recunoscut că omul începe odată cu Legea şi cu Crima” (E, p 133). Să adăugăm în trecere că în acelaşi text trei pagini mai departe Lacan îşi recunoaşte în mod discret eroarea cu privire la matriarhat pentru că vorbind despre „o societate matriliniară ca aceea a Zuni sau Hopi…” el indică că “este o problemă depăşită aceea de a compara avantajele pe care le poate prezenta, pentru formarea unui Supramine suportabil pentru individ, cutare pretinsă organizare matriarhală a familiei în raport cu clasica structură oedipiană” (E, p 133).

Organizarea pretins matriarhală a familiei!

La naiba! Între 1938 şi 1950 observăm distanţa pe care a luat-o Lacan faţă de afirmaţiile juristului de la Bâle pe baza cărora îşi întemeia altădată obiecţiile contra Totem şi Tabu. Faimosul Bachofen avea impresia de a fi găsit la originea familiei o structură matriarhală care ar fi atestat locul mamelor în constituirea antropologică a ordinii familiale şi al Legii. Să spunem că Bachofen confunda el însuşi imensa recoltă a miturilor pe care le colectase cu documentele de arhivă pe care se fondează istoria ca ştiinţă. Numeroşi cercetători s-au lăsat hipnotizaţi de această falsă fereastră a matriarhatului, între care îi putem aminti pe Engels, Morgan dar şi Freud, Otto Gross, iar mai apoi pe tânărul Lacan. Trebuie deasemenea să adaug că mi se întâmplă (încă, n. tr.) să găsesc şi în scrierile altor autori, voci importante în psihanaliză[9], această noţiune a matriarhatului a cărei valoare este depăşită pe plan ştiinţific şi ruinătoare pe plan clinic. Această noţiune de matriarhat nu face decât să susţină căutarea unor resorturi inconştiente ale idealizării mamei, atât la nivelul unei clinici a cazului cât si la nivelul unei clinici a socialului. Ori aceste resorturi inconştiente ale idealizării mamei sunt în mod strict de negăsit, după cum am arătat în „Chestiunea feminină”[10].

Dar să rămânem la ceea ce spunea Lacan despre Totem şi Tabu pentru a putea pune în evidenţă faptul că acesta renunţă în 1950 la noţiunea de matriarhat care îl orbea în 1938 în favoarea noţiunii corecte de societate matriliniara pe care şi-o aproprie începând cu 1950 ca şi cum ar fi urmat un curs de perfecţionare a cunoştiinţelor în antropologie şi în special cu privire la această noţiune capitală.

Ce s-o fi întâmplat oare pentru ca în 1950 să se modifice într-atât punctul de vedere al lui Lacan despre matriarhat şi deci despre Totem şi Tabu?

Ei bine, s-a întâmplat ca un oarecare Claude Lévi-Strauss, întors la Paris, să publice în 1949 „Structurile elementare ale înrudirii” (Les structures élémentaires de la parenté)[11], text crucial prin care etnologul :

  1. explică ceea ce motivează existenţa unui punct de contact între natură şi cultură, adică prohibiţia incestului, în mod simultan cauză şi efect al înrudirii ;

  2. critică binevoitor aportul adus de Freud prin Totem şi Tabu, recunoscând şi atestând totodată psihanaliza ca ştiinţă socială ;

  3. susţine că din raţiuni de structură a puterii tendinţa ca femeile să fie ridicate la rang de matriarhat este foarte slabă datorită faptului că ele îndeplinesc funcţia de obiect de schimb în cadrul schimburilor sociale.

La aceasta adaug şi faptul că în 1949 (ianuarie-martie), Lévi-Strauss a publicat deasemenea şi articolul său cu privire la Eficacitatea simbolică[12] în care vorbeşte despre nevroză ca despre un mit individual în « Revue d’Histoire des religions » (Revista istoriei religiilor) pe care o citeşte Lacan. Acest articol constitue prima referinţă a lui Lacan la opera lui Lévi-Strauss, ea regăsindu-se în articolul  Stadiul oglinzii — formator al funcţiei Eului aşa cum aceasta ne apare în cadrul experienţei psihanalitice ”[13]. În cadrul acestui articol care datează din iulie 1949, Lacan îşi aproprie sintagma lévi-straussiană de „eficacitate simbolică în mod straniu gratificată din „ penumbra sa. Astfel se poate vorbi depsre un coup de foudre a lui Lacan faţă de Lévi-Strauss[14]. El îşi încheie textul cu privire la stadiul onglinzii evocând de exemplu „acest punct de contact între natură şi cultură pe care antropologia zilelor noastre îl scrutează cu încăpăţânare”. Lacan adaugă cu privire la acest punct că „doar psihanaliza este aceea care recunoaşte acest nod de servitute imaginară pe care iubirea trebuie întotdeauna să îl desfacă şi să îl redesfacă sau chiar să îl taie” (E, p 100).

Pe scurt, ne dăm astfel seama că ceea ce formulează Lacan începând cu 1950 este de neînţeles dacă nu ţinem cont de transferul său faţă de Lévi-Strauss[15], acest lucru având desigur o incidenţă cu privire la felul în care a considerat Totem şi Tabu faţă de care Lacan şi-a moderat în mod semnificativ critica în 1950, abandonând noţiunea de matriarhat pe care se întemeia aceasta, după cum am arătat.

În a sa Întroducere teoretică la funcţiile psihanalizei în criminologie din 1950, Lacan confirmă ceea ce de altfel susţinea încă din 1938 şi anume că complexul lui Oedip nu este universal şi că ceea ce trebuie reţinut ca fiind generic pentru om nu este acest complex al lui Oedipe ci Supraminele.

Acest lucru explică întoarcerea lui Lacan la Totem şi Tabu în 1950, lasând de o parte criticarea metodei pentru a pune accent pe ceea ce, din punctul său de vedere, este important şi anume că Freud a recunoscut că „cu Legea şi cu Crima începe omul ” (E, p 130) conform propriilor săi termeni, aşa cum am arătat.

Însă declanşarea a ceea ce am numit „transferul lui Lacan faţă de Lévi-Strauss” nu atinge doar ceea ce Lacan spunea cu privire la Totem şi Tabu, pe care îl consideră acum important în ceea ce priveşte geneza umanităţii prin crimă, pentru că, după cum am arătat într-un mod foarte explicit, în „Lacan şi ştiinţele sociale…”  şi în „Lacan şi Lévi-Strauss” este vorba despre tot acest transfer care orientează întregul proces de întoarcere la Freud a lui Lacan aşa după cum tot acelaşi transfer îl va orienta şi în 1953 – atunci când prin „Discursul de la Roma” Lacan refondează psihanaliza renunţând la lectura de inspiraţie familială în favoarea unei lecturi structuraliste în cadrul căreia legile limbajului şi ale vorbirii le depăşesc pe cele ale familiei[16].

Acestă perspectivă are bineînţeles un impact şi asupra teoriei cu privire la Tată care devine la Roma şi în scrierile sale un pur semnificant. Un semnificant „pe care religia ne-a învăţat să îl invocam ca Nume-al-Tatălui” (E, p 556), confirmă Lacan patru ani mai târziu[17] într-un moment crucial în care devine freudian şi structuralist cu privire la chestiunea Tatălui inconştient. Este absolut imposibil să înţelegem invenţia Numelui-Tatălui la Lacan fără să înţelegem ceea ce datorează teoriei semnificantului zero sau a semnificantului de excepţie pe care îl găseşte la Lévi-Strauss şi „care permite exerciţiul gândirii simbolice…”[18].

Dacă se poate afirma că Lacan recunoaşte prin şi în „întoarcerea sa la Freud” figura Tatălui ca pe un pur semnificant, reconciliindu-se cu teoria Tatălui mort şi inconştient a lui Freud, trebuie spus, de asemenea, că Lacan consideră Totem şi Tabu în maniera în care o face si Lévi-Strauss: ca mit. De unde se poate constata că întoarcerea sa la Freud prin Lévi-Strauss este o întoarcere critică, conducând, in fine, spre ceea ce aş putea numi un al treilea Lacan, al realului daca dorim, un real care nu exclude însă mitul pentru că el va susţine mult mai târziu, în 1970, că Freud ţinea foarte mult ca paricidul originar să fi fost atestat istoric. Totuşi, sublinia Lacan: „urangutani am mai vazut, în schimb nu am găsit nici cea mai mică urmă din tatăl hoardei umane” adăugând pe ton de gluma  „Totem şi Tabu este o maimuţăreală darwiniană”[19]. Apoi, pe un ton mai serios, prezintă acest text ca pe un mit, adică un „conţinut manifest” de interpretat. În acest sens, Lacan îşi invită auditoriul să recitească articolul cu privire la structura miturilor[20] redactat de cel pe care îl numeşte în 1970 „scumpul nostru prieten Claude Lévi-Strauss”.

Pentru a păstra o anumită ordine, nu voi reveni totuşi aici la „Structura miturilor” (care datează din 1955), ci mă voi îndrepta către „Olăreasa geloasă” (1985)[21] în care Lévi-Strauss arată că dacă Freud a ales ca subtitlu pentru Totem şi Tabu  „Câteva similitudini între viaţa psihică a sălbaticilor şi cea a nevroticilor”, el, Lévi-Strauss, s-a străduit să demonstreze că „există o similitudine între viaţa psihica a sălbaticilor şi cea a psihanaliştilor”[22]. În fapt, Lévi-Strauss repertoria în Olăreasa geloasă un foarte frumos mit Jivaro având valoare de geneză, mit care povesteşte că „starea de societate a apărut atunci când hoarda primitivă s-a divizat în grupuri ostile după moartea tatălui a cărui soţie comisese incestul cu fiul lor”.[23]

Ei bine?  Ei bine, dacă Totem şi Tabu dintr-un anumit număr de motive nu poate fi primit ca argument valabil din punct de vedre istoric, acest lucru se datorază faptului că acest text trebuie luat drept ceea ce este, în nici un caz produsul unei cercetări de istoric, ci un mit produs de Freud a cărui  „măreţie”, ne asigură Claude Lévi-Strauss „este datorată darului pe care [Freud, n.tr.] îl deţine în ceea mai mare măsură : acela de a gândi în maniera miturilor”.[24]

Complimentul venit din partea etnologului este apăsat, iar în ceea ce îl priveşte, Lacan va dezvolta cu brio miza acestui mit despre care spunea în 1970 că este „un operator structural ” în măsura să pună „în centrul enunţării lui Freud un termen al imposibilului”ca orice mit de altfel.[25]

Astfel, dacă ne aducem aminte că pentru Lacan „nu există altă definiţie posibilă a realului decât aceea că [realul, n.tr.] este imposibilul”[26] , atunci putem formula aici împreună cu Lacan concluzia conform căreia Totem şi Tabu este un operator strutural capabil să exprime realul, cu precizarea că este vorba despre tatăl originar real care nu a existat niciodată, cum de altfel subliniază Lacan însuşi, realul Femeii, care nici ea nu există … în Totem şi Tabu.

De aici pot decurge o cascadă de consecinţe printre care un mariaj neaşteptat între realul Tatălui şi cel al Femeii care nu există.

Dar să nu complicăm lucurile. Care este în fond punctul meu de vedre cu privire la Totem şi Tabu ?

Ei bine, punctul meu de vedere este acela conform căruia dacă Totem şi Tabu nu este valid din punct de vedere ştiinţific, el este un mit aflat în miezul logicii de structurare a subiectului inconştientului occidental şi dincolo de el (de exemplu la triburile Jivaro studiate de Lévi-Strauss). Este deci un conţinut manifest pe care trebuie să îl interpretăm.

Şi chiar dacă am fi nemulţumiţi că în psihanaliză ne aflăm încă la vârsta mitului deşi umanitatea este la vârsta ştiinţei, aşa cum arată Lacan în 1970[27], putem încheia încă o dată facand referire la ceea ce spunea Lacan, respectiv ca orice am vrea, analizandul se structurează într-un câmp ocupat de mit nu de ştiinţă, într-un câmp „care te priveşte pe tine pui de om … ”[28] , câmpul mitului.

Pentru a formula în alt mod acest punct de vedere, aş spune că Totem şi Tabu apare ca un mit structurant al nevrozelor, nu neapărat doar un mit freudian, ci un mit major al fiilor heterosexuali şi nevrozaţi. Freud a avut marele geniu de a aduce la lumină acest mit pe care îl purta în umbra propriei nevroze în aceeaşi măsură ca ceilalti nevrozaţi. Este ceea ce a asigurat marele succes al acestui mit şi, de asemenea, ceea ce face ca el să fie în continuare de actualitate.

De aici şi ideea mea complementară conform căreia prezenţa inconştientă a Tatălui Mort rămâne predominant activă în miezul constituirii nevrozelor de astăzi, cum de altfel ea se regăseşte şi în miezul instituţiilor din actualitatea noastră (familii, religii, etc). Acest lucru se verifică în experienţa clinică  indiferent de ceea ce ne-am putea imagina, cum că ne-am afla „în faza de ieşire din vârsta Tatălui ”, aşa cum pretinde editorul cărţii VI  „Dorinţa şi interpretarea sa” (Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, Livre VI) pe coperta posterioară a volumului. Vom reveni asupra acestei probleme în altă parte şi mai târziu.[29]

Însă, în aşteptarea acestui moment şi pentru a comemora Totem şi Tabu, aş dori să reafirm în mod solemn imensa actualitate a acestui text comentând descoperirea de către Lévi-Strauss – departe, la populaţia Jivaro – a unei versiuni inteligente a lui Totem şi Tabu care mai degraba ar trebui să îl conducă pe etnolog la a verifica împreuna cu noi propria axiomă a universalităţii spiritului uman decât să îşi râdă binevoitor de psihanalişti. Acest caracter al universalităţii spiritului uman este singura în măsură să explice faptul că regăsim aproape (Freud, 1913) şi departe (Lévi-Strauss, Jivaro) două versiuni ale aceluiaşi mit organizând structura fiilor nevrozaţi aici (la Vienna) şi acolo (la populatia Jivaro din Amazonia).

În concluzie se poate afirma ca în ceea ce priveşte locul fiilor in Totem şi Tabu este o afacere între masculi, femeile fiind excluse.

La mulţi ani, prin urmare, masculilor heterosexuali!

Dar pentru a încheia pe un ton mai serios cu privire la ceea ce spunea Lacan despre Totem şi Tabu, ne dăm cel puţin seama că nu putem înţelege evoluţia punctului sau de vedere cu privire la acest text fără a înţelege cele trei galaxii conceptuale care formează, după părerea mea, trei din primele perioade ale gândirii lui Lacan –  mergând de la tânărul Lacan care respinge mitul în 1938 şi ajungand la “Lacan cel batrân” din 1970 care îşi aproprie existenţa lui Totem şi Tabu ca pe un mit de interpretat, ca mit ce structurează cel puţin nevroza subiecţilor masculini.

[1] Titlul complet al acestui articol este „Complexele familiale în formarea individului: eseu de analiză a unei funcţii în psihologie”. Acesta a fost publicat în Enciclopedia franceză (1938), Paris, Larousse, T840.3-16 şi 42.1-8 şi reeditat o primă dată cu acelaşi titlu, Paris Navarin (1984) şi apoi pentru a doua oară pentru centenarul naşterii lui Lacan în Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. Acest articol este indicat aici ca „CF” urmat de numărul paginilor în cifre arabe al celei de a doua ediţii, Navarin. În ceea ce priveşte culegerea de texte Ecrits, publicată de Le Seuil în 1966, abrevierea este „E” urmată de numărul paginii.

[2] Markos Zafiropoulos a stabilit în cadrul metodologiei sale de cercetare o cronologie a gândirii lacaniene. „Primul Lacan” corespunde lui Lacan durkheimian” şi are în vedere o concepţie conform căreia structurarea subiectivă ar depinde de condiţiile de viaţă ale individului în cadrul familial. A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Lacan et les sciences sociales. Le déclin du père (1938-1953), Paris, Puf, 2001. (n. tr.)

[3] Am preferat utilizarea pronumelui personal  Mine folosit ca substantiv pentru a traduce de o maniera literala  le moi  din ratiuni de coerenta cu metapsihologia lacaniana. În acest sens se poate nota în primul rând că Lacan a respins în mod explicit utilizarea termenului  Je  pentru a traduce  Ich , aşa după cum o arată în Stade du miroir într-o notă relativă la termenul de eu ideal (je-idéal) pe care îl utilizează în acest text Această formă ar fi putut  considerată  drept  eu-ideal[3] dacă am fi dorit să o facem să intre într-un registru cunoscut…”, precizând că  Lăsăm singularitatea sa traducerii pe care am adoptat-o în acest articol pentru Ideal Ich al lui Freud fără a mai expune motivele, adăugând doar că nu am menţinut-o de atunci” Ecrits, Seuil, 1966, p.93. Pentru mai multă claritate a se vedea traducerea unui fragment semnificativ din Stade du miroir   pe care o propunem în partea a doua a acestei note explicative.  În al doilea rând poziţia lui Lacan cu privire la narcisism este radical diferită de cea freudiană. Din punctul lui Lacan de vedere copilul vine pe lume fara “Mine” (sans moi) construcţia narcisică realizându-se în cadrul stadiului oglinzii. Deasemnea, Lacan are o contribuţie decisivă la realizarea distincţiei între moi idéal si idéal du moi, propuse în prezenta traducere în formula “mine ideal » si « ideal al minelui ». În al patrulea rând aceşti termeni — moi, moi idéal, idéal du moi, ca termeni ai metapsihologiei lacaniene trebuie situaţi în sistemul de referinţă lacanian cunoscut ca RSI, Real Simbolic, Imaginar. Le Moi, Minele are un statut imaginar, imaginar care este însă regulat simbolic şi care functioneaza în real. Le moi, Minele, nu este autonom, locul său imaginar find determintat în mod structural în referinţă la registrele Real, Simbolic şi Imaginar. În continuare aceaşi logică se aplica în mod evident şi termenului “surmoi” tradus prin “supramine”. (n. tr.)

După cum spuneam, pentru mai multă claritate propunem în continuare cititorului traducerea unui fragment din Stade du miroir,  Stadiul oglinzii pe care îl considerăm semnificativ pentru ilustrarea explicaţiilor de mai sus :

Este suficient să se înţeleagă stadiul oglinzii ca o identificare în sensul plin pe care analiza o atribue acestui termen adică transformarea care este indusă  subiectului atunci când îşi asumă o imagine, a cărui predestinare să determine o fază este cu prisosinţă indicată de folosirea, în teorie, a termenului antic de imago.

Asumarea jubilatorie a imaginii speculare proprii de către fiinţa aflată încă într-o stare de neputinţă motorie şi de dependenţă de hranire, cum este cazul micuţului în stadiul de infans, ne apare de acum, de o manieră exemplară, manifestarea matricei simbolice în care eul se precipită într-o formă primordială, înainte încă de a se obiectiva în dialectica identificării cu alteritatea şi înainte chiar ca limbajul să îi restituie în universal funcţia sa de subiect.

Această formă ar fi putut  considerată  drept  eu-ideal[3] dacă am fi dorit să o facem să intre într-un registru cunoscut, în măsura în care ea se află la originea identificărilor secundare, termen în care recunoaştem funcţiile de normalizare libidinală. Însa punctul important constă în aceea că această formă situează instanţa Minelui  (l’instance du moi), înainte chiar de determinarea ei sociala, într-o linie de ficţiune, niciodată reductibilă la individ, – sau mai degrabă, care tinde să atingă devenirea subiectului în mod asimptotic, oricare ar fi succesul sintezelor dialectice prin care acesta trebuie să rezolve ca eu discordanţa cu propria realitate.

Forma totală a corpului prin care subiectul devansează, printr-un miraj, momentul de maturitate a puterii sale, nu îi este dată decât ca Gestalt, adică într-o exterioritate în care această formă este mai degrabă constituantă decât constituită, şi în special în măsura în care ea îi  apare subiectului într-un relief al staturii, care o fixează, şi într-o simetrie care îl inversează, în opoziţie cu turbulenţele mişcărilor care îl animă.  Astfel, această Gestalt – a cărei pregnanţa  trebuie considerată ca fiind o caracteristică a speciei, cu toate că stilul ei motor este în continuare greu de recunoscut – în virtutea celor două aspecte ale manifestării sale simbolizează permanenţa mentală a eului prefigurând totodată direcţia sa alienantă. În plus, acest Gestalt cuprinde multe corespondenţe care unesc eul cu statuia în care omul se proiectează precum fantomele care îl domină, cu automatul în care, in fine, într-un raport ambiguu, tinde să se închege lumea pe care omul şi-o fabrică.

În fapt, pentru imagouri  –  pe care avem privilegiul să le vedem profilându-se în experienţa noastră cotidiană şi penumbra eficacităţii simbolice (Cf. Cl. Lévi-Strauss –  L’efficacité symblique/Eficacitatea simbolică,  in Revue d’histoire des religions /Revista de istorie a religiilor, ianuarie-martie 1949), figuri voalate – imaginea speculară pare să reprezinte pragul lumii vizibile, dacă ne încredem în dispoziţia în oglindă pe care o prezintă în halucinaţie şi în vis imagoul corpului propriu, fie că este vorba de trăsăturile sale individuale, sau chiar de infirmităţi sau proiecţii obiectale, fie că remarcăm rolul oglinzii ca dispozitiv în cazul apariţiilor dublului în care se manifestă realităţile psihice, dealtfel eterogene.

[3]Lăsăm singularitatea sa traducerii pe care am adoptat-o în acest articol pentru Ideal Ich al lui Freud, fără a mai expune motivele,  adăugând doar ca nu am menţinut-o de atunci.

[4] A se vedea H. WALLON, Les origines du caractère chez l’enfant (Originile caracterului la copil), Paris, Puf, 1949. (n. tr.)

[5] J. J. BACHOFEN, Le droit maternel. Recherches sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique (Dreptul matern. Cercetări cu privire la ginecocraţia în antichitate în aspectele sale religioase şi juridice), Lausanne, L’âge de l’homme, 1996, (1891).

[6] A se vedea cu privire la acest punct capital al istoriei civilizaţiilor M. ZAFIROPOULOS, Du père mort au déclin du père de famille où va la psychanalyse ? (De la tatăl mort la capul familiei, încotro se îndreaptă psihanaliza ?) Paris, Puf, 2014 –  în particular articolul intitulat  Qu’est-ce que le matriarcat ? (Ce este matriarhatul ?) ».

[7] J. LACAN, « L’agressivité en psychanalyse » (Agresivitatea în psihanaliză), Ecrits, Seuil, 1966, p. 101-124.

[8] J. LACAN, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie » (Introducere teoretică cu privire la funcţiile psihanalizei în criminologie), op. cit., p. 125-150.

[9] A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Du père mort au déclin du père de famille, où va la psychanalyse ? (De la tatăl mort la declinul capului familiei, încotro se îndreaptă psihanaliza ?, Paris, Puf, 2014 ; şi în particular articolul « L’anthropologie psychanalytique aujourd’hui et ses enjeux : de quoi la théorie du déclin du père est-elle le nom ? (Antropologia psihanalitică astăzi şi miza sa: ce ne spune (pe fond) teoria declinului tatălui ?) », p. 143-181.

[10] M. ZAFIROPOULOS, La question féminine de Freud à Lacan ou la femme contre la mère (Chestiunea feminină de la Freud la Lacan sau femeia contra mamei), Paris, Puf, 2010.

[11] Cl. LEVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté (Structurile elementare ale înrudirii) (1947), Paris, La Haye, Mouton, 1967.

[12] Cl. LEVI-STRAUSS, « L’efficacité symbolique », Anthropologie structurale I, Paris, Plon 1974, (1958).

[13] J. LACAN,  Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique» (Stadiul oglinzii formator al funcţiei Eului aşa cum aceasta ne apare în cadrul exerienţei psihanalitice), Écrits, op.cit.

[14] A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud, Paris, Puf, 2003.

[15] A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Du père mort au déclin du père de famille où va la psychanalyse ? op. cit., eseul n° V intitulat « Effets du transfert de Lacan à Lévi-Strauss sur la clinique psychanalytique » (Efecte ale transferului lui Lacan faţă de Lévi-Strauss în clinica psihanalitică).

[16] A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Lacan et l’école française d’anthropologie (Lacan şi şcoala franceză de antropologie), Paris, Centre Sèvres.

[17] J. LACAN, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » (Despre o chestiune preliminară faţă de orice posibil tratament al psihozei) (1957-1958), Ecrits, op. cit. p. 531-584.

[18] A se vedea M. ZAFIROPOULOS, Lacan si Lévi-Strauss, op. cit., p. 180.

[19] J. LACAN, Le Séminaire. Livre XVII (1969-1970) L’envers de la psychanalyse (Inversul psihanalizei), Paris, Seuil, 1991, p.129-130.

[20] Cl. LEVI-STRAUSS,  La structure des mythes (1955), Anthropologie structurale I, op.cit.

[21] Cl. LEVI-STRAUSS, La potière jalouse (Olăreasa geloasă), Paris, Plon, 1985.

[22] Ibid., p. 243.

[23] Ibid., p. 244.

[24] Ibid., p. 249.

[25] J. LACAN, L’envers de la psychanalyse, op.cit., p. 127.

[26] J. LACAN, Conferinta tinuta pe 2 decembrie 1975 la Massachusetts Institute of Technology, publicata in Scilet, n° 6-7, p. 53-63.

[27] J. LACAN, L’envers de la psychanalyse, op. cit., p. 127.

[28] Ibid., p. 126.

[29] Promisiune tinuta prin publicarea unui prim volum de Eseuri de antropologie psihanalitica : M. ZAFIROPOULOS, Du père mort au déclin du père de famille où va la psychanalyse ?, op. cit.


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MARKOS ZAFIROPOULOS, « LACAN ET LES SCIENCES SOCIALES“. LE DECLIN DU PERE (1938-1953), » ED. IT., “LACAN E LE SCIENZE SOCIALI. IL DECLINO DEL PADRE (1938-1953) “, A CURA E CON INTRODUZIONE DI V. RAPONE E M. BIANCHI, ALPES, ROMA, 2019, 208 P. 211

  1. Da qualche anno la teoria e la pratica lacaniana sono oggetto di una lettura il cui scopo è quello di collocare sulla scena dell’accadere storico lo psicoanalista in posizione di novello maître, di rifondatore del legame sociale, novello Machiavelli, consigliere del Principe, nella supposizione che il suo sapere sia in grado di suturare “in ultima istanza” il campo della fondazione tanto delle soggettività individuali, quanto di quella delle formazioni sociali e politiche. “Restaurare il padre”[1], affinché la socialità possa beneficiare del potere ordinante del simbolico, affinché si possa tornare a leggerla alla luce dei rapporti teorici che la tradizione ci ha consegnato: questo l’implicito di uno stile d’analisi sempre più diffuso e popolare, che si tende a legittimare per il tramite del ricorso all’opera di Lacan. Questa prospettiva, caldeggiata — a dispetto delle dichiarazioni d’intenti — non senza una certa venatura nostalgica da autorevoli interpreti, si autorizza sulla scorta di una diagnostica preliminare dello stato presente delle cose[2]: la realtà contemporanea vedrebbe l’emergere di economie psichiche segnate da debilità, che invocano un intervento, in cui lo psicoanalista gioca il ruolo di maître, di ispiratore del legislatore, se non legislatore in prima persona.

 

Se la psicoanalisi si struttura nel confronto con il rimosso sociale, qui si tratta di giocare la carta della restaurazione di un ordine simbolico costruito sul primato del padre, la cui effettività si presuppone, e lo si fa al fine di limitare la ‘tossicità’ del legame sociale moderno e, quindi, con lo scopo di ridare intellegibilità a quelle “formazioni sintomatiche” che la ‘liquidità’ del nostro tempo rende difficilmente classificabili nel campo clinico così come in quello criminologico. Si assiste, allora, al tentativo di riportare il vivente nei quadri di una soggettività epistemica, alla quale la realtà contemporanea si sottrae in modo quasi sistematico. Violenza non giustificata e gratuita, psicosi ‘ordinarie’, disturbi border-line di personalità, problematiche dell’alimentazione, sintomi psicosomatici, depressione, dipendenze sempre più accentuate da sostanze, oggetti di consumo e da pratiche, nella loro indecifrabilità si costituiscono alla stregua del correlato psicopatologico di una precisa impossibilità, quella, sperimentata in sede penale, di classificare gli individui che si macchiano di determinati reati, riportandoli all’interno di una tradizionale categoria: quella di responsabilità.

Esemplare, in questo senso, il punto di vista di Melman, per il quale l’esito della critica degli effetti del “discorso del capitalista” è quello di rendere  auspicabile il ritorno del patriarcato[3]: l’attualità, con tutto il suo inquietante carico di indecifrabilità, non costituisce il pungolo di una ripresa di tipo critico-decostruttivo della nozione di persona (sia nel campo psicopatologico che in quello del diritto), tale da individuare i limiti della sua costituzione e quelli della sua applicabilità in quanto finzione, ma si auspica la messa in opera di un rinovellato “potere simbolico” per riannodare, a livello dell’istituente, una forma determinata, alle realtà sociali attuali, in nome di un unico imperativo sociale: creare le condizioni di un nuovo riannodamento, costruito intorno a questa persistente nostalgia per un padre assente dalla scena contemporanea.

Questa proposta politica intende coniugare un conferimento di spessore simbolico all’area che presiede i poteri istituenti, in grado di conferire significato, ad una progressiva tabuizzazione della società. Dei ‘tabù’, primo tra tutti quello dell’incesto, si considera come punto di partenza una lettura empirica, in virtù della quale, nella contemporaneità, essi sarebbero destinati ad un’estinzione, finalizzata alla libera circolazione dell’energia libidica. Contro questa deriva, i tabù non andrebbero superati, ma, al contrario, l’esperienza dell’interdizione edipica sarebbe da implementare e da rafforzare con gli strumenti della politica, affinché si riattivi ua sua funzione precisa (che, lo ribadiamo resta sempre un’ipotesi che funziona in un ben preciso dispositivo): quella di produrre desiderio. L’imperativo è: tabuizzare la società, costruire un nuovo senso del limite, a partire dalla costruzione progressiva di tabù, con la precisa finalità di conferire nuovo spessore e nuova linfa alla vita civile e alla politica, sfera predica in senso teologico. Quanto sostiene Moroncini in un suo saggio dedicato al rapporto tra la dimensione del discorso psicoanalitico e la necessità che l’attribuzione soggettiva avvenga attraverso la subordinazione del sapere soggettivo ad un significante che assuma la posizione di “significante maître”, è, sul punto qui al centro della nostra attenzione, assolutamente stringente :

 

Chi oggi si lamenta per la scomparsa del significante maître, cui attribuisce retrospettivamente il compito di porre un freno al godimento sfrenato e senza regole che ne caratterizzerebbe l’attuale situazione storica, scambiando in tal modo il significante maître per il super-io, tradisce di fatto, anche quando se ne fa paladino, il discorso analitico per il fatto di aspettarsi da quest’ultimo non un nuovo significante maître, ma il ripristino di quello precedente[4].

In Italia, sono i contributi di Recalcati ad esemplificare posizioni di questo tipo: Cosa resta del padre? I tabù del mondo, Contro il sacrificio[5] costituiscono, letti sinotticamente, il manifesto di un programma più politico che scientifico, in cui lo psicoanalista, abiurando alla posizione che gli compete, parte dall’indignazione moralistica per assegnare alla pratica psicoanalitica il compito di « rabberciare un legame sociale democratico messo a rischio dalle istanze narcisistiche e individualistiche »[6], finendo col vestire i panni del maître, quelli di un “supposto potere” che trova la sua ratio in una « certa nostalgia del padre, la cui autorità rappresenterebbe l’unico argine alle spinte della dissoluzione »[7].

Negli scritti di Recalcati, in particolare ne I tabù del mondo, si tiene per paradigmatica la posizione espressa da Paolo di Tarso nella sua Lettera ai Romani, in virtù della quale, a partire dall’istituzione della Legge, il desiderio dell’uomo verte su ciò che è stato interdetto dalla comandamento divino, senza la benché minima interrogazione della misura in cui la Lettera paolina costituisca un rimaneggiamento del sistema di quei tabù, propri delle società precedenti le società non inscritte, né iscrivibili nella storicità: la civiltà occidentale considera se stessa storica a partire dalla crocifissione di Cristo. Una volta estratta e assolutizzata una determinata funzione, la promozione dell’alleanza tra Legge e desiderio[8], il dispositivo paolino non è considerato come istituito, e riletto alla luce delle categorie dell’antropologia psicoanalitica, ma come istituente. Quest’analisi, motiva un progetto politico, in cui la società non è più un dato da leggere alla luce di categorie sempre rivedibili in sede teorica, quanto, al contrario, un’entità da riportare ad intellegibilità sulla base di categorie di cui si presuppone il possesso. Perché, ci domandiamo una lettura così povera del fenomeno del tabù e delle sue funzioni regolatrici, tanto rispetto alla vita sociale, quanto rispetto a quella individuale? Si invoca il ritorno sulla scena della “forma legge”, dopo la sua crisi, che nel secolo scorso è stata anche la crisi dello Stato liberale, crisi in virtù della quale, la pretesa ‘purezza’ di questa fonte sarebbe scaduta ad atto amministrativo, essendo nella condizione di regolare non la cittadinanza in quanto tale, quanto, piuttosto, secondo le esigenze dello Stato sociale, classi determinate di cittadini (impiegati, operai, studenti, pensionati, etc…). L’ingresso delle masse sulla scena della storia ne impone la regolazione, e la legge, da “verbo perfetto di Dio”, avrebbe per-vertito se stessa, e, da regolazione che traduce la sovranità popolare in atto imperativo, si sarebbe trasformata in semplice strumento di regolazione sociale. Si associa, non senza un’inflessione moralistica, questa importante trasformazione, che concerne il diritto positivo, ad una trasformazione del regime paterno, che, dal punto di vista simbolico, le sarebbe presupposta: l’ipotesi dell’”evaporazione del padre”, dell’eclisse del padre “in carne ed ossa”, il cui compito storico sarebbe stato quello di incarnare la legge paterna e, a sua volta, la trasmissione simbolica, coniugandola con elementi materiali, è qui funzionale a rendere ragione di una regime di regolazione normatività generalizzante, arida, senza tempo, senza scansione, che può generare, a sua volta, un potere repressivo ancora più capzioso, in cui la “posta in gioco” sarebbe, biopoliticamente, la “nuda vita”. Ecco, dunque, le linee generali di un nuovo progetto politico, di cui la psicoanalisi (o, almeno, quella che si autorizza da sé in questo senso) si fa corifea: riabilitare, non in sede di jus conditum, ma di jus condendum una nuova declinazione del padre, affinché la sovranità politica, da astratta e, in questo senso, ordinamentale, si coniughi con la singolarità, riesca a prendere in carico, costituendolo, il desiderio di ciascuno.

  1. Bisogna riconoscere a Markos Zafiropoulos[9], autore di testi di grande rilievo (oltre a Lacan et les sciences sociales, cit., ci limitiamo a ricordare Lacan et Lévi–Strauss, Puf, Paris 2003, La question féminine de Freud à Lacan, Puf, Paris 2010), fondatore e presidente del prestigioso Cercle international d’anthropologie psychanalytique, il merito di essere non solo tra i più autorevoli lettori di Lacan, quantanche lo psicoanalista che, probabilmente più di ogni altro, ha intravisto la necessità di intendere nella sua portata politica il “ritorno a Freud” di Lacan, operato attraverso l’assunzione del paradigma strutturalista in antropologia e in linguistica. Zafiropoulos, infatti, ci ha reso sin da subito e senza esitazione edotti circa la necessità di guardare con “sospetto”, sulla scia di Freud e Lacan, alla misura in cui quell’”ideale dell’io”, erede della logica totemica, è ingaggiato nelle formazioni sociali, cogliendo la potenziale tossicità di questa presenza, tutt’altro che pacificante: da qui l’importanza dell’acquisizione degli strumenti concettuali messi a disposizioni dalla ricerca strutturalista in antropologia.

A rendere in un certo senso necessaria la pubblicazione in italiano di Lacan e le scienze sociali di Markos Zafiropoulos, più che la “volontà buona”, kantianamente intesa, dei curatori, e, soprattutto, dell’editore italiano, vi è stata dunque la necessità oggettiva di riportare al centro del discorso l’ipotesi strutturale di Lacan, mostrandone l’attualità ed evitando disinvolte scivolate nella direzione della riedizione tanto di un simbolico pacificante, spesso identificato con la legge positiva, così amato da tanti filosofi del diritto, quanto di una figura paterna ritenuta in grado di ordinare, riorientandole, posizioni soggettive e formazioni sociali. Lacan e le scienze sociali, infatti, ripercorre, commentandola con ineccepibile rigore filologico, la produzione giovanile, i primi scritti di Lacan, evidenziando la grande apertura alle scienze sociali, che ne iscrive la ricerca nell’ambito dell’antropologia e della sociologia del suo tempo, e che lo porta, in quella fase, a fissare l’attenzione sulla famiglia, nella convinzione che esistano  rapporti necessari tra costrutti sentimentali della famiglia e complessi inconsci.

Zafiropoulos mostra, con grande maestria e rigore filologico-concettuale, come i lavori precedenti l’avvicinamento di Lacan allo strutturalismo siano fortemente debitori al tentativo di aprire a quegli sviluppi socio-antropologici della prima metà del ‘900 ancora fortemente irretiti nella logica positivistica, ossia imbevuti di un’acritica referenza all’organicismo, sia dal punto di vista scientifico, che politico. In particolare, Lacan e le scienze sociali rende intellegibile la misura in cui alcune formazioni di personalità siano lette nel giovane Lacan alla luce di un certo deficit nella capacità della struttura familiare di veicolare strutture simboliche. In molti punti delle sue ricostruzioni anteriori al suo “ritorno a Freud”, Lacan scioglie il nesso tra individuo e gruppo di riferimento, centrando la sua analisi sulla famiglia, quale entità empiricamente intesa, al punto che svezzamento, intrusione ed Edipo, che possono essere intesi come corrispettivo degli stadi evolutivi della pulsione in Freud, sono rubricati come “complessi familiari”[10]. Quella che Zafiropoulos evidenzia è una prospettiva in cui la famiglia, intesa come deficitaria quanto alla figura del padre, sia stata interpretata come potenzialmente patogena, e come quest’ipotesi sia stata rilevante sia in psicopatologia che in criminologia. Si tratta di una chiave di lettura che trova certamente un solido riferimento in Freud, e Zafiropoulos evidenzia con grande rigore la misura in cui il padre come ideale normativo occupi parte rilevante della sua costruzione teorica, ma anche in quell’antropologia che ritiene che la modernità inveri una riedizione di quell’ipotesi matriarcale, che si presuppone anteriore se non originaria rispetto all’avvento della cultura patriarcale.

A Lacan e le scienze sociali, però, va ascritto anche un altro merito, oltre a quello di aver ben saputo commentare e contestualizzare i lavori di Lacan che precedono il suo “ritorno a Freud” nel quadro del dibattito delle scienze sociali del suo tempo: quello di fornire una chiave di lettura politica di questo dibattito. In particolare, Zafiropoulos mostra quanto all’idea di un progresso disfarsi della famiglia all’interno delle dinamiche novecentesche sia sottesa una nostalgia passatista, intrinseca all’auspicata prospettiva di una ricomposizione ‘organica’ del sociale, e, soprattutto, della famiglia all’interno della società civile. Lo psicoanalista fa valere la sua vasta e profonda conoscenza dei classici della sociologia e associa la teoria dell’impoverimento simbolico della famiglia in Durkheim alla nostalgia passatista e patriarcale di Le Play, e qui fanno da guida e da sfondo teorico i lavori della Scuola di Francoforte sull’autorità e la famiglia, ingegnere-sociologo che le cui analisi sono tutte imperniate sulla figura del padre come moralizzatore delle classi lavoratrici. Ai risultati della ricerca durkheimiana, profondamente imperniati sulla trasformazione del diritto in Francia, e quindi, sull’evoluzione codicistica della famiglia transalpina, si oppongono i risultati della Scuola di Cambridge, che smonta l’illusione familiare-familista di parte della cultura mitteleuropea del secolo scorso, da Restif de La Bretonne a Charles Fourier, da Saint-Simon a Mirabeau, che ha condensato l’ordine naturale, il sacro, nella legge del padre, conferendo ad esso una valenza universale che non le apparterrebbe[11]. Due capitoli, il quarto e il quinto, sono dedicati ad un’attenta disamina teorico-empirica sull’evoluzione e sul dibattito inerente allo statuto della famiglia in Europa, mentre il sesto ed ultimo capitolo analizza le linee della conversione lacaniana allo strutturalismo, inclusiva dell’invenzione della metafora del “Nome del Padre”, datata 1953.

Nella prospettiva qui delineata sulla base della così autorevole ricerca di Markos Zafiropoulos, cosa resta dell’”evaporazione del padre”? Il tema dell’”evaporazione del padre” è trattato da Lacan un’attitudine che non è nostalgica: quando, nel 1968, nel corso del Congresso dell’École freudienne de Paris, viene chiamato ad intervenire su un tema così delicato come quello del rapporto tra psicoanalisi e storia, appone una nota al contributo di De Certeau[12], il cui titolo recita Ce que Freud fait de l’histoire, che riprende e rilegge un importante testo freudiano, Una nevrosi demoniaca nel secolo decimosettimo[13]. In quest’occasione, aggiunge una breve nota all’intervento di De Certeau che aveva parlato di sostituti del padre, con riferimento, chiaramente interpretabile sull’asse Hegel-Kojève, alla Società delle Nazioni. Lacan innanzitutto ribadisce la necessità di pensare l’Edipo (che già in Freud si presenterebbe in una forma tutt’altro che univoca) in rapporto alle condizioni sociali di riferimento, e poi differenzia sostituti e sostituzioni del padre. In particolare, evidenzia come, nell’epoca di quella che lui definisce “evaporazione del padre”, le società a lui contemporanee si caratterizzino non tanto per la loro tendenza all’omologazione, ma che l’universalizzazione del pivot paterno (correlato della sua evaporazione, che non tradurremmo come globalizzazione, dal momento che qui in gioco è, appunto, l’universale più che non il generale) comporti « […] una segregazione ramificata, rinforzata, che fa intersezioni a tutti i livelli e che non fa che moltiplicare le barriere. Cosa – aggiunge Lacan – che rende conto della straordinaria sterilità di quanto può accadere in questo campo »[14].

Si tratta, allora, di opporre le ragioni del rigore teorico, dell’anteriorità temporale e della preminenza logica dell’oggetto della ricerca rispetto alla teoresi, ad una lettura dell’ipermodernismo ‘liquido’, se non matriarcale delle società contemporanee. Di fronte all’attuale configurazione dei “nuovi sintomi”, una parte della critica, in Francia come in Italia, si schiera a favore della restaurazione di forme di autorità, e, prima tra tutte, quella del padre, in aperto conflitto con ciò che si crede possa indebolire l’ordine simbolico, di cui, evidentemente, si presuppone la manipolabilità. Al centro, non si situa più il padre concreto come effetto della funzione fallica, di cui indagare la declinazione storica, ma si attua una strategia inversa: paternalizzare per ordinare funzionalmente. Ciò che si invoca, in questa sede, e che ha motivato la traduzione in italiano di Lacan e le scienze sociali, è la ripresa critica di un rapporto tra struttura simbolica e sua attualizzazione storica, che non misconosca, da un lato, il decentramento essenziale che impone la nozione stessa di struttura rispetto alla posizione di attore sociale e politico, e che, dall’altro, sia in grado di affrontare la contemporaneità a partire da un impianto teorico che sia omogeneo all’ispirazione strutturalista di Lacan, senza che ci si autorizzi (o, peggio ancora, che qualcun altro ci autorizzi) a fare della teoria il pivot di una ristrutturazione politico-sociale, che mancherebbe il compito essenziale di ogni psicanalista di fronte alla società: quello di leggere criticamente il proprio tempo, diagnosticandolo.

[1] Per una ricostruzione critica di questo movimento, cfr. M. ZAFIROPOULOS, Du Père mort au déclin du père de famille. Où va la psychanalyse?, Paris, Puf, 2014.

[2] Come evidenza, in maniera pertinente, Franco LOLLI (Inattualità della psicoanalisi. L’analista e i nuovi ‘domandanti’, Poiesis Editore, Alberobello (Ba) 2019, p. 11: « La richiesta che l’analista si trova a ricevere è sempre più spesso descritta come richiesta generica di aiuto, di indicazioni, di prescrizioni, di sostegno, di comprensione, di risarcimento per i presunti torti subiti. Oppure, come una domanda di ausili (farmaci, in primo luogo) capaci di sedare la sofferenza, senza alcun impegno di elaborazione soggettiva: una domanda persino deresponsabilizzata e caratterizzata dalla passività stagnante di chi la formula. Un tipo di domanda, allora, che mette l’analista, formato all’insegnamento di Sigmund Freud, in una posizione inusuale, sollecitandolo ad una postura che non gli è tradizionalmente propria ».

[3] Ch. MELMAN, L’uomo senza gravità, Bruno Mondadori, Milano-Torino, 2010, p. 110-11.

[4] B. MORONCINI, Lacan Politico, Edizioni Cronopio, Napoli, 2014, p. 84.

[5] M. RECALCATI, Cosa resta del padre? La paternità nell’epoca ipermoderna, Raffaello Cortina, Milano, 2011; I tabù del mondo. Figure e miti del limite e della sua violazione, Einaudi, Torino, 2017 ; Contro il sacrificio. Al di là del fantasma sacrificale, Raffaello Cortina, Milano, 2017. Per quanto Recalcati sostenga che, a proposito del primato del padre nella strutturazione del legame sociale in generale e familiare in particolare: « Non si tratta però, di rimpiangere il suo regno né di decretarne la sparizione irreversibile » (Cosa resta del padre? La paternità nell’epoca ipermoderna, cit., 15), l’assunzione normativa e idealizzante del paradigma della cultura ebraico-cristiana appare, qualche pagina dopo, in tutta evidenza. Il tempo attuale è oggetto non di analisi ma di una critica moralistica, il cui tenore è di non essere all’altezza di un tempo originario, immaginato come in grado di promuovere un’alleanza organica tra Legge e desiderio; infatti: « Nella prospettiva di Lacan, la Legge e il desiderio sono uniti da un comune riferimento all’impossibile. L’interdizione della Cosa materna, che la Legge della castrazione stabilisce, apre al movimento del desiderio. Il testo biblico e il testo freudiano-lacaniano condividono questo richiamo forte all’alleanza tra Legge e desiderio. Ma il tempo ipermoderno azzera nichilisticamente ogni fondamento etico di questa alleanza, mostra la totale inconsistenza di ogni ideale e, di conseguenza, dissolve il Nome-del-Padre come funzione simbolica in grado di arginare il godimento maledetto della Cosa e di promuovere l’unione tra Legge e desiderio », ivi, pp. 19-20. Su posizioni più accorte filologicamente, ma sostanzialmente sinottiche a quelle di M. RECALCATI, C. LICITRA-ROSA, “Padri e figli. Per un bilancio teologico sulla Chiesa e il mondo: 1968-2018”, in Amore e altri scritti, a cura di Francesca Marelli, Pan di Lettere, Roma, 2019, p. 237-261.

[6] B. MORONCINI, Lacan Politico, cit., p. 15, nota 6.

[7] Ibidem.

[8] Per un punto sulla questione così discussa del rapporto tra desiderio e legge, cfr. F. CIARAMELLI, S. THANOPOULOS, Desiderio e Legge, Mursia, Milano, 2016.

[9] Markos Zafiropoulos, psicoanalista e sociologo, è autore di testi di grande rilievo (oltre a Lacan et les sciences sociales, cit., ci limitiamo a ricordare Lacan et Lévi –Strauss, Paris, Puf, 2003, La question féminine de Freud à Lacan, Paris, Puf, 2010) è stato fondatore ed è presidente del prestigioso Cercle international d’anthropologie psychanalitique, che ha sede ed è attivo a Parigi. Per una definizione delle problematiche oggetto del presente intervento, cfr. M. ZAFIROPOULOS, Du Père mort au déclin du père de famille. Où va la psychanalyse?, Paris, Puf, 2014.

[10] In questo senso, per Lacan: « Le connessioni della paranoia con il complesso fraterno si manifestano nella frequenza dei temi di filiazione, di usurpazione, di spoliazione, così come la sua struttura narcisistica si rivela nei temi più paranoidi dell’intrusione, dell’influenza, dello sdoppiamento, del doppio e di tutte le trasmutazioni deliranti del corpo. Queste connessioni si spiegano, in quanto il gruppo familiare, ridotto alla madre e alla fratria disegna un complesso psichico in cui la realtà tende a rimanere immaginaria o tutt’al più astratta. La clinica mostra che effettivamente il gruppo così decompletato è molto favorevole allo schiudersi delle psicosi e che vi si trova la maggior parte dei casi di delirio a due », J. LACAN, I complessi familiari nella formazione dell’individuo, cit., p. 31.

[11] Per una corretta ricostruzione teorica dell’assai complessa questione del rapporto logico e storico, intercorrente tra religione e paternità, cfr. Joseph MOINGT, “Religion et paternité”, Littoral. Revue de psychanalyse, 11\12, febbraio 1984, p. 5-17.

[12] M. de CERTEAU, Histoire et psychanalyse entre science et fiction (1987), trad. it., Storia e psicoanalisi: tra scienza e finzione, Bollati Boringhieri, Torino, 2007.

[13] S. FREUD, Eine Teufelsneurose im siebzehnten Jahrhundert (1922), trad. it., Una nevrosi demoniaca del secolo decimosettimo, in Ossessione, paranoia e perversione. L’uomo dei topi, il Presidente Schreber e altri scritti, con Introduzione di C. Musatti, Bollati Boringhieri, Torino, 1988, p. 357-399.

[14] J. LACAN, Nota sul padre e l’universalismo, in “La psicoanalisi”, 33, 2003, p. 9.


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LES ENJEUX INCONSCIENTS DE LA HAINE ET LE SIGNIFIANT FAVELA – Renato SARIEDDINE-ARAUJO

« […] nous franchissons l’abîme qui sépare la psychologie individuelle de la psychologie collective et nous pouvons traiter les peuples de la même manière que l’individu névrosé. »

  1. Freud, Moïse et le monothéisme

Introduction Qu’arrive-t-il à la culture imposée par le colonisateur dans un pays envahi ? Que deviennent les questions inconscientes du colonisateur dans les institutions qu’il établit ? Difficile d’imaginer que le malaise ibérique ait pu simplement s’évaporer sous la chaleur des tropiques sud-américains. Les institutions portugaises et espagnoles, ses fonctionnaires, autorités royales et catholiques étaient les douaniers d’une culture et d’une pensée qui faisait loi au Brésil. Cela eu lieu à la période la plus paranoïaque du Saint Office, quand il brûlait des gens publiquement. Quelles conséquences sur les institutions brésiliennes une fois le pays indépendant ? Nous nous demandons en quoi l’histoire de l’antisémitisme ibérique peut nous renseigner sur le signifiant favela, quand on souhaite en dégager certains aspects des enjeux inconscients qui alimentent la haine que les institutions lui attribuent.

Nous allons évoquer certains faits éparpillés au long des siècles et en plusieurs pays, en commençant par la péninsule ibérique, surtout après 1492, quand l’Espagne a créé des masses d’exilés juifs. À certains moments, les tout-puissants inquisiteurs étaient capables de remonter scrupuleusement une bonne vingtaine de générations dans la généalogie des accusés à la recherche d’une goutte de sang juif. La lecture la plus essentielle de ce genre d’évènement montre que les persécutions, confiscations de biens, humiliations, tortures et assassinats promus par les États étaient, avant tout autre chose, le fait d’institutions radicales et criminelles. Dans la péninsule ibérique, au temps de la colonisation, on a brûlé plusieurs milliers de personnes à un rythme terrifiant, et nombreux sont ceux qui cherchèrent asile au Brésil. L’historiographie et la littérature brésiliennes qui décrivent le pays et sa fondation renvoient à cette vieille et lointaine thématique, et le mot favela y figure, avant même de donner son nom aux bidonvilles.

Difficulté méthodologique

Il y a en effet des siècles et un océan séparant la culture antisémite ibérique et la haine des institutions brésiliennes envers les favelas. Dans un premier abord, et surtout en considérant le souci de rigueur de certains historiens, on ne devrait pas penser à les associer. Yerushalmi et Carnaud[1] réfléchissent à propos d’un sujet qui s’en approche, ou qui présente du moins une analogie avec cette problématique. Ils font référence à la possibilité de comparer les événements antisémites de la péninsule ibérique, de type religieux avec ceux qu’a connus l’Allemagne, de type laïc. De nombreux historiens, disent-ils, sont fort soucieux de ne traiter que séparément les grandes vagues anti-juives, dont certaines différences sont soulignées. Commençant par les trois différentes époques de l’antisémitisme qui les distingueraient — l’ancienne, la médiévale et la moderne — les auteurs déduisent encore d’autres causes qui rendent difficiles les comparaisons des grandes vagues anti-juives entre elles car elles sont, notamment, religieuses, laïques, sociales, politiques et raciale.

La complexité historique des faits est aussi en relation avec les lieux où se sont déroulées les différentes concentrations des violences de ce type. Dans la péninsule ibérique, les vagues de conversion les plus marquantes ont eu lieu en Espagne en 1391, 1413 et en 1492 ; au Portugal, en 1497, quand Manuel Ier décrète la conversion forcée de tous les juifs du royaume lusitanien, y compris ceux qui avaient fui l’Espagne cinq ans plus tôt.[2]

Soyer[3] stipule qu’environ 55.000 juifs ont migré de l’Espagne vers le Portugal en 1492. Beaucoup ont été refusés aux douanes portugaises, et ont dû chercher un autre destin. Les drames n’en finissaient pas de s’enchaîner : à cette période, les exilés furent encore lourdement touchés par une des pestes les plus mortelles de l’histoire de la péninsule. Une fois arrivés au Portugal, les juifs espagnols ont été placés dans des camps de réfugiés dans la plus complète précarité et sous une stricte surveillance policière. Malgré toutes les mesures répressives mises en place, une explosion « de violents sentiments anti-juifs de la population chrétienne au Portugal »[4] eut lieu. On les inculpait de toutes sortes de faits, on les prenait pour des objets toxiques et on leur attribuait la cause du malaise et de l’angoisse.

Pour certains savants, observent Yerushalmi et Carnaud, l’antisémitisme de la péninsule ibérique du XVe au XVIIIe siècle, et celui de l’Allemagne moderne (XIXe et XXe siècles) ne sont pas des faits comparables. Il ne serait pas judicieux de les comparer parce qu’il n’y aurait pas eu, en autres raisons, de racisme dans la péninsule ibérique, comme ce fut le cas pour l’Allemagne, alors que le phénomène allemand n’aurait pas eu la dimension religieuse fortement marquée du Portugal et de l’Espagne.

Pour autant, selon Yerushalmi et Carnaud, les détails historiques font plutôt penser à l’inverse : si elles conservent des différences, les vagues antisémites ont aussi des liaisons multiples. Ils font appel au poème Donna Clara, de Heinrich Heine pour illustrer leurs propos. Je ne rentre pas dans les détails, mais le protagoniste, un cavalier, se présente à une jeune fille espagnole, antisémite qui ignorait être en face du « fils du savant et vénéré grand rabbin Israël de Saragosse. »[5] À cela, Yerushalmi et Carnaud ajoutent ne pas avoir

besoin de vous le rappeler [que] celui qui se dissimule derrière ce cavalier n’est autre que Heine lui-même, juif allemand converti à une époque où la conversion ou autres tentatives de complète assimilation étaient monnaie courante. […] Heine a pu trouver dans de lointains événements survenus en Espagne un paradigme susceptible d’éclairer sa propre condition existentielle et celle de bien d’autres de ses semblables.[6]

Après 1497, alors que, faute de vrais juifs, il n’y avait que des conversos au Portugal, un changement se produisit. L’objet de la haine n’était plus le même. Désormais on ne distinguait plus entre juifs et chrétiens, mais entre vieux et nouveaux chrétiens.

Tant que les juifs étaient restés au sein de leur religion ancestrale, [observent Yerushalmi et Carnaud], il avait été facile de les contenir dans d’étroites limites grâce à des lois restrictives. Or, du jour au lendemain, pour ainsi dire, l’ensemble de la législation antijuive a cessé de s’appliquer au groupe énorme que formaient les conversos.[7]

Selon le développement de la législation inquisitoriale et son application, quasiment tous pouvaient devenir suspects, même ceux qui ne l’imaginaient pas. Est-ce que les calculs théologiques prévoyaient que la conversion complète réglerait la question du malaise, qu’il n’y aurait plus d’angoisse au royaume et que le rapport à l’Autre serait apaisé ? Si ce fut le cas, cela n’a définitivement pas marché. C’est ce qu’on pourrait déduire en regardant ce moment de l’histoire à l’aide du prisme freudien[8] selon lequel les hostilités et les affronts à la civilisation signalent culpabilité, angoisse et malaise. Or, les persécutions et les crimes commis contre les supposés hérétiques ont continué dans la péninsule.

L’assimilation totale a fait les nouveaux et les vieux chrétiens égaux au regard de la loi, ce que les vieux chrétiens n’ont pas toléré : la méfiance « céda alors la place à une crainte encore plus alarmante, celle du converso, ennemi intérieur. »[9] On avait déjà essayé différentes formules d’oppression comme méthode pour résoudre le malaise, mais la culpabilité dans la péninsule s’adapta aux nouvelles circonstances, organisant d’autres métaphores de la haine. À chaque fois les lois et les politiques antisémites devaient faire preuve d’inventivité pour trouver le coupable, au prix de conceptions qui excédaient largement les limites des textes sacrés, pour chercher encore plus loin la source de l’angoisse.

Notre recherche s’appuie sur l’historiographie, mais nous sommes néanmoins dans un autre domaine qui demande un autre genre de rigueur. Bien que certains historiens regardent avec méfiance l’association d’évènements éloignés, tels que ceux que notre propre recherche nous suggère, nous allons avec Freud aller encore plus loin dans cet effort. Les écarts dans le temps, lieux et contextes sont énormes, mais Freud sera conduit à proposer un lien rassemblant toute l’humanité au fil d’une même histoire. Cela pourrait peut-être apporter certains éléments de réponse aux questions par lesquelles ce texte est introduit. Or, il n’y a pas eu la moindre vague « autochtone » d’antisémitisme brésilien, la haine s’instituant surtout par l’esclavage transatlantique[10]. Mais pourtant le mythe et les recherches de Freud, et l’appui de l’historiographie suggèrent clairement qu’un rapport s’établit entre la haine portée par les institutions antisémites de la péninsule ibérique du passé et le rapport haineux des institutions brésiliennes aux favelas. Pour revendiquer ces associations, il y aurait au moins deux changements majeurs à considérer : l’identité du sujet du malaise (le sujet du crime) et l’objet de l’angoisse, soit les victimes de ses crimes de masse. Est-ce possible ?

La thématique renvoie aux propriétés du symptôme, comme aux classiques de la criminologie psychanalytique. Aichhorn, spécialiste de la délinquance juvénile, qui appelle carence ce que Freud (1929) appellera quelques années plus tard malaise, observe que :

Lorsqu’une combinaison de forces psychiques se voit simplement barrer une possibilité d’expression, alors que persiste la combinaison des énergies qui la conditionnent, elle peut, suivant la trace d’une résistance moindre, emprunter une nouvelle direction et […] la manifestation de carence maintenue réprimée sera remplacée par une autre : il est possible de voir survenir un symptôme nerveux. Mais il semble bien plus fréquent qu’intervienne une intensification venue d’on ne sait où ; car après une période d’existence parfaitement sociale, les manifestations carentielles originales réapparaissent, mais désormais plus solidement ancrées, plus profondément fondées, plus prononcées et renforcées. Nous avons l’habitude d’avoir affaire, dans le cadre de l’éducation spécialisée, à une deuxième édition de ces manifestations de carence.[11]

Absolument rien ne laisse croire que les victimes, les habitants des favelas, soient juifs, ni descendants de conversos[12]. Du reste, la République (fondée en 1889) dont l’instauration précède la signification actuelle du mot favela, n’a jamais fait de campagnes de persécution contre les juifs brésiliens. D’ailleurs, le statut d’égalité entre juifs et chrétiens fut établi dans l’empire lusitanien par le marquis de Pombal en 1773. Ensuite, les bourreaux brésiliens n’ont absolument aucune filiation avec une branche quelconque de l’Église qui puisse stimuler l’antisémitisme. Les identités ne sont donc absolument pas les mêmes, l’objet de l’angoisse non plus mais l’histoire nous fournit une séquence d’évènements qui nous a conduit à la thématique de l’antisémitisme, bien qu’il ne s’agisse pas d’antisémitisme. L’ensemble des faits historiques qui renvoient à l’inconscient sont spécialement éclairés par Totem et tabou, mais aussi mis à l’épreuve par Freud selon la démarche anthropologique déployée dans Moïse et le monothéisme. En bref, si pour Freud l’histoire de la fondation du peuple juif ainsi que de la haine envers lui est un genre de répétition à travers les siècles du mythe du parricide primitif, c’est aussi à ce complexe inconscient que l’histoire et le signifiant favela nous renvoient.

Favela, lieu de la haine et du crime

« – Homme en noir, quelle est ta mission ?

– Envahir la favela et laisser des corps par terre.

– Homme en noir, à quoi viens-tu ici ?

– Je viens faire des choses qui font peur à Satanas. »[13]

(Chant de policiers brésiliens)

Nombre de représentants de l’État font toujours référence implicitement ou directement au signifiant favela en lui attribuant à peu près un même sens, ou une signification assez proche. En 2008 le gouverneur de l’État de Rio de Janeiro, faisait son plaidoyer pour l’avortement comme méthode de lutte contre la criminalité. « Quand on regarde, disait-il, le nombre d’enfants par mère dans les [beaux] quartiers Lagoa Rodrigo de Freitas, Tijuca, Méier et Copacabana, c’est comme en Suède. Tandis que [la favela] Rocinha, c’est comme en Zambie et au Gabon. C’est une fabrique de délinquants. »[14]

L’homologue du préfet de police de l’Etat de Rio de Janeiro, connu pour la létalité de ses méthodes policières — en soutien à son gouverneur — ajoute que « les favelas sont peuplées de légions d’exclus qui ignorent l’État et ses lois. Le délinquant se fait dans cette culture déjà dans le ventre de sa mère. Il côtoie des gens armées, portant grenades et pistolets. […] Il faut considérer cela avant de faire l’analyse [des violences policières]. »[15]

Plus récemment, l’actuel gouverneur de Rio (mandat 2018-2022) annonçait le renouvellement des méthodes de combat contre le crime. Il prônait que les policiers devraient désormais abattre immédiatement les suspects dans les favelas, avec l’assurance de l’appui juridique qu’il leur apporterait désormais. « Comme gouverneur, ma consigne aux policiers, disait-il, c’est d’agir dans tous les termes de la loi. »[16] Annonçant ainsi que ces meurtres seraient légaux d’après sa propre « herméneutique » acquise au long de sa carrière de juge.

Dans le contexte national, lors de sa campagne, l’actuel Président proposait la création d’une loi dite d’« exclusion d’illicite ». Selon les commentaires d’un juriste, cette loi fait en sorte que « les policiers qui tuent pendant le travail n’aient pas à rendre compte à la justice » ; il observe encore que cela n’est pas nouveau, car « l’Armée et le président Temer [le prédécesseur] demandaient déjà plus de protection juridique pour les militaires […] écartant la punition pour les actes et les morts causés en opération. »[17]

Parmi les institutions, les forces de l’ordre sont celles où on voit le rapport le plus radical envers le signifiant favela. Durant l’année 2018, selon les données officielles, 6220 personnes ont été assassinées par les polices brésiliennes[18]. Le reportage précise qu’un tiers des 1589 personnes assassinées dans l’État de Rio, pendant les dix premiers mois de 2019, ont été victimes de policiers. Une étude[19] quantitative récente faite à Rio informe que les opérations policières dans les favelas ont été réduites de 74% à cause de la quarantaine liée au Covid-19. Les chercheurs ont vérifié que durant les deux premières semaines de réduction des activités policières, du 15 au 30 mars 2020, les homicides ont chuté de 60%.

À titre de comparaison épidémiologique, en France, selon les données du Ministère de l’Intérieur[20], il y a eu 970 homicides en 2019. Les taux pour 1000 habitants variant de 0,049 pour la Corse à de 0,010 pour la Bretagne. Au Brésil, selon l’IPEA, il y a eu en 2019 41.635 homicides, les taux les plus faibles concernant l’État de São Paulo (0,103 pour 1000 habitants) et les plus élevés se rapportant à l’État du Rio Grande do Norte (0,628). Ce même rapport indique qu’en 2017, 65.602 homicides ont été officiellement recensées au Brésil et que 75,5% des victimes de meurtres avaient la peau noire. Ce n’est pas anodin, et la question raciale concerne le signifiant favela, car ce sont surtout les personnes de peau noire qui vivent dans les favelas. Les données sur les faits de ce genre ne manquent pas, bien au contraire, elles sont répétitives et monotones. Elles suffisent pour illustrer la question.

 

Une plante

À l’origine, favela (Cnidosculus Phillacanthus) n’est pas autre chose qu’un arbuste très difficile à cultiver bien que de grande utilité. Le sertanejo, l’habitant du sertão, région du Nord-Est brésilien où pousse la favela, fabrique une farine et une huile de cuisine de bonne qualité à partir du grain de son fruit. Sa racine est également nutritive et utilisée dans l’alimentation humaine. Un remède de bonne réputation est produit du liquide laiteux de son tronc. Le bétail, surtout les chèvres, se nourrissent du fruit et des feuilles de la favela pendant les périodes de sécheresse.

Les botanistes décrivent la favela comme :

 

terriblement armée d’épines urticantes en tous ses organes aériens : tronc, branches, feuilles et fruits. Ses épines sont très redoutées puisqu’au contact des personnes ou des animaux elles causent des blessures et des inflammations douloureuses, persistantes et menant souvent le membre touché au handicap. […] c’est une plante d’une flore tourmentée, un végétal d’une extraordinaire résistance à la dureté du climat ardent du Nord-Est brésilien. Elle pousse sur un sol inhospitalier, sec, pierreux, dégarni de toute couverture végétale qui puisse la protéger de l’irradiation et de la chaleur. Avec d’autres (…) elle forme la végétation qui caractérise le sertão[21].

Pour établir le lien entre la plante du sertão et les bidonvilles brésiliens, mais surtout entre le signifiant favela et la signification que lui attribue l’État, il faut consulter la littérature qui renseigne l’histoire. L’ouvrage d’Euclides da Cunha, Os sertões, a guerra de Canudos, traduit en français sous le titre Hautes terres : la guerre de Canudos[22], est le principal témoignage de la guerre de Canudos, un genre de carnet de bord, où l’auteur note aussi ses réflexions et ses positions, sans doute sujettes à la polémique, mais l’essentiel c’est qu’il a pu synthétiser l’esprit criminel des institutions.

Pendant la guerre, da Cunha a pris le temps d’observer la favela, parmi des milliers d’autres végétaux et de l’inscrire dans son livre, bien avant le baptême des bidonvilles, un peu comme un poème sur une plante aux

feuilles allongées et riches de vascularisation, dotées d’une notable capacité à condenser et à absorber l’eau tout autant qu’une capacité de se défendre. Le soir, un côté de l’épiderme de la feuille se refroidit bien au-dessous de la température de l’air. Elle provoque, malgré la sécheresse environnante, des amas de vapeurs d’eau. De l’autre côté, la main qui la touche, touche une plaque chaude incandescente, ardente et insupportable »[23].

La guerre de Canudos

Canudos fut une ville fondée par un pèlerin qui rassemblait les foules des gens humbles du sertão. Cunha explique en détails qu’en face de Canudos, ville combattue par l’État brésilien, il y avait la colline Favela sur laquelle poussait en abondance la plante homonyme, naturelle de la région. La colline fut le bastion militaire où s’est joué le destin de cette guerre. L’Armée brésilienne n’a pu s’imposer sur Canudos qu’après avoir réussi à poser sur le mont ses puissants canons anglais. Récemment acquis, ces armes étaient exhibées comme preuve matérielle du progrès républicain, aux antipodes des gens de Canudos, présentés comme le symbole même du primitif qui tire la nation en arrière. L’Armée n’a pu éliminer jusqu’aux derniers résistants de Canudos qu’après quatre campagnes militaires majeures.

Au bout des trois premiers échecs militaires, Cunha décrit une nation complètement émue, effrayée et exaltée. La République des militaires — ayant récemment pris de force le pouvoir — se vendait comme l’incarnation même de l’avenir et du progrès. Le peuple de la République, choqué, ne comprenait pas comment cela était possible. Comment l’Armée, exaltée comme fleuron de cette République, pouvait être vaincue et humiliée en voyant ces « fous arriérés » « envahir scandaleusement l’Histoire »[24] ?

Cunha endossait le discours des pseudosciences ouvertement racistes qui dominaient les milieux académiques brésiliens. Il explique que les gens du sertão étaient inférieurs en raison de leur culture et religion supposées primitives[25], mais aussi du fait de leur « race » décrite comme trop noire et pour cela inférieure. Cunha se revendique de cette pseudoscience pour expliquer le phénomène déclenché par Conselheiro ; soit : un mélange dégénéré des différentes races. Elles sont classées en ordre décroissant par ce discours prétendu scientifique, qui attribue qualité et valeur à chaque race ou métissage, selon les gradations de pureté. L’Européen le plus blanc et catholique est présenté comme ce qu’il y aurait de mieux au monde, contrastant avec les autres races, celles des gens de Canudos supposée arriérés. Ces propos reflètent la position d’où part Cunha, son regard sur les gens de Canudos. Néanmoins, vers la fin de son ouvrage, mais sans revenir sur de tels propos pseudoscientifiques, il tisse des commentaires et des témoignages qui les contredisent. Ce genre de position raciste ne tient plus, c’est un texte qui porte cette contradiction en lui. Cunha a été profondément impressionné par les gens de Canudos, par leur bravoure sur le champ de bataille, leur capacité de résistance et profondément choqué par le crime immense commis par l’État.

La République a fait tout son possible pour justifier le carnage, pour refouler l’événement, les crimes commis et la culpabilité qui leur revient, et cela même de façon très littérale. Or, nous savons bien que Freud a emprunté le terme « refoulement » au phénomène étudié par la géologie qui désigne le mouvement tectonique d’une plaque qui en refoule une autre sous sa masse. La ville de Canudos fut après la guerre complètement incendiée et ensuite submergée par l’eau du barrage construit par décision des militaires.

Le Conselheiro

Canudos fut fondée par Antônio Vicente Mendes Maciel[26], dit Conselheiro, le Conseiller. Un pèlerin qui marchait dans le Nord-Est brésilien en prêchant sa théologie, voire sa religion, pour le peuple. Il s’installa à Canudos, endroit d’accès difficile et très isolé dans le sertão après avoir été attaqué par un groupement de la police locale. À l’occasion il fut protégé par les fidèles. Conselheiro et sa « nation » ne reconnaissaient pas les lois de la République et ne lui payaient pas d’impôts.

Pour la République, sa simple existence était une grave provocation et suffisait pour la remettre en question. La République avait effectivement du mal à se justifier vis-à-vis de l’ensemble du pays, car elle avait été mise en place par un coup d’État, délibérément orchestré par les élites qui renversèrent la monarchie en réponse à l’abolition de l’esclavage[27]. Conselheiro n’avait pas l’intention de disputer le pouvoir des institutions, comme c’était le cas de nombreux mouvements de révolte, mais la presse le laissait entendre.

Selon les historiens, Canudos, ou Belo Monte, comme l’a baptisé Conselheiro, s’organisait, sur des principes d’une gestion communautaire, à base de troc[28]. Certains disent que la ville abritait environ 5.000 habitants, d’autres 30.000 ce qui était très significatif dans une région de basse concentration populationnelle. A son essor, ce fut la deuxième ville de l’État de Bahia et elle maintenait d’importants échanges commerciaux avec l’extérieur. Les lettres des grands propriétaires fonciers récupérées dans les archives réclament aux autorités policières d’en finir avec Canudos, en raison du manque de main d’œuvre dans les grandes fermes de toute la région. La plupart des habitants de Canudos étaient des gens de couleur, qui avaient jusqu’à très récemment vécu sous l’oppression cruelle de l’esclavage[29], jusqu’à son abolition, en 1888, sans qu’ait été jusqu’alors expérimentée une transformation significative des rapports de force et de travail.

Selon le témoigne de Cunha, l’objectif de l’opération militaire de Canudos était tout simplement celui de massacrer la population, ce qui s’est concrétisé à la fin de la guerre. La consigne des officiers était d’exécuter immédiatement les combattants. Vieillards, femmes et enfants faits prisonniers furent regroupés et éventrés au couteau, l’un après l’autre. Ce fut une besogne très lente où les victimes attendaient leur tour en regardant l’horreur en face. Sachant que pour les gens du Sertão, la mort au couteau était une fin indigne qui jetait une malédiction sur la vie d’après, les militaires proposaient aux victimes de les assassiner par un tir d’arme à feu en échange d’un « vive la République ! ». Quasi tous ont refusé, clamant plutôt le nom de Conselheiro. Quelques femmes furent vendues dans les bordels, ou soumises à l’esclavage officieux. De nombreux enfants qui furent pris ou vendus pour une « adoption » subirent le même destin. L’Armée pensait peut-être que la conversion sauverait l’âme de ces nouveaux convertis ?

Favela, nom des bidonvilles

La guerre terminée, les soldats — des gens d’origine très humble, sans doute de nombreuses anciennes victimes ayant survécu à l’esclavage — rentrent à Rio de Janeiro en attendant le logement promis par le gouvernement en cas de victoire face à Conselheiro. Ils n’ont jamais reçu leur maison, mais se sont installés provisoirement sur la colline de la Providência, propriété du Ministère de la Guerre[30].

Les vétérans de Canudos sont restés sur place, à l’image des gens qui jusqu’à très récemment étaient sous le joug de l’esclavage et peuplaient d’autres collines de Rio, et ailleurs au Brésil. Teresa Carreteiro, professeur à l’Université Fédérale Fluminense, nous a dit à l’occasion — de manière informelle — que les soldats revenants de Canudos avaient trouvé une plante sur la colline de la Providência à Rio, qui ressemblait à la plante favela du mont du même nom, et qu’il existerait un livre précisant ces détails, mais nous n’avons malheureusement pas pu le consulter.

Le crime de vol comme une métaphore du parricide

Dans son travail sur Conselheiro, Barreto examine l’historiographie du contexte régional et local dans lequel Conselheiro est venu au monde. Elle fait part d’une méfiance assez particulière des institutions vis-à-vis des habitants de la région. Elle associe la signification attribuée à l’accusation du crime de vol dans le sertão, à l’accusation inquisitoire de crypto-juif.

La présence, [dit-elle], de nombreux nouveaux chrétiens dans la colonisation du Nordeste brésilien dès les premières années de l’installation de l’entreprise portugaise eut l’effet de fixer le vol comme l’un des plus graves crimes d’honneur, indiquant les origines douteuses de ceux qui le pratiquaient. Le vol est donc un signifiant de l’histoire refoulée du judaïsme dans la formation du peuple du sertão.[31]

Barreto fait référence à une tension fondatrice des institutions coloniales où les vieux chrétiens qui se voyaient comme « seuls et légitimes héritiers de tous les privilèges »[32], cherchaient à identifier les nouveaux chrétiens. Dans la culture des colonisateurs il y a eu cependant un déplacement sémantique concernant l’identité des supposés responsables du malaise dans la civilisation, surtout après la fin de la persécution officielle des nouveaux chrétiens. Pour les colonisateurs vivant au Brésil, les criminels auxquels on imputait alors la cause du malaise n’étaient plus les juifs, voire même les crypto-juifs, ni exactement les nouveaux chrétiens.

Dans ce sens, l’histoire personnelle de Conselheiro est très éclairante et Barreto observe, pour faire la lumière sur la figure historique, que sa famille était prise dans une séquence héréditaire de vendettas criminelles qui faisait rage dans la région. Cet événement que nous synthétisons ici, illustre la question. Le conflit de sa famille avec une autre commença le jour où les aïeux de Conselheiro furent accusés de vol par leurs voisins.

D’après Barreto, ce vol n’avait très vraisemblablement pas eu lieu. Mais, selon cette logique, la cohérence et la véracité matérielle de cette fausse accusation n’était pas vraiment un problème, car ce n’était pas exactement de vol dont on les accusait. Effectivement, l’accusation en question, ce à quoi ce crime fait référence, ne peut pas avoir de véritable matérialité. On pourrait faire référence au lexique catholique pour éclairer la question, en se demandant comment peut-on prouver — matériellement — que les juifs seraient les assassins de Dieu ? Pourtant cette accusation a déterminé l’histoire pour des millions de personnes pendant plus d’un millénaire. Traduit dans le vocabulaire du mythe freudien, c’est-à-dire dans l’inconscient, cette accusation n’est autre que celle de l’assassinat du père inconscient.

La pensée freudienne fait la lumière sur l’événement obscur dont on accuse l’autre, quoiqu’elle appartienne à la scène inconsciente de l’accusateur. Il représente métaphoriquement les difficultés subjectives du rapport du sujet au désir. Ce rapport prend les formes les plus variées dans la vie individuelle, collective et culturelle. L’accusation de vol des aïeux de Conselheiro renvoie non seulement à l’accusation de parricide portée par les catholiques envers les juifs, mais aussi au crime de Totem et tabou et à toute l’organisation mise en place : on n’assume pas d’avoir participé au parricide, on n’avoue pas la haine envers le père. Au même temps, tout ce qui représente la haine envers le père inconscient reste refoulé car immoral, mais la culpabilité est déplacée sur autrui.

 

La thèse freudienne lue par l’historien

La rigueur qui rend difficile les comparaisons entre les événements devra néanmoins être très relativisée, voire dépassée si elle est regardée du point de vue de la mythologie freudienne de l’inconscient. Yerushalmi reprend la position freudienne qui invite les historiens à réfléchir sur cette dimension des évènements, dans son dernier ouvrage, le Moïse de Freud (1991). Pour Freud, dit-il, le polythéisme serait un moment subjectif de l’humanité précédant le monothéisme ; le polythéisme serait l’effet du refoulement du père et de son meurtre. Freud, dit Yerushalmi, voyait le monothéisme fondé :

sur le retour, dans la conscience collective, du souvenir longtemps refoulé du père primitif, la réinterprétation freudienne de l’histoire juive, poursuit-il, ne s’arrête pas à Moïse, [… qui] créa les juifs et le judaïsme en leur restituant à eux seul le père. Après sa mort, cette révélation subit, à son tour, le destin du refoulement et ne sortit de son état de latence dans l’inconscient qu’avec les prophètes, dont l’enseignement allait devenir le patrimoine de l’ensemble du peuple juif. […] le retour du refoulé ne fut que partiel. Le père revint, mais non le souvenir de son meurtre. Même l’assassinat de Moïse, répétition du meurtre archaïque, ne parvint à parachever l’anamnèse. Pour que le souvenir refoulé du meurtre originaire et, par voie de conséquence, celui du meurtre de Moïse réapparaissent à la conscience, il fallut une troisième répétition. Ce qui ne se produisit que bien des siècles plus tard et de façon hautement déguisé, avec la mise à mort de Jésus.[33]

Nous retenons aussi que, pour Yerushalmi — qui cite Freud à plusieurs reprises dans le passage retranscrit ci-dessous — le judaïsme a intériorisé le Père et refoulé le

puissant sentiment de culpabilité dont l’origine archaïque demeura occultée. Ayant la vague intuition que « nous sommes si malheureux parce que nous avons tué Dieu le Père », c’est à Paul qu’il revint de proclamer sa découverte « sous le déguisement illusoire de la Bonne Nouvelle : “Nous sommes affranchis de toute faute depuis que l’un de nous a sacrifié sa vie pour nous racheter“. « Cette formulation, poursuit Freud, ne mentionnait bien entendu pas la mise à mort de Dieu [le père primitif], mais un crime qui devait être expié par le sacrifice d’une vie ne pouvait avoir été qu’un meurtre. » La notion « vague d’un péché originel » ne recouvrait rien d’autre que ce « crime indicible ». En ce sens – « c’est-à-dire, sous le rapport du retour du refoulé — et à partir de ce moment, la religion juive fut en quelque sorte un fossile ». Le destin du judaïsme fut de rester une « religion du Père », celui du christianisme d’être une « religion du Fils », dans laquelle le Fils, déifié, usurpa de fait la place du Père. […] Sous le grief fait aux Juifs « vous avez tué notre Dieu » […] se dissimule un reproche inconscient. En effet, « rapporté à l’histoire des religions, il veut dire : “vous ne voulez pas avouer que vous avez assassiné Dieu (l’image primitive de Dieu, le dieu primitif et ses réincarnations postérieures)… A vrai dire, nous avons fait de même, mais nous l’avons avoué et depuis lors nous sommes absous“. »[34]

Yerushalmi tire de sa lecture que, pour Freud, « le véritable pouls de l’histoire bat très profondément sous sa surface manifeste, et la fable décisive est celle de la révolte contre le père. »[35] La révolte, est celle autour de laquelle on voit le sujet faire ses symptômes, fantasmer ses drames et désirs inconscients. Effectivement, Freud observe dans son travail sur le peuple juif, que le désir d’aller à l’encontre des lois peut se répéter dans l’Histoire comme il le répète dans le fantasme, — par ex. désirer battre ou être battu — en raison d’une culpabilité inconsciente.

Quand la culpabilité du crime inconscient s’actualise en acte criminel chez les sujets d’une masse, les membres séduits par les idéaux peuvent se leurrer avec la tentation caractéristique des groupes essayant de se libérer de leur responsabilité individuelle sur leurs propres questions inconscientes[36]. Ils repèrent un coupable selon les circonstances, l’accusent et le punissent pour la faute qui est la leur, même si celle-ci est inconsciente. S’agissant des masses, disait Lacan, les sujets du crime font « assumer la responsabilité au groupe qui couvre l’individu. »[37] Il n’est donc pas anodin que les pratiques pénales peuvent être tout à fait irrationnelles et complètement dépourvues de sens pour l’observateur extérieur. L’Inquisition en est un exemple. Comme l’est aussi la violence de l’État envers les favelas.

[1] Y. YERUSHALMI, J. CARNAUD, (1993) « L’antisémitisme racial est-il apparu au XXe siècle ? De la limpieza de sangre espagnole au nazisme : Continuités et ruptures », Esprit, 1993, vol. 190, n°3-4, p. 5-35. En ligne : www.jstor.org/stable/24276503, consulté le 10 mai 2020.

[2] Ibid.

[3] F. SOYER, « Le royaume du Portugal et l’expulsion des juifs d’Espagne en 1942 », in M. F. L. de BARROS & J. HINOJOSA MONTALVO (dir.). Minorias étnico-religiosas na Península Ibérica : Período Medieval e Moderno. Nouvelle édition [en ligne]. Universidade de Alivante, Universidade de Évora : Publicações do Cidehus, 2008, pp. 325-347. En ligne : http://books.openedition.org/cidehus/220, consulté le 10 mai 2020. Selon l’auteur d’autres sources indiquent des chiffres allant de 300.000 à 800.00 personnes.

[4] Ibid, p. 325.

[5] HEIN cité par YERUSHALMI et CARNAUD, (1993), op, cit., p. 7.

[6] Ibid, p. 7-8.

[7] Ibid, p. 12.

[8] S. FREUD, Malaise de la civilisation (1929). En ligne :

http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/malaise_civilisation/malaise_civilisation.pdf, consulté le12 mai 2020.

[9] YERUSHALMI et CARNAUD, (1993), op, cit., p. 14.

[10] Au sujet de l’esclavage en Amérique, voir : D. DUCLOS, « Expliquer enfin la haine envers les Juifs ». En ligne : http://www.geo-anthropology.com/Expliquer-enfin-la-haine-envers-les-Juifs-Why-such-a-hatred-towards-the-Jews_a62.html, consulté le 10 mai 2020.

[11] A. AICHHORN, Jeunes en souffrance : Psychanalyse et éducation spécialisée, Nîmes, Champ social, 2005, p. 39.

[12] Euclides da Cunha, qui sera évoqué plus tard, dit avoir reconnu des gens à la physionomie juive, parmi les résistants capturés de Canudos. C’est évidemment une considération imaginaire et appuyée sur des principes eugénistes donc racistes, pourtant il est fort probable que des descendants de conversos espagnols et portugais puissent avoir trouvé accueil à Canudos. Possiblement, sans avoir forcément connaissance de l’histoire religieuse de leurs ancêtres. Ce fait n’avait strictement aucune relevance pour les autorités républicaines.

[13] L. E. SOARES et al., Elite da tropa, Rio de Janeiro, Objetiva, 2006.

[14] Reportage en ligne : http://g1.globo.com/Noticias/Politica/0,,MUL155710-5601,00.html, consulté le 09 mai 2020.

[15]Reportage en ligne : https://politica.estadao.com.br/noticias/geral,beltrame-diz-nao-ter-como-garantir-pm-nas-areas-criticas,214404, consulté le 06/04/2020.

[16]Reportage en ligne : https://www.conjur.com.br/2018-out-30/proposta-witzel-abater-portador-fuzil-inocua-ilegal, consulté le 7/04/2020.

[17] Ibid.

[18] En ligne : https://g1.globo.com/fantastico/noticia/2020/01/19/em-2019-uma-em-cada-tres-pessoas-assassinadas-no-rio-de-janeiro-foi-morta-por-policiais.ghtml, consulté le 10 avril 2020.

[19] Rede de Observatórios da Segurança. Operações policiais em meio à pandemia: primeiros efeitos das medidas de combate ao coronavírus na ação policial. En ligne : http://observatorioseguranca.com.br/wp-content/uploads/2020/04/Operações-policiais-em-meio-à-pandemia_-primeiros-efeitos-das-medidas-de-combate-ao-coronavírus-na-ação-policial-1.pdf?fbclid=IwAR3kA97k1LLIiBelhihs2NWeoEsgg_zpYJFHGDGKk8ZTgK6RAy5P6I7uOgo, consulté le 10 avril 2020.

[20] En ligne : https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2019-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-24, consulté le 10 avril 2020.

[21] J. S. INGLEZ de SOUSA, « Favela » in A. MENDES PEIXOTE et al., Enciclopédia agrícola brasileira : E-H, vol. 3, São Paulo, Edusp, 2004, p.191-192.

[22] E. CUNHA, Hautes terres : la guerre de Canudos, Paris, Métailié, 2012.

[23] E. CUNHA, Os sertões : Campanha de canudos, Rio de Janeiro, Francisco Alves, 1995, p. 52.

[24] Ibid., p. 395.

[25] Il se réfère à la culture locale où les religions, musiques et mythes venus d’Afrique, se mélangeaient aux rites des indiens d’Amérique, avec ses plantes psychoactives utilisées dans les transes collectives, les rites se voulaient chrétiens reprenant à leur façon le vocabulaire de l’Église.

[26] Pour ce qui concerne cette figure iconique de l’histoire brésilienne voir la thèse de : M.-L. BARRETO, Le pèlerin Antonio Vicente Mendes Maciel et la foule sertaneja dans la guerre de Canudos : sujets de l’Histoire. Thèse de doctorat en, psychologie. Recherche en psychanalyse et psychopathologie, Université Paris 7 Denis-Diderot, soutenue le 04/10/2016.

[27] Voir les propos d’Anna Ribeiro Bittencourt à propos de l’abolition in M. S. Oliveira, Uma senhora de engenho no mundo das letras: o declínio senhorial em Anna Ribeiro. Salvador, Brasil, UNEB, 2008. En ligne : http://www.ppgel.uneb.br/wp/wp-content/uploads/2011/09/oliveira_marcelo.pdf, consulté le 14 mai 2020.

[28] Z. FERREIRA LOPEZ, & D. PEREIRA LIMA, « Direito do comum em Canudos », Revista Direito e Práxis, 2018, vol. 9, n°2, p. 890-927. En ligne : https://dx.doi.org/10.1590/2179-8966/2017/26642, consulté le 20 mai 2020.

[29] J. CALASANS, Antonio conselheiro e a escravidão, 1968. En ligne : http://josecalasans.com/downloads/artigos/15.pdf, consulté le 21 mai 2020.

[30] M. ALVITO, A. ZALUAR, Um século de favela, Rio de Janeiro, FGV, 1999.

[31] M.-L. BARRETO, Le pèlerin Antonio Vicente Mendes Maciel et la foule sertaneja dans la guerre de Canudos : sujets de l’Histoire, op. cit., p. 152.

[32] Ibid.

[33] Y. H. YERUSHALMI, Le Moïse de Freud, Paris, Gallimard, 2011, p. 84-85.

[34] Ibid, p. 85-86.

[35] Ibid, p. 81.

[36] S. FREUD, Psychologie collective et analyse du Moi. En ligne : http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/essais_de_psychanalyse/Essai_2_psy_collective/Freud_Psycho_collective.pdf , consulté le 15 mai 2020.

[37] J. LACAN, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie (1950) », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 32.

 


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L’ANTROPOLOGIA PSICOANALITICA IN FREUD TRA “ORIGINE DEL MITO” E “MITO DELL’ORIGINE” – Vincenzo RAPONE

1) Psicoanalisi e soggetto della scienza

Definire il campo psicoanalitico rispetto al discorso della scienza, reperirne il ‘fondamento’ sul versante dell’essere e della verità piuttosto che su quello della rappresentazione: è nei termini tanto della rilettura heideggeriana del cogito cartesiano, quanto della presa in carico dell’apporto di Koyré[1] in materia di rapporto tra scienza moderna e soggetto filosofico della modernità, che Lacan nel 1965-66, al livello quindi del suo scritto “La scienza e la verità[2], che si muove per definire la pratica psicoanalitica nei confronti della scienza.

Ne La questione della cosa[3], la mira di Heidegger è la costituzione, intrinseca alla scienza moderna, dell’oggettività, oggettività funzionale alla costituzione della verità declinata come certezza, fissata, in definitiva, quale sua referenza ultima, sul soggetto cartesiano quale punctum firmum et inconcussum. Nella lettura del filosofo tedesco, la modernità si declinerebbe come sistema di sapere in rapporto ad un oggetto, o, meglio, ad una ‘cosa’, che presuppone una determinata concezione della verità, che si qualifica come identificazione “senza resto” tra verità e certezza.

La teoria della verità implicita nella concezione dell’oggetto che inaugura la scienza moderna, in virtù della quale elementi sostanziali e determinazioni fenomeniche si tengono in un rapporto di co-determinazione naturalistica, che non mette in discussione lo statuto della rappresentazione (ma che anzi è da questa garantita e resa possibile), da un lato risulterebbe sovradeterminata da una certa concezione della verità, dall’altro, avrebbe la necessità di strutturarsi, di trovare il suo supporto in una proposizione logicamente e linguisticamente definitiva.

Cosa e soggetto, proposizione e oggetto sono al centro di un’unica disamina per il loro essere costituiti all’interno di una concezione ‘ontica’ della verità, della verità, cioè, intesa come “semplice presenza”: scienza e metafisica, in questo senso, non sarebbero altro, se non strumenti ‘tecnici’ di quella riduzione dell’essere all’ente, i cui correlati sono la stabilizzazione del mondo, l’eliminazione del rischio, la pre-visione calcolante delle dinamiche sociali. Cogito ergo sum: Heidegger, e, per certi versi, Lacan, leggono l’affermazione di Cartesio in maniera non idealistica, alla stregua, cioè, della deduzione dell’essere da un atto di pensiero: il loro è un approccio attraverso il quale, all’interno della proposizione cogito ergo sum, si fa emergere la priorità ontologica del sum, e quindi della questione dell’essere, che lo stesso Cartesio avrebbe negato, a favore di una fondazione ‘ontica’ del rapporto con l’oggetto, dell’adaequatio rei et intellectus iscrivibile nell’ambito della “semplice presenza”.

Inoltre, ne La questione della cosa Heidegger riprende alcuni passi della Critica della ragion pura di Kant, oggetto a loro volta della critica di Schopenhauer, nei quali si evidenzia come i fenomeni percepiti nell’esperienza divengano entità concettuali, strutturandosi sulla base di una combinazione determinata tra elementi transeunti (la semplice determinazione dell’oggetto ed aspetti permanenti, considerati nel loro valore di stabilità (la sostanza). Il fenomeno in Heidegger appare ‘surdeterminato’ da una concezione storicamente determinata della verità, che gli fa da sfondo e che lo rende possibile in quanto tale: è solo rispetto ad un soggetto altrettanto determinato che l’oggetto di costituisce come oggetto d’esperienza.

La conoscenza dell’ente ha, così, luogo, ed è possibile sullo sfondo di una pre-comprensione (preliminare) che concerne l’essere dell’ente, cioè quel determinato ‘progetto’ attraverso cui l’ente viene ad essere ciò che è onticamente, configurandosi come “semplice presenza”: il “darsi alla presenza” dell’ente, in altri termini, è sempre il prodotto di un trascendimento, condizione necessaria della sua datità.

Heidegger, criticando il cogito, considerato iscritto sul versante della Vorstellung, per certi versi anticipa Lacan, fornendo una sua versione della fuoriuscita filosofica dell’oggetto dallo statuto della rappresentazione. Si ripete in tal modo una certa scansione tra filosofia e psicoanalisi: Schopenhauer, infatti, aveva anticipato ed in una certa misura ispirato Freud, situando a livello della pulsione l’oggetto, che Kant tiene ancora tutto all’interno del paradigma rappresentativo, dischiarando la necessaria fuoriuscita dalla Vorstellung per il del tramite il ricorso alla volontà (der Will), facoltà psichica che affonda le sue radici della “Cosa in sé”. Lacan, ne “La Scienza e la verità”, rilegge un testo freudiano[4] che verte sul medesimo argomento, strutturato col medesimo tenore concettuale, ma con la significativa differenza, però, che ora è questione di soggetto e non più di oggetto: è al livello del soggetto, infatti, che le coordinate teoriche del discorso di Heidegger rilevano. La valutazione dell’oggetto costituito nel campo scientifico va di pari passo con la determinazione di un soggetto inteso a tutti gli effetti costitutivo del campo dell’oggettività. Il primo passaggio di Lacan, dunque, consiste nell’avvicinamento al cogito cartesiano: la scienza non è tanto questione di oggetti d’esperienza, come vuole la tradizione empiristica, quanto, con maggiore rigore, del situarsi del soggetto rispetto ad una determinata modalità di relazione con l’essere: il soggetto della scienza coincide, in un certo senso, con il soggetto cartesiano.

L’assimilazione del cogito al soggetto della scienza deve essere problematizzata alla luce del pensiero di Koyré[5], epistemologo e storico della scienza russo, che Lacan considera un suo punto di riferimento nella sua ricerca: quest’ultimo, infatti, opera una radicale distinzione tra lo spirito scientifico di Cartesio, che consisterebbe nella sua radicale separazione dal divino e il cogito stesso, la cui stessa costituzione implica Dio stesso.

Ne “La scienza e la verità”, Lacan, dopo aver sostenuto che « Su questo punto Koyré è la nostra giuda, e si sa che è ancora misconosciuto »[6], aggiunge immediatamente dopo:

 Si è potuto osservare che l’anno scorso ho preso come filo conduttore un certo momento del soggetto che considero come un correlato della scienza: un momento storicamente definito di cui forse ci occorre sapere se sia a rigore ripetibile nell’esperienza, quello che Descartes inaugura, e che si chiama cogito. Questo correlato, come momento, è il défilé di un rigetto di ogni sapere, ma pretende tuttavia di fondare per il soggetto un certo ammarraggio nell’essere, che riteniamo costituire il soggetto della scienza, nella sua definizione, termine da prendere nel senso stretto di porta stretta[7].

Con questo, Lacan lascia trasparire l’idea che la scienza non sia in grado di ‘chiudere’ logicamente il campo che inaugura, che dipenderà, in ultima istanza, da un elemento eccentrico al sistema concettuale che ordina e costituisce.

Reperire allora le linee dell’avanzamento epistemologico della scienza in sintonia con Freud[8], che aveva sostenuto come l’unica Weltanschauung possibile della psicoanalisi fosse quella mutuabile dalla scienza, situare, ancora, la psicoanalisi rispetto a questo stesso avanzamento, obbliga a tener conto, problematicamente, della questione della sutura di un campo, che si costituisce, al pari del cogito, sulla base di un problematico posizionarsi rispetto alla presupposizione dell’esistenza di Dio, nonché di alcune sue qualità, che ne garantirebbero quell’”autolimitazione razionale” in grado di normalizzare il mondo, offrendolo, nella sua regolarità, all’osservazione degli scienziati. È doveroso, dunque, pensare sullo sfondo del cogito cartesiano la ripresa lacaniana della posizione freudiana, in virtù della quale la psicoanalisi non può costituirsi come una “visione del mondo”, per il semplice fatto che non è una “visione del mondo”, né, tanto meno, aspira ad esserlo: al tempo stesso, però è all’ammarraggio del pensiero all’essere, costituito dalla scienza sull’asse rappresentativo, che la psicoanalisi deve, necessariamente, fare riferimento. Ma quest’‘ammarraggio’, come lo definisce Lacan, in ultima istanza, non dipende dalla scienza, né può essere stabilizzato scientificamente, ragion per cui è del tutto lecito inferire che l’avanzamento in campo scientifico non rileva in sé, ossia inteso in senso quantitativo, ma acquista valore rispetto ad una determinata struttura soggettiva. Il “soggetto freudiano”, la cui cifra è la divisione soggettiva, è in un certo rapporto con il “soggetto della scienza”: l’inconscio, per Lacan, situa il suo limite costitutivo sulla stessa frontiera che conferisce coerenza al soggetto della scienza. Quest’approccio, dunque, determina un campo che è inclusivo certamente della psicoanalisi, ma anche della linguistica e dell’antropologia culturale: è al livello della scienza che la psicoanalisi deve ricercare il proprio fondamento di legittimità, a tutti gli effetti inclusivo di un’interrogazione avente per oggetto la psicoanalisi stessa come scienza.

L’avanzamento nel campo antropologico, al pari di quello che ha luogo in linguistica, avrà necessariamente conseguenze sullo statuto di scientificità della psicoanalisi: in questo senso, è del tutto legittimo per Lacan “tornare a Freud”. Come evidenzia magistralmente Zafiropoulos, è acquisendo l’avanzamento compiuto da Lévi-Strauss in antropologia[9], che Lacan si libererà dalle pastoie dell’empirismo sociologico e dall’impianto durkheimiano, che costituisce la cornice concettuale dei suoi primi scritti: la seguente breve disamina del complesso rapporto che Freud intrattiene con l’antropologia culturale vive nella prospettiva di mostrare la travagliata compresenza di elementi strutturali ed elementi storico-sociologici, rapporto che, letto nell’ottica del Lacan del Discorso di Roma[10], è da considerarsi prelusivo alla risoluzione lévi-straussiana di quella contraddizione interna tra momento empirico e momento strutturale che affetta, così significativamente, Totem e tabù.

 

            2) Freud antropologo, tra struttura e storia

In Freud, il mito di Edipo, letto sulla scorta della griglia concettuale dell’antropologia di Roberstson Smith, di Frazer e di Durkheim[11] non è solo una teoria di antropologia sociale: è anche il principio strutturante tanto l’accadere psichico individuale, tanto lo sviluppo stadiale della pulsione, quanto la percezione della realtà come principio. È in modo del tutto conseguenziale alla risoluzione in antropologia del pluriennale dibattito sul nesso totemismo-tabuismo-esogamia, operato da Lévi-Strauss, che Lacan può accedere al nucleo strutturale sotteso alla concettualizzazione freudiana, liberandola dagli impacci dell’empirismo, liberando il suo stesso approccio alla psicoanalisi da quei riferimenti empirici che caratterizzano la sua riflessione prima del 1953[12], anno del suo “ritorno a Freud”. Ancora, è attraverso Lévi-Strauss, tramite cioè la sua rivisitazione strutturale dell’Edipo all’interno della teoria dello scambio generalizzato che la psicoanalisi può pensare la causa al di fuori del paradigma teologico-metafisico, ossia al di fuori della generazione a partire dall’ideale, evidenziando, in un certo senso, la subalternità (almeno parziale) di Freud a quella “questione ebraica”, da cui lo scienziato viennese non sarebbe mai riuscito ad emanciparsi, se non in parte[13]. La questione dell’intreccio tra elementi strutturali ed elementi empirici nell’antropologia psicoanalitica sarà al centro della seconda parte di questo contributo: quest’elaborazione, in Lacan, non la si può ritenere scissa dall’avanzamento della scienza, intesa in generale.

Per quanto la psicoanalisi non sia ascrivibile, se non parzialmente, al campo delle ricerche in materia di antropologia culturale, il suo apporto è stato essenziale ai fini dell’approccio a quel “senso interno” necessariamente esistente tra istituti sociali pre-storici, tipicamente, tra totemismo ed esogamia, di cui le ricerche precedenti non erano state in grado di occuparsi, in virtù di un riferimento esclusivo alla componente esterna, quantificabile, dei fenomeni oggetto di studio. Posizioni determinate intellettualisticamente, come quelle di Frazer, Lang, MacLennan, Jevons e Reinach, avevano ‘mancato’ questa determinazione, si era preclusa quella comprensione ‘totale’ del culto totemico che avrebbe reso sempre più esigua la distanza tra culture pre-storiche e culture immerse nel tempo secolare, forgiate sul calco dell’ideale del progresso per ottemperare ai criteri epistemologici costitutivi l’antropologia culturale, con la sola, lodevole eccezione di Robertson Smith. Anche per Freud, come per Robertson Smith, è una potente intuizione preliminare a produrre un grande avanzamento nella comprensione delle culture primitive, avanzamento favorito e reso possibile, seppur controfattualmente, anche da errori che hanno ben altra radice da quelli indotti dall’intellettualismo di un Frazer o di Smith. In Freud esiste sì una lettura pre-giudizievole dei dati antropologici (la cui conoscenza gli derivava dallo studio dei contributi scientifici e dei resoconti che circolavano in quegli anni tra gli studiosi, studio che egli stesso dichiarò di aver affrontato con in mente la soluzione del problema), ma tale pre-giudizio non era di taglio intellettualistico, ma aveva un fondamento molto solido, derivandogli dalla considerazione della reale fecondità delle conquiste della psicoanalisi, maturate nella pratica analitica. Presupposto di quest’estensione all’antropologia, una teoria che sarebbe stata oggetto, successivamente, di profonda irrisione, se non di disprezzo da parte di antropologi, biologi e anche di psicoanalisti criticamente avvertiti: l’ipotesi, di marca strettamente positivista, in virtù della quale l’”ontogenesi ricapitola la filogenesi”, che può essere sintetizzata nella presupposizione che vi sia un nesso strutturale di identità tra l’evoluzione dell’individuo e quella della specie.

Nella misura in cui la nevrosi, con particolare riferimento qui alla nevrosi ossessiva, in cui il ruolo del cerimoniale è essenziale, è considerata da Freud una forma regressiva rispetto allo stato adulto, caratterizzato da una maturazione pulsionale fallico-genitale, l’identificazione tendenziale tra bambino e nevrotico diventa un’identificazione a tre, includendo l’uomo primitivo. Ed è da Totemism and Exogamy di Frazer che Freud acquisì quei principi che fanno da pilastro alla sua analisi, riservando, a partire dalle scoperte ivi contenute, un intero capitolo del celeberrimo Totem e Tabù[14] all’analisi scrupolosa di tutta la letteratura antropologica in materia di totemismo. All’interrogativo: « Che cos’è il totem? », Freud, risponde nei seguenti termini: « Di solito un animale, un animale commestibile, innocuo o pericoloso e temuto; oppure, più raramente, una pianta o un elemento naturale (pioggia, acqua) legato al clan da un rapporto particolare. »[15]

Anche lo scienziato viennese non si pose, come d’altronde Frazer, il problema di come queste società identificassero classi di entità totemiche, considerando presupposta la classificazione stessa. Così, i primitivi configurerebbero nel totem il loro progenitore, provvedendo ad organizzare, periodicamente, riti in cui si indossavano maschere e si travestivano loro stessi da totem, riducendo così quell’ambivalenza che li voleva, contemporaneamente, assimilati e differenti dall’entità assunta da progenitrice. Saremmo in presenza di un sistema di regole assai minuziose, in cui « […] l’appartenenza al totem è il fondamento di ogni obbligo sociale da un lato precede in importanza l’appartenenza alla tribù e dall’altro sposta in secondo piano i rapporti di consanguineità »[16].

Se Totem e Tabù costituisce, come palese sin dalla prefazione, una pietra miliare non solo per l’antropologia psicoanalitica, ma anche per l’antropologia culturale stessa[17], è perché Freud, al pari di Smith, estende il campo del pensiero totemico, fino a farne una chiave interpretativo-genealogica delle istituzioni ‘civili’. Se per Smith, come abbiamo visto, in questione è il rapporto tra culti totemici e religioni storiche, in Freud, invece, l’attenzione si pone ad un livello d’analisi ancora più profondo, nel senso che lo scienziato ritiene che vi sia un rapporto di parentela concettuale, decifrabile quindi genealogicamente, tra interdetti edipici e interdizioni legate all’esogamia. A sua volta, questa lettura forniva anche una chiave interpretativa di quell’’illusione’ particolare che per Freud — fortemente influenzato da un’educazione ebraica da cui desiderò fortemente emanciparsi probabilmente senza mai riuscirci fino in fondo — era la religione: connettere le scoperte della psicoanalisi all’evoluzione della civiltà, costituiva, in effetti, un notevole avanzamento nelle pretese di una prassi che, fino ad allora, era rimasta confinata alla pratica di pochi studi privati. Con Totem e Tabù, non solo l’antropologia, ma la stessa psicoanalisi acquisisce un nuovo statuto, costituendosi alla stregua di un’inedita chiave interpretativa di tutto quel patrimonio concettuale che, fino a quel momento era stato fortemente monopolizzato dalla dogmatica teologica. Freud legge gli antropologi sovrapponendo, non senza qualche imbarazzo, alle scoperte dell’antropologia i risultati rivenuti nell’esplorazione psicoanalitica: nella lettura di Totem e Tabù ci si imbatte passi che evidenziano dubbi, incertezze, che Freud, con grande onestà segnala, ma che poi risolve senza lasciarsi interrogare sino in fondo dall’alterità e del “pensiero selvaggio”[18].

Il limite concettuale maggiore di Freud consiste nell’identificazione del “tabù dell’incesto” quale nucleo essenziale ed universale del nesso tra totemismo ed esogamia. Com’era accaduto per altri versi nella letteratura antropologica precedente, Freud considera l’acquisizione prodotto dei saperi contemporanei la base concettuale delle realtà antropologiche oggetto del suo interesse. Non ricerca all’interno del dispositivo totemico e del suo sviluppo la chiave di lettura del “tabù dell’incesto”, anteponendogli logicamente le realtà della famiglia nucleare e dell’Edipo così come il mondo civilizzato le conosce, universalizzando forme e contenuti. Essendo famiglia nucleare e consanguineità entità praticamente equivalenti sul piano concettuale, Freud finisce per interpretare i dati che la ricerca antropologica sottoponeva al suo sguardo retroagendo nel passato le scoperte della psicoanalisi. Non senza qualche imbarazzo: nel tenere per veri i modelli, a tutti gli effetti congiunti, della consanguineità, di cui presuppone la conoscenza da parte dei primitivi, e della famiglia nucleare, si accorge che questa prospettiva non è sufficiente per rendere ragione del fenomeno nella sua integrità, laddove il culto totemico venga paradigmaticamente assunto come oggetto della ricerca. Con l’onestà e il rigore che ne contraddistinsero la cifra di studioso, segnala questa difficoltà nei seguenti termini:

Tutto ciò che deriva dallo stesso totem è legato da un rapporto di consanguineità, è una famiglia, e in questa famiglia anche il più lontano grado di parentela è considerato un impedimento assoluto all’unione sessuale. Questi selvaggi, insomma, ci rivelano un orrore o una sensibilità estremamente sviluppata nei confronti dell’incesto, unita alla particolarità – solo imperfettamente comprensibile per noi – di sostituire alla consanguineità reale la parentela col totem. Non dobbiamo tuttavia accentuare troppo questo contrasto, e occorre tener presente che le proibizioni totemiche includono il vero e proprio incesto come caso particolare.[19]

Freud parla di “motivi solo imperfettamente comprensibili a noi”, ma non è semplice decifrare in che misura questo plurale sia un c.d. plurale majestatis, e quindi, in sostanza, una prima persona, o un riferimento al soggetto della civilizzazione. Sia quel che sia, risulta vano il suo tentativo di inquadrare correttamente il tabù dell’incesto all’interno del dispositivo totemico, situando al cuore di quest’ultimo realtà considerate al tempo stesso basiche e universali, quali la famiglia nucleare, la consanguineità, la funzione strutturante dell’edipo. A questo livello, il divieto di prendere come moglie una donna anche estremamente distante nella parentela, ma interna al gruppo istituito su base clanica risulta effettivamente incomprensibile a Freud, che deve accontentarsi di costatare che l’incesto propriamente detto, quello edipico, è incluso e non contraddetto dalle regole totemiche.

Allo stesso modo, gli risulta incomprensibile la spiegazione del fatto che il piccolo nato in queste realtà sociali chiami padre o madre tutti i soggetti che, nel sistema di parentela, hanno la stessa posizione del padre o della madre intesi alla luce del paradigma della famiglia nucleare e della consanguineità. « Qualcosa di analogo a questo sistema classificatorio esiste anche da noi, per esempio nei bambini, quando li esortiamo a salutare col nome di ‘zio’ e di ‘zia’ ogni amico e amica dei genitori, oppure in senso figurato, quando parliamo di “fratelli in Apollo” (fratelli dell’arte di poetare), o di “sorelle in Cristo” »[20]: è in questo punto che Freud, seppur solo intuitivamente, si avvicina alla realtà del fenomeno totemico, che istituisce rapporti di parentela da intendersi realisticamente alla maniera di Smith a partire da un progenitore presunto, e che sono considerati tali, e quindi ‘veri’, indipendentemente dalla consanguineità, costituendo genealogicamente l’archetipo della fratellanza universale cristiana, che non è una fratellanza di sangue. Nonostante quest’intuizione balugini nella mente di Freud, è ricondotta al modello familiare, invece di essere e interpretata all’interno del dispositivo totemico, sua iuxta principia: se il bambino chiama papà o mamma ogni membro di una determinata classe di soggetti determinata su base esogamica, non è perché li ritiene padre o madre, misconoscendo o ignorando addirittura le modalità reali di fecondazione, ma perché, nell’interpretazione data, il modello del matrimonio di gruppo, dell’orda primordiale, precede in ordine di tempo quello della famiglia nucleare. Dunque, avendo quale modello universale la famiglia nucleare, il ‘padre’ della psicoanalisi non riesce a spiegarsi perché il nome di padre o di madre non connotino una relazione tra individuo e individuo, quanto piuttosto un rapporto tra un bambino e tutti quegli individui che, nell’ambito del gruppo sociale di appartenenza erano potenzialmente liberi da interdetti legati alla paternità o alla maternità: il ricorso all’ipotesi del matrimonio di gruppo, ancora una volta, gli è funzionale a riportare questa realtà nel suo schema. Da un lato, Freud evidenzia come il sistema totemico sia a fondamento di obblighi sociali rigidamente introiettati dai membri, dall’altro, però, questo sistema di definizione al tempo stesso della discendenza verticale e della parentela orizzontale avrebbe la sua giustificazione in un altro sistema, quello della consanguineità, che, tra l’altro, non sappiamo in che misura fosse accettato dagli aborigeni, spesso terrorizzati dal sangue dei propri congiunti. Non solo il modello di vincolo pre-storico è quello che Durkheim definisce della “solidarietà meccanica” o “per identificazione”, il che esclude che un individuo possa rappresentarsi come tale e rapportarsi ad un altro individuo, essendo tutti i membri fusi nel gruppo di appartenenza e indistinguibili da esso, ma è davvero molto difficile pensare che la discendenza da una pianta o da un evento meteorologico o naturale come il fulmine possa esser inteso come istituente rapporti di consanguineità. Freud stesso, quando parla di queste popolazioni, enucleando come caratteristica del pensiero primitivo l’onnipotenza, fa riferimento al loro approccio al reale nel senso dell’assenza di una netta separazione tra parola e cosa, tra oggetto e sua designazione nominale, tra rappresentazione di cosa e rappresentazione di parola, il che, tradotto nel linguaggio dei sociologi del diritto, equivale a dire che alle popolazioni pre-storiche è interdetto quel pensiero che scinde la sfera dell’essere da quella del dover-essere. Ma se in questi gruppi l’elemento rappresentativo e quello doveristico sono immanenti agli stessi rapporti sociali, come pensare che la realtà degli interdetti totemici riposi in un’area, quella della consanguineità e della famiglia nucleare, del tutto eccentrica? Nella misura in cui Freud afferma che, in virtù del principio dell’onnipotenza dei pensieri: « Le relazioni che sussistono tra le rappresentazioni vengono presupposte anche tra le cose », perché questo principio resta valido solo al livello di psicologia collettiva, senza risvolti nella costituzione dell’ordine sociale?

Paradossalmente, però, la logica totemica finisce per persuadere Freud in un altro senso: quello del reperimento di un “mito fondatore”, quello dell’omicidio del padre primordiale da parte dei figli, con il quale, sempre all’interno dell’interpretazione della comunità parentale come espressione della consanguineità,  si giustifica e si interpreta la logica del sacrificio totemico, lettura nella quale si fanno propri, almeno fino ad un certo punto, i risultati di Robertson Smith e si acquisisce l’importante ascrizione del sacrificio di Cristo all’interno della logica totemica. Freud acquisisce e fa sua la lettura in virtù della quale « […] l’uccisione di una vittima rientrava originariamente tra le azioni proibite dall’individuo e giustificate solo quando l’intero clan se ne assumeva la corresponsabilità. […] la comunità che compiva il sacrificio, il dio e l’animale sacrificale erano dello stesso sangue, membri di un solo clan della tribù »[21]. La chiave interpretativa del sacrificio sarebbe nel fatto che il consumo in comune dell’animale immolato avrebbe il senso di creare prima e rafforzare poi il vincolo che costituisce in un duplice senso (verticale e orizzontale) la comunità. Questo vincolo riguarderebbe, contemporaneamente, le dimensioni del sacro, a tutti gli effetti trascendente la realtà materiale del gruppo, e della socialità, che dell’atto sacrificale, in un certo senso, è causa ed effetto, contemporaneamente. Giunto a questo punto, però, Freud opera con la stessa modalità con cui aveva reso intellegibile il culto e gli interdetti totemici: vi sovrappone la famiglia nucleare, fornendone una ricostruzione in termini totemici, ricostruzione il cui fondamento riposa, cioè, su di un mito, quello dell’omicidio del padre da parte dell’orda primordiale. Ad essere invertita, è l’evoluzione temporale dell’istituto del culto totemico: non il padre e la famiglia nucleare così come noi la conosciamo sarebbero l’effetto di un maneggiamento del sistema totemico, quanto, piuttosto, il contrario. L’animale totemico è considerato un sostituto improprio del padre sulla base della tendenziale equiparazione tra nevrotico, bambino e primitivo, entità pre-edipiche, ma non per questo non riconducibili al principio paterno. È così che l’”oggetto fobico” del caso clinico del “piccolo Hans”[22], elaborato solo successivamente nel corpus freudiano si erge a paradigma esplicativo della funzione dell’animale totemico sulla base dell’acquisizione della teoria dell’omogeneità strutturale di ontogenesi e filogenesi: se per il bambino oggetto della cura psicoanalitica la fobia del cavallo era una spia dell’angoscia di castrazione indotta dal padre e causata dalla particolare tenerezza intercorrente con la madre, l’equazione padre=animale totemico poteva essere legittimamente trasposta su una scala più ampia, vista l’identificazione tendenziale tra bambino e uomo primitivo.

A corredo di questa tesi, la costatazione che l’indistinguibile marchio che ricondurrebbe l’animale totemico e il suo sacrificio al padre (sacrificio perpetrato eccezionalmente dal gruppo nella sua interezza e mai dal singolo) sarebbe proprio l’ambivalenza emotiva con cui il primitivo vive la cerimonia del sacrificio:

La psicoanalisi ci ha rivelato che l’animale totemico è realmente il sostituto del padre, col che si accorderebbe bene la contraddizione, secondo la quale la sua uccisione è proibita in ogni altro caso, eppure diventa occasione festosa; si accorda il fatto che si uccide l’animale e pure se ne compianga la morte. L’atteggiamento emotivo ambivalente che caratterizza ancor oggi nei nostri bambini il complesso del padre, e si prolunga spesso nella vita dell’adulto, pare estendersi a quel sostituto del padre che è l’animale totemico.[23]

Freud reinterpreta il sacrificio alla luce di un mito fondatore, acquisito in un primo momento secondo le coordinate concettuali elaborate da Robertson Smith: il pasto totemico, proprio dei riti sacrificali, non sarebbe più il modo eccezionale con cui la comunità celebra la propria unione con il totem, quanto la ripetizione di un rito primordiale, quello con il quale i figli avrebbero tentato di liberarsi, uccidendolo e incorporando per via orale le sue spoglie. Se l’ambivalenza emotiva è per lo psicoanalista caratteristica essenziale della psiche primitiva[24], e se il padre odiato è anche amato, la sua uccisione avrebbe dato origine da un lato all’interdetto di accoppiarsi con donne dello stesso gruppo, dall’altro al senso di colpa per l’uccisione stessa del padre. Lo scienziato viennese rende ragione, attraverso il senso di colpa successivo all’omicidio del padre primordiale, non solo dell’origine della coscienza morale, quantanche di due divieti molto sentiti e assai severamente puniti nell’antichità, quello di uccidere il padre e di possedere la madre, spiegati attraverso la repressione di due impulsi imperiosi, inarginabili e scandalosi: per l’appunto, quello ad eliminare il padre e a godere della madre. Per quanto Freud stesso ne dichiari lo statuto di “mito necessario”, questo racconto resta pur sempre un mito, la cui funzione, in verità, è più quella di delucidare la funzione paterna come momento di giunzione tra natura e cultura (nel senso « in cui è possibile coglierne la funzione nel campo d’indagine dell’inconscio »[25]), che non di rendere ragione di una dinamica antropologica intesa in senso storico-evolutivo. Non casualmente, la lettura strutturalista del mito freudiano, iniziata da Kroeber e perfezionata da Lacan attraverso la mediazione di Lévi-Strauss, è l’unica in grado, al prezzo però della sconnessione del nesso tra totemismo ed esogamia, di restituire dignità antropologica all’interpretazione freudiana. È solo attraverso quest’indispensabile mediazione che si realizzerà il “ritorno a Freud” proprio della psicoanalisi strutturalista[26]: per Lévi-Strauss, la teoria del divieto rituale dell’incesto va interpretata nell’ambito di una distinzione tra natura e cultura, ove il primo dominio, quello naturale, è retto da leggi universali, mentre il culturale sarebbe regolato da leggi generali, circoscritte in senso spazio-temporale nella loro vigenza: in questo senso, è possibile affermare che naturale nell’uomo è ciò che è universale, ma, sostiene l’antropologo francese, cosa c’è di più universale per l’uomo del suo essere, da sempre, un essere culturale? Poiché ogni uomo appartiene imprescindibilmente ad un ordine culturale, naturale per l’uomo può essere solo ed esclusivamente l’ordine culturale.

La proibizione dell’incesto, a questo punto, costituisce il sostrato essenziale di quegli scambi matrimoniali, che costituiscono in Antropologia culturale l’archetipo di tutte le regole culturali: con l’ordine edipico, l’uomo partecipa del naturale attraverso la sua iscrizione imprescindibile nella dinamica edipica. È nella misura in cui la legge di proibizione dell’incesto è in grado di stabilire il limite tra natura e cultura, che l’ordine edipico ha facoltà di costituirsi come il sostrato universale che designa la dimensione del naturale nell’uomo. In sostanza, l’ordine edipico si definisce proprio come il luogo di un simile conflitto, capace di giungere a una soluzione, in quanto permette al soggetto di accedere al registro simbolico, alla cultura.

Riassumendo, la cultura è, dunque, in questa prospettiva, il risultato dell’espressione di una mancanza: poiché il naturale è considerato isomorfo all’ordine edipico, la cultura diviene legittimamente l’autentica natura dell’uomo, che nasce dalla proibizione originaria dell’incesto. In questo senso, la problematica natura-cultura rimette al centro, a pieno titolo, la questione del padre in psicoanalisi, dato che è precisamente della proibizione originaria dell’incesto che ci si sforza di rendere conto del mito freudiano del padre nell’orda primitiva. Dati i limiti del presente lavoro, non si ritiene di poter entrare in dettaglio nel discorso di Lévi-Strauss: ci si limiterà ad evidenziare come, se il simbolico caratterizza universalmente l’uomo, la differenza tra natura e cultura è solo una differenza quantitativa tra regole universali e regole più o meno circoscritte. A rigore, dunque, vi è solo un differenziale di grado la vigenza di regole di comportamento: quest’approccio di natura strutturale, sia in Freud che in Lévi-Strauss, conduce all’enucleazione di una realtà, a vario titolo naturale, quella della famiglia nucleare, che per essere inteso come basico dell’ordine totemico ha bisogno della riduzione concettuale dell’ordine totemico a quello della famiglia nucleare ristretta, che ne costituirebbe la chiave interpretativa. Molto più coerentemente di Freud, Lévi-Strauss legittima quest’acquisizione, liquidando sostanzialmente la problematica totemica, che viene considerata ne Il totemismo oggi, una categoria concettuale non attualizzabile, una superfetazione della dimensione, di per sé orizzontale e immanente, dello scambio; è del tutto evidente che Lacan reperisce nella teoria strutturalista, quale avanzamento della teoria antropologica, quella risoluzione delle impasse della teoria dell’omicidio del padre primordiale, che ricercava già nel 1938, quando dichiara che quest’ipotesi si troverebbe ridotta « a un fantasma sempre più incerto man mano che progredisce la nostra conoscenza degli antropoidi ». È a quest’avanzamento del sapere e della conoscenza, più che non a quelle che egli stesso definisce “le petizioni di principio della teoria freudiana”, che Lacan ritiene in quel momento incarnata dall’ipotesi del matriarcato originario, che si affida in maniera estremamente significativa, già ne I complessi familiari, il superamento dell’ipotesi freudiana.

3) Periodizzazione o puntuazione? Il dogma trinitario tra Lacan e Kojève.

Il 30 novembre 1960, commentando il Simposio platonico all’interno del suo Seminario dedicato alla relazione di transfert[27], Jacques Lacan, sottolineando l’importanza e la portata teologica del discorso sull’amore di uno dei partecipanti al banchetto, Fedro, non manca di fare riferimento ad un passo delle Enneadi di Plotino, ribadendo come la trinità cristiana sia sovrapponibile alla triade Zeus-Afrodite-Eros[28]. Questa posizione così decisa in materia di esegesi trinitaria è ribadita qualche anno dopo; nella lezione d’apertura del seminario tenutosi nel ‘65-‘66 all’Ecole Normale Supérieure, di cui “La scienza e la verità” è il resoconto stenografato, Lacan sostiene:

Ho notato, di passaggio, quanto abbiamo da imparare sulla struttura della relazione del soggetto con la verità come causa nella letteratura dei Padri, o nelle prime decisioni conciliari. Il razionalismo che organizza il pensiero teologico non è affatto, come il piattume se l’immagina, un affare di fantasia. Se fantasma c’è, è nel senso più rigoroso di istituzione di un reale che copre la verità. Non ci sembra affatto inaccessibile ad un trattamento scientifico il fatto che la verità cristiana abbia dovuto passare attraverso l’insostenibile di un Dio Tre e Uno. La potenza ecclesiale va assai bene d’accordo con un certo scoraggiamento del pensiero. Prima che sulle impasse di un simile mistero, va posto l’accento sulla necessità della sua articolazione, che è salubre per il pensiero. Questa deve misurarsi con quella.[29]

Questa riflessione segue di poco la pubblicazione di un importante scritto di Alexander Kojève, centrato sul rapporto tra scienza moderna e cristianesimo, che si esprime sulla stessa questione, ma in un senso opposto: mentre per Lacan la questione trinitaria non sarebbe altro che il rivestimento fantasmatico di una struttura logica imperniata sul rapporto, tutt’altro che lineare, tra unitarietà e triadicità, logicamente preesistente alle figure con cui si invera storicamente, rivestimento di cui la dialettica hegeliana sarebbe niente di più che un’ulteriore riedizione, l’intellettuale russo, nell’interrogarsi sul rapporto tra scienza moderna e scienza pagana, costruisce una periodizzazione in virtù della quale il Cristianesimo porterebbe una discontinuità nel contesto della scienza pagana e del neoplatonismo, indotta proprio dall’incarnazione[30]. Si fa spesso riferimento, a ragione e con dovizia di corrette argomentazioni, alla stringenza, umana e culturale, del rapporto tra Lacan e Kojève: eppure, ci chiediamo, cosa passa nella non immediatamente palpabile differenza tra lo storicismo hegeliano dell’intellettuale russo e l’ipotesi strutturalista di Lacan? « Ciò che è reale è razionale, ciò che è razionale è reale », aveva sentenziato Hegel. Cosa intendeva? Non certo che ogni accadimento ha un suo rapporto organico con il senso, e, quindi, che tutto è giustificato, ma che l’accadere, la storia, sono in un certo rapporto con la logica, in particolare con la dialettica.

Ora, per quanto possa apparire in prima istanza un semplice dettaglio, tra la posizione di Lacan e quella di Kojève vi è una distanza notevole, perché mentre l’intellettuale e filosofo d’origine russa tiene, hegelianamente, alla consistenza del rapporto logica-storia, consistenza rivelatrice della razionalità del mondo dei fenomeni, operando nel senso della periodizzazione storica, Lacan opera come se la storia e le formazioni culturali e sociali, tra cui la religione, fossero entità non originali ma simulacrali, epifenomeno di entità logiche sottese.

In questa prospettiva, la teologia che si ‘arrabbatta’, come dice Lacan, con la Trinità cerca, a parere di Lacan non senza difficoltà, di formalizzare nel corpus dottrinario della Chiesa un rapporto logico, quello tra i numeri primi uno, due e tre, che preesiste, quantomeno logicamente ad ogni istituzionalizzazione. Si noti, inoltre, come questo situarsi ‘formale’ nel campo del sapere consente a Lacan di prendere una precisa posizione nei confronti della religione, senza per questo entrare, direttamente, in questioni di natura teologica: è lo stesso avanzamento di un determinato soggetto epistemico che consente di smarcarsi da una prospettiva come quella teologico-metafisica, senza contraddirla direttamente, senza, cioè, dichiararsi pro o contro la religione cristiana.

Interrogando il rapporto logica-storia, o, il che è in parte il medesimo, il rapporto fenomeno-struttura, sembra del tutto lecito porre l’interrogativo: è possibile considerare, e a che titolo, la psicoanalisi lacaniana, con quella freudiana, parte della “scuola del sospetto”? Non è eccessivo rispondere a quest’interrogativo evidenziando come la psicoanalisi lacaniana si strutturi in maniera del tutto sintonica alla risoluzione del rapporto tra ideale e reale, operato da Lévi-Strauss: è grazie all’apporto dell’antropologia strutturale che Lacan si è smarca dall’idealismo hegeliano, così come recepito da Kojève.

La risoluzione del nesso di coimplicazione tra ideale e reale operata da Lacan ha però un ‘nome’, una sorta di luogo che lo determina in modo privilegiato: la risoluzione antropologica del nesso tra totemismo ed esogamia, così come operato da Lévi-Strauss a partire dal celeberrimo pamphlet Il totemismo oggi. Questo, innanzitutto perché la liquidazione del totemismo e la lettura lévi-straussiana del mito di Edipo, sulla cui scorta lo scambio esogamico è l’effetto della dinamica degli scambi tra clan, la cui ragion d’essere e la cui costituzione non è più l’effetto di una ‘filiazione’ totemica, consentono di porre in essere un principio di organizzazione del reale in virtù del la quale, lo ricordiamo, la paternità e, coerentemente, la causalità, non sono più dell’ideale, ma del reale: è sotto questa condizione che Lacan può dissociare la causalità della psicoanalisi da quella della religione.

[1] A. KOYRÉ, Entretiens sur Descartes, appendice all’edizione francese de Introduction à la lecture de Platon, Gallimard, Paris 1962, p. 163-229.

[2] J. LACAN, “La scienza e la verità”, Scritti, a cura di G. Contri, vol. II, Einaudi, Torino 1974, p. 859-882.

[3] M. HEIDEGGER, Die Frage nach dem Ding. Zu Kants Lehre von den transzendentalen Grundsätzen (1962), trad. it., La questione della cosa, a cura di V. Vitiello, Guida Editore, Napoli 1989.

[4] Cfr. S. FREUD, Intorno ad una ‘Weltanschauung’, in Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse. Neue Folge der Vorlesungen zur Einfürung in die Psychoanalyse (1917), trad. it., Introduzione allo studio della psicoanalisi (Prima e nuova serie), Astrolabio, Roma 1978, p. 486-505.

[5] Cfr. A. KOYRÉ, Entretiens sur Descartes, Appendice a Introduction à la lecture de Platon, cit., p. 167-185.

[6] J. LACAN, “La scienza e la verità, cit., p. 860.

[7] Ibidem.

[8] Si tratta di una posizione sintonica con quella espressa da Freud (S. FREUD, Intorno ad una ‘Weltanschauung’, cit., p. 505): «La psicoanalisi, credo, è incapace di crearsi una sua Weltanschaung. Essa non ne ha bisogno, fa parte della scienza e può aderire alla verità scientifica. Ma alla scienza non compete quasi il nome altisonante di Weltanschauung poiché essa non considera tutto, è incompleta, non ha la pretesa di essere chiusa in sé e di formare un sistema. Il pensiero scientifico è ancora molto giovane tra gli uomini, non ha potuto ancora risolvere troppi dei grandi problemi. Una Weltanschaung costruita sulla scienza, oltre che accentuare il mondo esterno reale, ha essenzialmente tratti negativi, come il richiamo alla verità, il rifiuto delle illusioni. Chi tra i nostri simili è malcontento di questo stato di cose, chi chiede di più per potersi momentaneamente consolare, se lo procuri dove lo trova. Noi non ce ne avremo a male, non lo possiamo aiutare, ma non possiamo nemmeno, in suo onore, pensare diversamente».

[9] È in questi termini che Lacan ritiene, a proposito del caso freudiano de L’uomo dei topi, doverosa la lettura dell’Edipo, riletta alla luce dell’avanzamento teorico reso possibile dalle ricerche di Lévi-Strauss: «Il sistema quaternario così fondamentale nelle impasses, la insolubilità della situazione vitale dei nevrotici, è di una struttura assai diversa da quella che è data tradizionalmente: il desiderio incestuoso per la madre, l’interdizione del padre, gli effetti di ostruzione che ne derivano e, tutt’intorno, la proliferazione più o meno lussureggiante dei sintomi. Io credo che questa differenza dovrebbe indurci a ridefinire l’antropologia generale derivata dalla dottrina analitica così com’è finora insegnata. In poche parole, è da criticare tutto lo schema dell’Edipo», J. Lacan, Le Mythe individuel du névrosé (1953), trad. it., Il mito individuale del nevrotico, a cura di A. Di Ciaccia, Astrolabio, Roma !986, pp. 26-27. Come evidenzia M. Zafiropoulos (Lacan et Lévi-Strauss, ou le retour à Freud (1951-57), Paris, Puf, 2003, p. 71): «Pour dire les choses autrement, on écrira qu’à partir de la prévalence des organisations symboliques socialement partagées et pour répondre aux difficultés rencontrées dans les particularités de son histoire ou encore aux difficultés de son mode de positionnement au cœur même de son inscription mythique (ou symbolique), le sujet produit des symptômes, des complexes, une névrose ayant elle-même une structure mythique car ce n’est rien d’autre qu’une version individuelle des difficultés rencontrées par le sujet dans la situation symbolique qui lui est faite (sa subjectivation). D’où l’idée de Lévi-Strauss de reconnaître dans les névroses autant de mythes individuels strictement complémentaires des organisations mythique socialement partagées. Lacan en 1953 endosse cette perspective en décrivant la névrose obsessionnelle comme Le mythe individuel du névrosé ». Per C. Lévi-Strauss per affrontare la tematica del totemismo bisogna prima di tutto negare l’atteggiamento ingenuo con cui gli antropologi affrontano le culture pre-storiche (Le totemisme aujourd’hui, Paris, Puf, 1962, p. 5): « Al totemismo e all’isteria è toccata un’identica sorte. Quando ci si è resi conto come fosse dubbio poter isolare arbitrariamente certi fenomeni e raggrupparli tra loro per farne i sintomi di una malattia o di una istituzione oggettiva, anche i sintomi sono scomparsi, o si sono dimostrati refrattari a interpretazioni unificanti. Per quanto riguarda il “grande” isterismo, a volte questo cambiamento viene spiegato come un effetto dell’evoluzione sociale che avrebbe spostato dal piano somatico a quello psichico l’espressione simbolica dei turbamenti mentali. Ma il confronto del totemismo suggerisce una relazione d’ordine diverso tra le teorie scientifiche e il livello di civiltà, relazione in cui lo spirito degli scienziati interverrebbe allo stesso modo e ancor più di quello degli uomini studiati: come se, con la scusa dell’oggettività scientifica, i primi cercassero di rendere i secondi – malati mentali o presunti ‘primitivi’ – più differenti – di quanto non siano ».

[10] J. LACAN, Funzione e campo della parola e del linguaggio in psicoanalisi, Relazione al Congresso di Roma, tenuto all’Istituto di psicologia dell’Università di Roma il 26 e 27 settembre 1953 e pubblicato per la prima volta ne « La Psychanalyse », Puf, vol. I, 1956, p. 81-166, ora in J. LACAN, Scritti, vol. I, cit., p. 230-315.

[11] Per un bilancio dell’impresa teorica durkheimiana all’interno del quadro del panorama transalpino, cfr. Cl. LEVI-STRAUSS, La sociologia francese dalle origini al 1945, Mimesis, Milano-Udine 2013, p. 53 e ss.

[12] Che l’elaborazione di questa teoria passi anche per una revisione del ruolo che madre e padre hanno nella vicenda della costituzione dei gruppi, emerge chiaramente dal seguente passo di Markos Zafizipoulos, che si concentra sul rapporto tra pasto totemico e fondazione della comunità, inteso rispetto ai ruoli genitoriali. Appare chiaramente che, nel 1938, Lacan attribuiva un certo valore al ruolo costitutivo della madre, come alle teorie del matriarcato originario: « Le caractère sacré du repas assure le lien au père et plus généralement à la tribu du père, explique Freud; ce qui rendrait compte aussi du fait que, dans le familles primitives constituées selon la règle de l’exogamie, il n’y aurait pas de repas commun. Au contraire, les membre d’un même clan mangent et boivent en commun, car pour cette institution (antérieure à la famille selon Freud) manger et boire ensemble c’est renforcer la substance commune et partager le repas avec son dieu. Le père chez Freud vient donc d’abord par la bouche (il faut le dévorer), et s’il y a pour lui une nostalgie chronique ‘orale’ du sujet au principe même de son institutionnalisation, c’est d’une Sehnsucht (nostalgie) du père qu’il s’agit. Pour revenir au texte de Lacan de 1938, plus qu’une nostalgie du père, c’est bien un ‘nostalgie de la mère’ qu’il diagnostique aux origines (orales) de l’institutionnalisation subjective », M. ZAFIROPOULOS, Lacan et les sciences sociales, Paris, Puf, 2001, p. 32.

[13] Ne I complessi familiari si legge: « Non solo la proibizione dell’incesto con la madre ha un carattere universale, attraverso l’infinita varietà di relazioni di parentela, spesso paradossali, che le culture primitive gravavano con il tabù dell’incesto, ma anche, qualunque sia in una cultura il livello della coscienza morale, tale proibizione è sempre espressamente formulata e la sua trasgressione è sempre soggetta a riprovazione. Per questo motivo Frazer riconosce nel tabù della madre la legge primordiale dell’umanità. È così che Freud fa il salto teorico che abbiamo indicato come abusivo nella nostra introduzione: dalla famiglia coniugale osservata nei suoi soggetti a un’ipotetica famiglia primitiva, concepita come un’orda dominata da un maschio che a causa della sua superiorità biologica riesce a impadronirsi di tutte le femmine nubili », J. LACAN, Les complexes familiaux dans la formation de l’individu (1938), trad. it., I complessi familiari nella formazione dell’individuo. Saggio di analisi di una funzione in psicologia, a cura di A. Di Ciaccia, Einaudi, Torino 2005, p. 35-36. Non che nella prima fase della sua elaborazione Lacan non fosse, dunque, pienamente conscio della precarietà della costruzione antropologica di Freud, precarietà la cui soluzione, tuttavia, era ricercata sul versante di ricerche segnate in maniera rilevante dal ricorso all’imago materna in psicoanalisi, all’ipotesi matriarcale, e, in genere, a ricostruzioni fortemente caratterizzate nel senso dell’empiria.

[14] S. FREUD, Totem und Tabù. Übereinstimmung im Seelenleben der Wilden und der Neurotiker (1912-13), trad. it., Totem e Tabù. Concordanze nella vita psichica dei selvaggi e dei neurotici, con una Introduzione di K. Kerény, Einaudi, Torino 1997.

[15] Ivi, p. 52.

[16] Ivi, p. 31.

[17] Si tratta di un ponte ribadito con forza da P.-L. ASSOUN (Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et théorie de la Culture (1993), trad. it. Freud e le scienze sociali. Psicoanalisi e teoria della cultura, Borla, Roma 1999, p. 93): « La prefazione a Totem e Tabù definisce l’ambizione che si manifesta con questo testo e permette di misurarne l’audacia: si tratta di “gettare un ponte” tra etnologi e linguisti, folkloristi da una parte e psicoanalisi dall’altra ».

[18] Sulla strategia freudiana di questo “racconto delle origini”, cfr. il Capitolo II, Psychanalyse et histoire, in: M. de CERTEAU, Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Paris, Gallimard, 2002, p. 85-106.

[19] S. FREUD, Totem e Tabù, cit., p. 35.

[20] Ivi, p. 36.

[21] Ivi, p. 186-87.

[22] « Ho recentemente pubblicato una Analisi della fobia di un bambino di cinque anni, il cui materiale era stato messo a mia disposizione dal padre del piccolo paziente. Era una paura dei cavalli, a causa della quale il bambino rifiutava di uscire per strada […] Si trovava perciò in quel tipico atteggiamento del bambino maschio verso i genitori che noi definiamo col nome di “complesso edipico”, e nel quale identifichiamo in generale il complesso nucleare delle nevrosi. L’elemento nuovo che veniamo a conoscere dall’analisi del “piccolo Hans” è il fatto, estremamente importante per il totemismo, che, in tali circostanze il bambino sposta parte dei suoi sentimenti dal padre su un animale », S. FREUD, Totem e tabù, cit, p. 178-179.

[23] Ivi, p. 192.

[24] Cfr. S. FREUD, Il tabù e l’ambivalenza emotiva, in ivi, p. 50 e ss.

[25] J. DOR, Le père et sa fonction en psychanalyse, Paris, Denoël, 2008, p. 27.

[26] Sui rapporti tra Lévi-Strauss e la psicoanalisi, oltre a: M. ZAFIROPOULOS, Lacan et Lévi-Strauss, ou le retour à Freud (1951-57), cit., cfr.: A. DELRIEU, Lévi-Strauss lecteur de Freud. Le droit, l’inceste, le père et l’échange des femmes, Paris, Economica, 1999 ; Y. SIMONIS, Claude Lévi-Strauss ou la “passion de l’inceste”. Introduction au structuralisme, Paris, Flammarion,1968 ; Per un bilancio dell’apporto dell’antropologia di Lévi-Strauss alla psicoanalisi lacaniana, cfr. L’anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse. D’une structure l’autre, a cura di M. Drach e Bernard Toboul, La Decouverte, Paris 2008. In particolare: M. ZAFIROPOULOS, “Le transfert de Lacan à Lévi-Strauss”, ivi, p. 83-99.

[27] J. LACAN Le séminaire. Livre VIII : Le transfert (1960-61), Paris, Le Seuil, 1991, trad. it., Il Seminario Libro VIII. Il transfert (1960-61), a cura di A. Di Ciaccia, Einaudi, Torino 1991.

[28] « […] non ho trovato di meglio che suggerirvi – se volete veramente capire – di prendere la seconda Enneade di Plotino per vedere come le cose di cui si parla si pongano pressappoco allo stesso livello. Anche là si tratta di Eros, anzi si tratta solo di questo. Per poco che abbiate letto un testo teologico sulla Trinità, non potrete non accorgervi che il discorso di Plotino – siamo alla fine del terzo secolo – è semplicemente un discorso sulla Trinità. Credo che basti cambiare i termini: Zeus, Afrodite ed Eros sono il Padre, il Figlio e lo Spirito Santo », ivi, p. 51.

[29]J. LACAN, “La scienza e la verità”, cit., p. 877.

[30] In questo senso, rispondendo al quesito inerente il rapporto tra scienza antica e paganesimo da un lato, scienza moderna e cristianesimo dall’altro, Kojève evidenzia come: « Per quanto riguarda il monoteismo, la sua responsabilità è chiaramente fuori discussione, dal momento che lo si rintraccia allo stato puro sia presso i pagani evoluti sia tra ebrei e mussulmani, irrimediabilmente poco sviluppati dal punto di vista scientifico. Quanto poi al creazionismo, è presente in forma originale anche nel giudaismo e nell’islam, e dunque nemmeno ad esso si può ricondurre la scienza moderna. Né del resto la si può far dipendere dal dogma della Trinità, che il [neo] platonismo pagano è lungi dall’ignorare completamente e che, anche presso i cristiani, spinge molto di più all’introspezione ‘mistica’ o alle speculazioni ‘metafisiche’ che all’osservazione attenta dei fenomeni sensibili dei corpi, o alla pratica sperimentale. Rimane dunque soltanto il dogma dell’Incarnazione che, dal punto di vista della realtà storica, è l’unico fra i grandi dogmi della teologia cristiana ad essere a un tempo autenticamente e specificamente cristiano, ovvero proprio di tutto e solo il pensiero cristiano. Se dunque la scienza moderna va ascritta al cristianesimo, è il dogma cristiano dell’Incarnazione a portarne la responsabilità esclusiva », A. KOJEVE, L’origine chrétienne de la science moderne (1964), trad. it., L’origine cristiana della scienza moderna, ne Il silenzio della tirannide, Adelphi, Milano 2004, pp. 133-134.


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L’HEURE DE L’ETOILE L’Ile João Donato : un laboratoire pour l’étude extraterrestre de notre humanité ? – Lallá BARRETTO

Introduction

La recherche que nous allons présenter s’est imposée quand nous avons été informée de l’existence d’évènements ufologiques observés pendant toutes les années 1970, impliquant une petite population qui habitait l’Ile João Donato, située dans un réservoir naturel dans la commune de Palmeirância, dans l’arrière-pays du Maranhão, Etat du Nord du Brésil. Nous avons visité l’ile en 2016, en 2017 et en 2018. En 2017 nous avons fait une conférence sur le début de cette recherche au XVIIIe Congrès Brésilien d’Ufologie, tenu à Curitiba. Le mûrissement de l’étude de ce cas nous amène aujourd’hui à publier son approfondissement.

Dans les années 70, l’ile de João Donato était complètement isolée de la terre ferme. Il n’y avait pas d’électricité, de gaz ni d’eau courante. Les conditions de vie d’alors demeurent les mêmes de nos jours, avec très peu d’avancées, comme la lumière électrique, qui chassa les OVNIS de là. Aujourd’hui, l’île se trouve reliée à la terre ferme par deux chemins gagnés sur l’eau. Une vingtaine de familles y habitent dans un certain isolement génétique et culturel, configurant les situations que nous présentons dans cet article et qui semblent avoir intéressé, pendant dix ans, une ou plusieurs intelligences supposées extraterrestres, présentes dans le quotidien des personnes à cette époque, beaucoup plus distantes et rares de nos jours.

Les évènements ufologiques qui attirèrent notre attention se sont produits dans l’ile et consistèrent en des observations d’une manifestation lumineuse que les témoins appellent Étoile, Appareil, ou Torche, pour décrire ce qui semble être le même type d’engin, exhibant un comportement intelligent : une étoile plus étoile que les autres qui pouvaient être observées, habitant vraisemblablement en permanence le ciel de l’île.

Certains éléments issus de ces observations sont définis par les témoins comme des manifestations d’origine extraterrestre : le fait de se produire dans le ciel, exhibant un comportement intelligent et de maîtrise d’une technologie incompréhensible et inexplicable, établissant une forme de communication ; le contexte d’importantes manifestations ufologiques dans tous les Etats du Nord du pays pendant les années 70, qui culminèrent avec l’attaque des populations dans l’état du Pará, en 1977, à l’origine d’un des plus grands cas d’investigation officielle d’OVNIS de la planète, l’Opération Soucoupe, dont nous parlerons plus loin.

C’est la matriarche de la famille Abreu qui va nous raconter la proximité de la lumière sur elle-même et sur son mari, Silvino :

— Ires Abreu : Je vais raconter seulement ce que je sais… dans la porte de la cuisine il y avait un réservoir avec des poissons … j’y ai été faire la vaisselle. Quand j’y arrive, j’ai regardé comme ça, et l’étoile était en train de passer, j’ai alors pensé « regarde l’étoile dont tout le monde parle ». J’y suis restée faisant la vaisselle. Quand j’ai fini de faire la vaisselle et que je relève la tête, une torche de feu est venue sur moi, j’ai crié, ceux qui étaient dans la cuisine crièrent aussi « qu’est-ce qui se passe ? » C’est un feu qui venait vers moi ! C’est sûrement une étoile que j’ai vue !

— Felipe Marcel : Comme si s’était du feu ? C’était chaud ?

— Ires Abreu : Non, pas du tout ! C’était une lumière sur moi, une grande lumière, si près que j’ai failli tomber. J’ai crié, tout le monde a crié, elle a disparu alors.

— Lallá Barretto : Vous avez ressenti quelque chose dans votre corps avec la proximité de cette lumière ?

— Ires Abreu : Non, je n’ai rien ressenti sur le corps. Quand elle est venue vers moi, j’ai pensé « est-ce que ce bug va me manger ? », mais j’ai regardé cette grande lumière venant vers moi, alors j’ai crié. J’ai crié, elle a disparu.

— Lallá Barretto : C’était la première fois que vous la voyiez ?

— Ires Abreu : Pour moi, c’était seulement cette fois. Mais, passés quelques jours, mon mari avait un autre réservoir à la porte de la maison. Tous les soirs il allait regarder les poissons du réservoir. Quand il y a été, il a vu l’étoile, mais il ne croyait pas, parce que nous lui avions dit et il ne nous a pas crus. Il allait la tête baissée. Quand il a relevé la tête, la torche de feu est arrivée.

A la différence des récits, fréquents partout dans le monde, de lumières qui se matérialisent en vaisseaux, dans l’ile João Donato l’équipage observé venait à l’intérieur de la lumière. Rosa Abreu était encore enfant et n’oublia plus jamais ce qu’elle avait vu il y a quarante ans :

— Rosa Abreu : Sara devrait avoir six ou sept ans, Sonia devrait en avoir environ neuf. Dans l’île l’on prenait de l’eau dans le réservoir. Généralement c’était moi, qui était plus âgée, et les autres plus petites, nous allions faire la vaisselle. Il y avait l’histoire de l’Appareil, qu’ils étaient en train d’extraire du sang, et je suis restée de garde pour voir si l’Appareil ne venait pas. Les filles faisaient la vaisselle, moi les regardant. C’est quand j’ai vu, une lumière venait au loin. La lumière était comme un ballon. À l’intérieur de ce ballon, j’ai vu pour la première fois un nain. Dans mon arrière-pays il n’existait pas de nain : c’était un monsieur blanc, chauve, de cette petite taille comme ça. Il y en avait un autre, je sais qu’ils étaient deux, mais je me rappelle bien ce petit-là, à l’intérieur du ballon de feu. Seulement, ça ne chauffait pas. Il est resté à une hauteur proche. A l’intérieur de ce ballon de feu il y avait deux nains. C’était aussi la première fois que j’ai vu une échelle en aluminium, parce que dans l’arrière-pays il n’y en avait que des échelles en bois. Le petit nain était en train de sortir une échelle pour descendre. Alors j’ai commencé à crier : les enfants, l’Appareil, l’Appareil !! Et papa avait l’habitude : quand on finissait de diner, le café était déjà prêt, il restait bavarder. Sonia était plus grande, plus âgée, mais Sara est tombée, et j’ai continué à crier ‘regardez l’Appareil’ ! Je crois, je pense, n’est-ce pas, qu’il allait nous prendre.

Rosa fit le dessin suivant quand elle avait dix ans :

Les chercheurs en Ufologie discutent beaucoup sur l’influence de l’imagination des témoins dans les récits, aspect du fonctionnement psychique humain qui conduirait à invalider n’importe quel récit de témoin. Nous avons une autre position par rapport à cela. Nous partons du fait cliniquement avéré que le témoin d’un fait terrifiant garde la mémoire détaillée et claire de la situation traumatique, souvent pour toute la vie. C’est ce que révèlent aussi les grands récits de la casuistique ufologique, comme celui de Travis Walton, pour n’en citer qu’un seul, qui ne varie jamais dans son récit depuis quarante ans, aussi bien que les personnes qui témoignèrent de son abduction. Nous avons posé cette question à Leonel Abreu :

— Lallá Barretto : Quand Felipe t’a demandé si tu pouvais avoir une quelconque faille de mémoire, tu as répondu fermement que non. Pourquoi penses-tu que c’est resté aussi vif dans ton esprit ?

— Leonel Abreu : Parce que j’ai vécu cela depuis mes sept ans, depuis l’enfance. Dans l’ile nous commencions à travailler enfants, à cinq ans l’on commençait à travailler dans les champs.

— Lallá Barretto : Tu crois donc que c’était quelque chose d’assez impressionnant pour que ça reste gravé dans ta mémoire ?

— Leonel Abreu : Ça l’était et ça l’est toujours.

La présence de l’Étoile, Appareil ou Torche fut permanente pendant dix ans, comme Leonel Abreu continue de nous le raconter :

— Lallá Barretto : Tout cela s’est passé pendant longtemps, pendant toute ton enfance ? Combien de temps ?

— Leonel Abreu : En 1974 … de 70 à 80.

— Lallá Barretto : Tout ça ? Presque dix ans ?

— Leonel Abreu : Oui. Tout ça. Presque dix ans.

— Felipe Marcel : C’était tous les jours, une fois par an ?

— Leonel Abreu : Ça n’était pas tous les jours, parce que nous ne sortions pas tous les jours. Mais c’était toujours, tout le temps.

Les témoins sont convaincus que le comportement des lumières est intelligent, que cette intelligence observe et étudie la population de l’île. Le sujet s’envisageant soi-même comme objet d’étude d’une intelligence extraterrestre, l’anthropologie psychanalytique peut être convoquée, non pas pour étudier la problématique psychosociale du cas, mais  pour mieux cerner quels aspects de l’humain seraient en train d’étudier les supposés extraterrestres pendant environ dix ans, essayant de ramener des éléments de réponse pour la question récurrente en ufologie : que veulent-ils de nous ?

L’île est connue par le nom de João Donato Araújo, premier squatter qui s’y installa vers 1880, et où il eut des enfants. La famille n’a pas d’informations sur le nombre d’enfants de João Donato, pensant qu’ils se sont dispersés, ne gardant aucune mémoire de ces parents lointains.

Notre histoire commence avec l’un des enfants de João Donato, Mariano Bruno Araújo qui, constituant famille, déménagea dans un lieu appelé Rumo, où il eut cinq enfants. À la fin da la vie de son père, ou après la mort de celui-ci, il devient à son tour squatteur de l’île, où il revient s’installer avec ses cinq enfants : Silvino, Estrina, Assunção, Martinho, et un autre enfant dont la famille n’a pas gardé non plus la mémoire, pensant qu’il serait décédé en bas âge.

Mariano accorda la possession de terres à quelques personnes qui n’avaient aucun degré de parenté avec lui. Ces personnes finirent par se mêler par alliance à sa famille, entrainant une situation où ils étaient « tous cousins », dans le dire de Sara Abreu, historienne de la famille. Nous pouvons donc considérer que la population de l’île peut être observée comme un microcosme génétique relativement préservé.

Mais c’est la famille que son fils, Silvino Sodré Araújo, constitua avec Ires Abreu qui va nous intéresser le plus, car elle implique un grand nombre de témoins d’une même famille, cette famille étant peut-être  la plus visée par les objets qui terrorisaient l’île. Les particularités des relations familiales et la prédominance du type sanguin O+ dans la famille, nous amènent à penser que quelque chose du comportement humain, en rapport avec le type sanguin fut l’objet de l’intérêt continuel d’une intelligence supposée extraterrestre.

  1. L’Île João Donato et l’Anthropologie psychanalytique

            Les manifestations multiples et diversifiées que le phénomène OVNI impose à la connaissance humaine ne peuvent pas être assimilées ni réduites à notre rationalité scientifique.

Lumières, vaisseaux, sondes, objets technologiques, êtres à la morphologie plus ou moins humaine, se manifestent en différentes formes, tailles et couleurs, tous présentant un comportement intelligent et une interaction avec les témoins humains, jusqu’aux abductions. Ces manifestations définissent une réalité particulière, avec ses propres règles, et avec une cohérence interne dans les récits des témoins.

La position épistémologique de l’humain devant cet objet de son désir de connaître est obligatoirement d’observation passive. Tous ces objets exhibent une maîtrise de qui et quoi sera impliqué dans l’observation. Les témoins n’observent que ce qui leur est donné à voir.

Si pendant des décennies, depuis le début de l’ère moderne des OVNIS en 1947, le phénomène ne cessa pas d’être discrédité, relégué au champ de l’imaginaire et des formations psychiques et mentales, le moment de douter de sa réalité physique est désormais révolu. Parmi les registres de ces évènements, vestiges, films, photos, récits, les radars ne laissent pas de doute sur la réalité physique de ces objets, depuis que ces engins furent en opération pendant la deuxième Guerre Mondiale. Nous disposons aujourd’hui de nombreux enregistrements spectaculaires de radars autour du monde, comme celui connu comme La nuit officielle des OVNIS, en 1986, où 21 vaisseaux d’origine inconnue furent observés à l’œil nu et pris dans les radars, volant en formation entre les villes de São José dos Campos et Rio de Janeiro, au Brésil. Cet événement inédit fit l’objet de déclarations du Ministre de la Défense brésilien sur la chaîne nationale.

Cependant, ce n’est que récemment, le 12 janvier 2020, que le Pentagone rendit publique l’existence d’enregistrements secrets d’OVNIs et reconnut la véracité de deux vidéos enregistrées en 2004. L’importance des Etats-Unis d’Amérique dans la politique de recouvrement de la réalité ufologique fit que cette déclaration prit la valeur d’une annonce de l’existence officielle des OVNIs.

Toujours perçus comme objets physiques insérés dans notre réalité tridimensionnelle, la science terrienne exigea que ces objets répondent aux protocoles des sciences dites exactes, notamment la physique, pour être tout simplement acceptés comme existants et valables pour la science.

Sauf que l’objet est rebelle aux protocoles scientifiques : le chercheur n’a aucune prérogative pour provoquer l’objet, soit pour provoquer un évènement ufologique, ni le reproduire en laboratoire. Ces caractéristiques générales de l’objet ufologique obligent à de nombreuses et différentes approches, qui partent de la physique, en passant par toutes les sciences, jusqu’à la spiritualité ! Mais la recherche ufologique qui ambitionne la science doit obligatoirement se servir de méthodes et de concepts des sciences déjà constitués pour élaborer de la connaissance sur un objet qui insiste à se présenter comme tout à fait atypique.

Notre formation et référence scientifique pour l’approche du phénomène OVNI est l’anthropologie psychanalytique qui, comme les autres Sciences Humaines, participe de la même difficulté scientifique : les phénomènes et manifestations de l’objet humain et social ne peuvent pas non plus être provoqués ni répétés en laboratoire, ses protocoles présentent donc une grande affinité avec l’objet ufologique.

Les témoins de l’île João Donato sont convaincus qu’ils étaient observés par l’Étoile, l’Appareil ou la Torche. Dans les années 70, toute la région fut la scène de manifestations violentes du phénomène ufologique, où il y eut mort d’homme. Tout le monde disait que l’Appareil voulait sucer le sang des gens, comme il arrivera à des centaines de personnes, à la fin de 1977, dans l’état voisin, le Pará. Le contact dans l’île du Maranhão fut continuel, pendant toute la décennie, tandis que dans le Pará neuf objets furent identifiés lors de leur incursion dans notre monde, caractérisant un contact de masse, dès la fin de l’année 1977 et durant l’année suivante.

L’interprétation des témoins, selon laquelle ils avaient été observés, a pour nous la valeur d’une hypothèse qui doit être approfondie à partir de la raison scientifique propre à l’anthropologie psychanalytique.

Du point de vue épistémologique, nous procédons par homologie de l’appareil conceptuel de l’anthropologie psychanalytique avec les situations vécues par les témoins de l’île João Donato, mais pour faire un renversement de perspective et évaluer, non pas la problématique psychosociale du cas et des témoins, mais quels aspects de l’humain pourraient bien faire l’objet de l’intérêt de cette intelligence supposée extraterrestre, contribuant ainsi par des éléments de réponse à la question récurrente en ufologie : que veulent-ils de nous ?

  1. Rappel de l’Anthropologie psychanalytique

Comme nous le savons tous, Freud fut le découvreur de l’inconscient, une autre dimension humaine qui vit avec et interfère dans nos actes et pensées conscientes de tous les jours. Avec cette découverte, l’homme perd une deuxième fois sa position privilégiée de créature. La première fois ce fut avec la découverte de Copernic, où de centre de l’univers, la Terre est devenue un corps céleste de plus à tourner autour du soleil.

Avec la découverte de Freud, l’homme fut encore une fois destitué de sa position de contrôle, car ses actions conscientes sont désormais suspectes, affectées par des motivations inconnues d’être inconscientes, et sur lesquelles il n’a aucun contrôle. Ce fut l’émergence d’une nouvelle connaissance de l’homme, qui demandait l’élaboration d’une nouvelle anthropologie. Un nouveau paradigme ressort de cette nouvelle anthropologie : l’homme n’est plus tout conscient et maître de toutes ses actions, pour devenir un être de deux dimensions psychiques, la consciente et l’inconsciente.

L’une des grandes énigmes de l’anthropologie est celle de savoir quand et comment l’homme cesse d’être un animal pour devenir humain. Enquêter sur cela équivaut à chercher dans quelles conditions s’est formée sa double nature psychique, objet de la nouvelle anthropologie psychanalytique.

L’anthropologie entend aujourd’hui que l’humain existe à partir du moment où l’homme commence à produire de la culture, se distinguant ainsi des autres animaux : en produisant le langage, en dominant la nature à son profit, en produisant des armes, des objets et des institutions sociales.

Étudiant les religions et les coutumes les plus anciennes de l’humanité, Freud reconnut l’importance des repas en commun et la signification de sacrifice rituel qu’ils prirent dans toutes les cultures anciennes.

Dans l’impossibilité de reconstituer si loin dans le temps l’histoire de l’humanité jusqu’au moment où l’homme cessa d’être un animal pour devenir humain, Freud s’est trouvé obligé, pour élaborer sa nouvelle anthropologie, de composer une histoire, un mythe, combinant la connaissance anthropologique disponible dans son temps avec les récits de ses patients sur leurs vies psychiques.

L’histoire fut recueillie dans le mythe de Totem et tabou : les pré-humains auraient vécu, à l’instar des grands simiens, dans des hordes d’une ou deux dizaines d’individus. Cette horde aurait été dominée par un chef tout puissant, avec pouvoir de vie et de mort sur tous les individus du groupe, et aurait été le seul mâle à avoir la jouissance de toutes les femmes. Les mâles, arrivant à l’adolescence, étaient écartés de la horde, vivant en promiscuité. Jusqu’au jour, immortalisé par Freud, où les fils s’unirent et assassinèrent le père. Cet acte primordial eut comme conséquence la culpabilité insupportable et la nécessité des premières règles sociales, afin qu’aucun des fils ne soit tenté de prendre la place du père, réactualisant le cycle animal. La culpabilité plongea les fils dans une espèce de nostalgie du père et serait à l’origine des banquets sacrificiels observés dans la plupart des cultures anciennes. Les fils aurait consommé le père de la horde en un banquet, dans la tentative désespérée de s’approprier ses attributs, l’instituant comme être divin, donnant lieu à l’idée de Dieu. Nous rencontrons dans la plupart des cultures anciennes le banquet rituel qui commémore ce temps mythique.

Dans cette situation psychique, les premières règles sociales furent crées pour régler la relation des fils libérés du joug du père de la horde. Il était absolument nécessaire qu’aucun d’entre eux ne cède à la tentation de s’imposer aux autres, assumant la domination du groupe. La première règle qui régula les sociétés humaines fut religieuse, ayant le père divinisé comme garant de la permanence de ces règles.

Il est intéressant de noter que Freud avait la certitude intellectuelle que ce mythe correspondait à un évènement primordial qui se serait effectivement produit  à l’origine de l’humanité

 

  1. Des extraterrestres lecteurs de Freud ?

De retour à l’île João Donato, quelle n’a pas été notre surprise de rencontrer là-bas une réédition du père de la horde freudienne dans la personne de Silvino Sodré Araújo. La situation particulière de la famille qu’il constitua avec Ires Abreu attira notre attention. Avec un certain humour, nous pensâmes que l’intelligence présente dans l’île devait avoir lu Freud pour planifier ses études de l’humain terrestre. Nous verrons que cette idée éclaircit la situation particulière de cette famille en interaction avec le phénomène OVNI. L’intelligence que nous supposons extraterrestre aurait-elle lu Freud pour observer le comportement social et génétique de cette population humaine ?

Silvino Sodré Araújo fut un homme de très forte et paradoxale personnalité. Tandis qu’il avait une grande et positive influence dans la vie de son entourage. S’il fut un tyran pervers et violent avec sa propre famille, les voisins et parents de l’île gardent de lui la mémoire d’un homme solidaire et généreux, de ceux capables d’être le seul secours dans des moments d’extrême difficulté.

Nous ne rentrerons pas dans les détails du pouvoir absolu et des mauvais traitements physiques et psychologiques qu’il faisait subir tous les jours à tous les membres de sa famille. Il avait autorité absolue sur tous, imposant dans sa maison une discipline avec une cruauté raffinée, comportement rarement rencontré dans la littérature clinique.

Silvino fut aussi un grand procréateur. Commerçant ambulant, il parsema d’enfants le Maranhão, durant les longues absences exigées par son travail. La légende à son sujet raconte qu’il engrossait les femmes à même la selle d’un cheval, nous renvoyant à l’imaginaire du père jouisseur de la horde freudienne.

Cette présence évidente d’un père de la horde freudienne nous amène à enquêter de plus près sur la famille que Silvino forma avec Ires Abreu, aussi bien que d’autres aspects d’intérêt anthropologique, qui se sont révélés tout le long des témoignages que nous avons recueillis et qui, selon notre hypothèse, fut le grand intérêt de l’intelligence présente dans l’île.

 

            3.1. La situation familiale de Silvino Sodré Araújo

Silvino eut donc une nombreuse descendance : 15 enfants conçus avec Ires vivaient dans l’île. De plus, il récupérait tous les enfants qu’il savait être siens avec différentes femmes partout dans le Maranhão, et les amenait dans l’île pour qu’ils soient élevés auprès de lui par Dona Ires. Ainsi, vivaient dans l’île environ vingt-cinq enfants de Silvino dans la décennie 70.

La réédition du père de la horde n’était pas soumise à la loi. Il n’enregistrait pas ses enfants, qui portent tous le nom de leur mère, dans un usage pourtant courant dans le Maranhão patriarcal.

L´Étoile, Appareil ou Torche semblait surveiller les allées et venues de Silvino dans ses activités commerciales. Ses enfants racontent que la lumière s’arrêtait sur leur maison quand Silvino devait arriver. Même si aucune attaque de l’Appareil n’a été rapportée dans l’île, qu’il n’ait selon Dona Isaltina « réussi à choper personne », son approche est décrite comme terrifiante. La Torche s’est placée au-dessus de Dona Ires et de Silvino dans des occasions différentes, comme au-dessus de trois de leurs filles encore enfants, avec l’apparition d’êtres suggérant des abductions effacées de leur mémoire.

Dans la génération suivante, le cousin de Rosa, Domingos Balbino Sodré, fit une observation également percutante de l’Appareil, avec ses deux petits nains et ses petites échelles d’aluminium. Rosa et Domingos étaient préadolescents, avaient dix ans tous les deux au moment de ces observations respectives faites à vingt ans d’intervalle. Domingos et son frère sont mariés à deux sœurs qui firent des observations impressionnantes dans l’île en 2016.

Les liens génétiques entre la grande majorité de la population de l’île, qui au moment des évènements comptait avec la famille de Silvino, celles de ses frères et sœurs, une quinzaine de familles ayant des liens de parenté, nous permettent de définir l’île João Donato comme un microcosme suffisamment isolé pour préserver un certain nombre de relations génétiques et sociales, assez pratique pour l’observation et l’étude. Le comportement intrafamilial suggère l’observation des relations inférées par Freud pour expliquer le mécanisme psychique du passage de la nature à la culture. Cela semble logique et intelligent d’étudier cet aspect fondamental de la nature humaine.

Nous avons révélé avec notre recherche le type sanguin de Ires Abreu et de quatorze de ses quinze enfants, tous O+. Une intéressante étude sur les visites de dortoir — modalité de contact où le témoin est objet d’examens physiques dans sa chambre par des êtres étrangers à notre monde — réalisée à Buenos Aires par Liliana et Edoardo Grosso, révèle le sang O+ comme point commun entre les témoins, avec des indications de l’intérêt porté sur l’ADN mitochondrial, soit sur la transmission des caractères génétiques à travers la mère.

Le vécu familial fut entièrement dominé par le symptôme du père : pouvoir absolu de Silvino, exercé sur sa femme, avec maltraitances physiques et psychologiques, pouvoir absolu aussi sur tous ses enfants, avec le même raffinement de maltraitances physiques et psychologiques. Si nous admettons l’hypothèse d’une intelligence extraterrestre étudiant le comportement social par rapport à la génétique des habitants de l’île João Donato, nous pouvons penser que l’Appareil a affecté et attisé le comportement violent de Silvino, peut-être même de manière décidée, visant l’observation. Affecter l’équilibre psychique des témoins de différentes manières est une des caractéristiques du phénomène OVNI.

            3.2. Large observation du contexte humain : probable étude de la          nature de l’île et des activités nocturnes qui n’admettaient pas de         témoins

            D’autres évènements mystérieux et inconnus se produisaient dans l’île, suggérant que l’intelligence en action observait le contexte plus large de la vie humaine. L’un des comportements de l’Appareil était d’intervenir contre les gens qui circulaient la nuit : torches, lampes, cigarettes, tout feu allumé signalait la présence humaine, les obligeant à rentrer chez eux. Ce comportement convainquit les témoins que n’importe quel feu attirait l’Appareil. La peur eut pour conséquence que personne ne sortait plus à la tombée de la nuit, modifiant ainsi la vie locale, comme nous le raconte Dona Isaltina Medes :

— Isaltina Mendes : Voyez, cet Appareil est une longue histoire. En ce temps, personne ici dans l’île n’avait d’énergie électrique, tout le monde se déplaçait avec des lampes. Quand cet Appareil regardait cette lampe, le feu que l’on faisait, il descendait pour retirer le sang de l’être humain qui regardait l’Appareil. Tout feu que l’on mettait dans la rue. Quand il regardait la clarté du feu, il venait presque en bas, et la personne sortait de la rue à cause de lui. Un jour, il y eut oraison dans la maison de Caitina. Ma mère y est allée. C’était ce chemin de brousse et nous sommes allées avec des lampes. Il n’y avait pas de lampes de poche, c’étaient des lampes, et il se déplaçait dans le haut, parce qu’il ne pouvait pas regarder le feu. »

— Lallá Barretto : L’Appareil ne pouvait pas regarder le feu ?

— Isaltina Mendes : Non, il descendait pour vouloir tuer la personne et en boire le sang, c’est ce qu’il faisait en se déplaçant.

— Lallá Barretto : Ici il lui est arrivé de faire ça ?

— Isaltina Mendes : Non, parce qu’il n’a jamais trouvé quelqu’un à choper.

L’intelligence en action là-bas ne voulait attaquer personne. Il est devenu très clair qu’elle ne voulait personne circulant la nuit dans l’île. Y aurait-il aussi quelque chose d’inflammable qui rendrait la présence du feu indésirable ? La première idée qui vient à l’esprit est qu’ils réalisaient des expérimentations scientifiques pour étudier la nature de l’île, ou même l’acclimatation des petits nains dans notre monde, ne voulant pas d’interférence humaine. Plusieurs témoins racontent avoir vu la nuit des clairières au loin, au milieu de la brousse.

Des faits étranges indiquent qu’ils sont encore présents aussi dans la brousse. Sara Abreu raconte la présence récente d’un petit palmier, d’une espèce courante dans l’écosystème de l’île, qui présenta un comportement atypique pendant environ un an, obligeant aussi, par son étrangeté, la population à changer de chemin. C’est ce que nous dit Sara Abreu :

— Sara Abreu : C’était un petit palmier. Pourquoi l’étonnement ? Quelle est la différence parmi tant d’autres palmiers ? Pourquoi celui-là faisait une telle différence ? Je vais vous montrer un chemin où les gens passent. De beaucoup passer dessus, ça marque, il n’y a pas moyen que naisse aucune sorte de plante, parce que, étant beaucoup piétiné ça tue tout être ou petite plante. Mais ce palmier ne mourut pas ! Il est né là, au milieu du chemin, et il n’arrêtait pas ! Il avait un secouement, un balancement différent. Ce n’était pas le vent qui le secouait. Qu’il y ait du vent, qu’il n’y ait pas de vent, il était secoué très très très rapidement, beaucoup, beaucoup !

— Lallá Barretto : Il était toujours secoué ?

— Sara Abreu : Tout le temps, il se secouait sans arrêt. J’habite à São Luis, je suis née ici, mais j’habite São Luis depuis déjà longtemps. Ce palmier est resté plus ou moins un an. Il atteignait une petite taille comme ça la dernière fois que je l’ai vu. Avec l’un de mes enfants et mon neveu, Anderson et Pablo, nous sommes venus regarder ce palmier. Comme il ne s’arrêtait pas, Pablo a essayé de le retenir pour voir ce qu’il arriverait. S’il le retenait, peut-être qu’il s’arrêterait. Les garçons prirent peur « ne touche pas, ne touche pas, il ne s’occupe pas de nous », mais il prit le palmier, tenant un peu la feuille. Quand il le lâcha, le palmier continua pareil, secouant, secouant dans ce sens. Ce n’était pas un secouement d’un côté et dans l’autre, comme une feuille normale. Il se secouait très, très rapidement.

— Lallá Barretto : C’était un mouvement rythmé ? 

— Sara Abreu : Ça faisait du bruit, Lallá ! Zip, zip, zip, zip, zip. Le garçon l’a pris et retenu et quand il l’a lâché, il recommençait à nouveau, tout le temps.

— Lallá Barretto : Et après, il a disparu ?

— Sara Abreu : Il a disparu du lieu.

 

            3.3. Probable observation des stratégies de survie liées à      l’écologie de l’île

Dans le contexte humain de l’île, nous avons encore à relever les conditions matérielles de vie, qui étaient à l’époque assez précaires. Si l’électricité éloigna les OVNIs et l’eau courante rendit le quotidien plus facile, encore de nos jours l’alimentation de base est un poisson appelé Jabiraca, péché pendant l’été. Le poisson est mis à sécher au soleil et gardé pour garantir l’alimentation pendant l’hiver. Ce poisson séché est encore frit dans le charbon de babaçu, fruit d’une espèce (Attalea speciosa) de la famille des palmiers. Le charbon est toujours un produit maison, fait à la main à partir de la noix de babaçu. On le mange accompagné d’une pâte de farine, appelé tiquara, et de bananes.

Les coutumes religieuses de la population semblent avoir intéressé les supposés extraterrestres, car la lumière venait quand il y avait réunion de personnes pour prier, la population étant évangéliste.

D’autres actes de la vie sociale attirèrent l’Appareil, comme le « faire la garde », quand le voisinage se réunit chez quelqu’un qui est malade ou agonisant, indiquant que l’intelligence responsable des évènements ufologiques était intéressée par l’observation des aspects les plus élémentaires de la culture humaine dans l’île, associés aux aspects comportementaux et génétiques de la population de l’île. Reliquat du patriarcat brésilien, ce microcosme génétique, relativement bien préservé par l’isolement de l’île, suggère cependant l’intérêt pour l’ADN mitochondrial, soit pour la transmission de caractères à travers la mère.

            3.4. Étude probable de la structure imaginaire humaine : situation           particulière du rapport entre folklore et voyance dans l’île

Pour Freud, le folklore est chargé de l’inconscient des peuples, car il porte dans ses productions tout le vécu inconscient humain. Le folklore est pour lui une voie d’accès à l’inconscient et donc une étude des plus importantes pour la connaissance de l’humanité.

L’ufologue brésilien Antonio Faleiro fut le premier à soupçonner la réalité ufologique travestie dans les manifestations du folklore brésilien. C’était comme une sorte de dévoilement, de reconnaissance que certaines formations mentales se sont superposées à une réalité ufologique qui ne pouvait pas être assimilée par les populations rurales, par son étrangeté technologique, et encore moins révélée comme objets extraterrestres en action dans notre monde. Les figures folkloriques seraient une sorte de filtre, de défense mentale contre le radicalement différent.

La population de l’île fait une différence bien marquée entre ce qui est de l’ordre de la voyance et ce qui est évènement ufologique. La voyance est la vision du monde des esprits, et l’évènement ufologique est affirmé comme réel, quelque chose qui se passe effectivement.

Nous avons recueilli dans l’île João Donato trois figures folkloriques, entre voyance et réalité ufologique :

  • La Curacanga est une boule de feu appartenant au folklore du Maranhão et présente dans tout le Brésil comme lié au folklore des sondes ufologiques, appelée la Mère de l’Or dans d’autres régions.

  • La Chèvre Rauque est décrite en termes de voyance dans l’île João Donato. Elle serait une fantasmagorique chèvre noire qui émet un cri rauque et terrifiant, qui n’est pas celui des chèvres, étant un être ambigu, peut être un engin technologique qui circulait dans l’île, terrorisant ses habitants.

  • Le Curupira est un être petit avec les pieds tournés en arrière. Il garde les bois, faisant que les gens ayant de mauvaises intentions avec la nature perdent leur chemin, se retrouvent confuses au milieu de la brousse, ou perdent conscience pendant un certain temps, pouvant tomber quelques heures dans un sommeil noir. Il est largement rapporté dans la littérature ufologique l’existence de contacts qui demeurent complètement hors de la conscience, ne pouvant être récupérés qu’à travers l’hypnose régressive.

            3.5. Contact : établissement d’un pacte symbolique, principe du             langage humain

Du point de vue anthropologique, la modalité de contact la plus importante dans l’île fut l’établissement d’un point zéro de la communication humaine, l’établissement d’une convention significative qui rend possible l’émergence du langage, comme l’une des causes ou conséquences du passage de la nature à la culture. Le langage humain surgit quand un accord se fait entre les hommes sur les règles qui doivent être observées pour que la compréhension se fasse pour tous. Ces règles sont transmises de façon inconsciente quand nous apprenons à parler. C’est le pacte symbolique.

L’Étoile, Appareil ou Torche établi un accord tacite, un pacte symbolique avec les témoins, ce qui vient conforter l’hypothèse qui sous-tend cet article, d’un intérêt principalement d’anthropologie culturelle combiné avec l’intérêt génétique. Leonel Abreu nous raconte :

— Leonel Abreu : Tout a commencé à partir de 1970, 74 environ. Nous habitions dans l’île João Donato, située entre les villes de São Bento et Palmeirândia. Là-bas il n’y avait pas d’interférence de lumière, d’aucun bruit. C’était une île, un champ désert. Il apparaissait toujours des lumières, comme si c’était une étoile. Nous l’appelions Appareil. Si l’on disait « voilà l’Appareil », il disparaissait. Si l’on ne parlait pas, il descendait… cette lumière. Cette chose est apparue plusieurs fois, pour plusieurs personnes, tout le monde voyait. Nous travaillions deux par deux quand on accomplissait une tâche quelconque, parce que nous avions peur.

Il y eut donc l’établissement d’un point zéro du langage, un premier pacte significatif, et il ne semble pas qu’il y ait eu des cas où ce pacte n’ait pas été observé. Ce pacte symbolique fut aussi établi dans la région de Colares, au Pará, et servit à l’élaboration de stratégies de coexistence avec l’Appareil. Un degré aussi élémentaire de communication est cependant étonnant pour des civilisations que nous supposons beaucoup plus avancées que la nôtre, qui devraient maîtriser complètement cette question. Mais peut-être qu’ils ne maîtrisent rien et qu’ils essayent d’apprendre les principes du langage humain. Nous pouvons aussi penser que l’incommensurable écart technologique entre civilisations puisse signifier une incommunicabilité entre cultures, nécessitant le développement d’un langage commun.

 

  1. La continuité du contact dans le temps

Depuis que l’énergie électrique arriva dans l’île, en 1983, et que deux chemins la relièrent à la terre ferme, les évènements sont devenus plus distants, observés dans le ciel, mais ne descendant plus, comme nous le raconte Dona Isaltina Mendes Sodré :

— Lallá Barretto : Et de nos jours ?

— Isaltina Mendes Sodré : De nos jours il y a un petit appareil qui ne descend plus. Ce ne sont plus ces grandes torches que l’on voyait passer.

— Lallá Barretto : Quelle couleur ?

Isaltina Mendes Sodré : Feu ! Rouge ! Presque comme un phare de voiture quand il regardait le feu !

Cependant, avec un intervalle de vingt ans, Domingos Balbino Abreu fit la même observation que sa cousine Rosa Abreu d’un contact proche avec les mêmes êtres :

— Domingos Balbino Sodré : Il y a longtemps, l’on mettait le filet de pêche dans le canoë et l’on embarquait. Nous sommes partis deux amis et moi. Entre neuf et dix heures du soir, il ne faisait pas trop noir, la lune illuminait autour, nous avons vu alors une Torche qui descendait vers le canoë où nous étions. Comme nous avions vu que cette Torche allait vraiment descendre dans le canoë, qui était petit, nous nous jetâmes dans l’eau. Nous sommes restés pas très loin, à demi plongés, juste la tête dehors, que nous avons couvert avec des branches pour pouvoir voir ce qu’il y avait à l’intérieur de cette Torche, qui était un Appareil. Et nous avons vu. Deux personnes en sont descendues, sauf que elles n’étaient pas des grandes personnes, c´étaient des nains, des personnes toute petites, mais elles étaient toutes équipées, habillés comme ceux qui vont dans l’espace, c’était comme ça. C’étaient des petites personnes. Elles sont sorties de l’intérieur de l’Appareil, sont restés en train de chercher dans le canoë et, ne trouvant personne, après environ dix minutes ils rentrèrent et montèrent à nouveau. C’était une grande Torche, comme un ballon. Nous sommes partis tout de suite appeler les compagnons. Tout le monde avait peur ! Nous avons pris le petit canoë avec le filet de pêche et nous sommes partis !

Domingos et son frère Hélio sont mariés avec deux sœurs. Ces deux couples appartiennent à la nouvelle génération, se situant dans la vingtaine et la trentaine environ. Domingos eut l’expérience que nous venons de rapporter. Les deux sœurs elles aussi eurent un contact avec la Torche il y a huit ans et aussi récemment qu’en janvier 2016. Ces faits indiquent que les combinaisons génétiques de l’île João Donato sont toujours observées.

  1. Conclusion

La présence d’une situation psychologique qui caractérise le passage de l’état de nature à celui de la culture dans l’anthropologie freudienne, avec une réédition du père de la horde, générant une situation familiale conforme au modèle patriarcal de l’arrière-pays du Brésil, très atypique cependant par le degré de perversité et de violence auquel était soumise toute la famille Abreu, semble avoir été l’intérêt principal de l’intelligence en action dans l’île.

Les résultats de la recherche portent à croire que l’île João Donato fut un laboratoire d’étude anthropologique pour une ou plusieurs intelligences, que nous supposons extraterrestres. Que cette intelligence, peut-être renseignée par notre propre science, planifia ses activités dans l’île en tenant compte de l’entendement de l’humain sur soi-même. Que l’Appareil avait plutôt une fonction d’observateur que de collecteur de matériel biologique humain. Malgré la déclaration des témoins selon laquelle l’objectif de l’Appareil était de prélever du sang, jamais, pendant dix ans, quelqu’un ne fut atteint avec marques et séquelles, comme à Colares. Tout le Maranhão était infesté d’Appareils dans les années 1970. Silvino lui-même rentrait toujours racontant des histoires de personnes affectées par des objets technologiques, histoires confirmées par la recherche dans les journaux de l’époque. Les témoins de l’île auraient beaucoup de matière pour inventer des attaques, mais ils rapportent exactement l’expérience particulière vécue dans l’île João Donato.

L’établissement d’une convention significative, d’un point zéro du pacte symbolique, indique une reconnaissance du langage comme facteur qui nous rend humains, différentes des autres animaux.

La population de l’île était observée par l’Étoile, l’Appareil ou Torche. Sa proximité avec les témoins suggère que ces derniers auraient pu être l’objet d’abduction. Cependant, nous n’avons pas recueilli de récits sur ce sujet.

Les témoins attestent avoir vécu une double réalité : celle propre à leur vie d’humain, et le contact quotidien avec des réalités radicalement différentes et incompréhensibles, avec l’incursion d’objets technologiques et la modification des habitudes dans l’île. Les manifestations ufologiques marquèrent pour toujours la mémoire et la vie des témoins, la famille Abreu étant la plus affectée par les conséquences du phénomène OVNI. Après avoir discuté avec beaucoup de monde, nous avons eu la mesure de cette double réalité nocturne, de cette coexistence avec le surnaturel et l’inconnu. Nous avons remarqué que quelque chose comme une fracture nerveuse se révèle dans les récits, quarante ans après les évènements.

L’exacerbation du comportement du père pose beaucoup de questions par le raffinement et la permanence de la violence. Il ne serait pas abusif de supposer, suivant la littérature ufologique, que Silvino ait pu être affecté dans sa vie psychique par l’intérêt de l’Appareil, et que son comportement ait pu être attisé à des fins d’observation de l’anthropologie familiale.

L’intérêt de l’Appareil pour la nature de l’île devient clair aussi, et ses activités nocturnes n’admettaient pas d’interférence humaine. La terrifiante Chèvre Rauque faisait fuir les humains se déplaçant dans l’île. Une sorte d’engin technologique camouflé en palmier obligea les habitants à changer de chemin aux alentours de 2015, démontrant que l’intelligence était toujours là, mais que le gros du travail fut fait jusqu’à l’arrivée de l’électricité dans les années 80.

Il est intéressant de noter que l’île João Donato et toute la région de Colares partagent deux points communs avec les autres états du Nord :

  • Il y a une coïncidence de temps, les années 1970 pour l’île et les autres états, 1977-78 pour les évènements consignés par le gouvernement brésilien à Colares et sa région.

  • Coïncidence géographique : le Maranhão et le Pará sont des états voisins, dans un contexte de manifestations qui englobe tous les autres états du Nord du Brésil, ayant comme points forts le cas Barroso, dans le Ceará en 1976 et le cas de l’île dos Caranguejos, dans le Maranhão même, en avril 1977, pour ne citer que deux cas parmi les plus spectaculaires. L’Étoile, Appareil ou Torche était le seul objet qui se manifestait et se manifeste encore dans l’île, au contraire de Colares, où neuf types d’objets différents se sont exhibés, engagés dans toutes sortes d’activités incompréhensibles, dont l’attaque physique qui fut largement documentée par des rapports médicaux.

Pendant notre recherche dans l’île, nous nous sommes tout le temps posé la question de ce que nous faisions au milieu de la brousse en train de recueillir des témoignages et informations, sans jamais avoir été nous-même témoin d’un évènement ufologique. Et si rien de tout cela n’était vrai ? Rentrant à la maison à la tombée de la nuit, après une journée chargée, nous entendons notre cinégraphiste nous appeler de toute urgence dans le jardin. Nous descendons en courant avec d’autres personnes présentes. Arrivés au jardin, il nous montra l’Étoile ! Il nous raconta qu’il regardait le ciel quand il a vu une étoile grandir dans sa direction. Quand il nous appela, l’étoile revint à sa taille de départ. Nous avons observé alors une petite étoile, plus étoile que les autres, qui passa en décrivant des mouvements très rapides et erratiques, jusqu’à s’éteindre comme une lampe.

 Rio de Janeiro, le 13 mai 2020.