Note de lecture : Moustapha SAFOUAN « Regard sur la civilisation œdipienne – Désir et finitude » Hermann, Psychanalyse – Maria OTERO ROSSI

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Note de lecture : Moustapha SAFOUAN « Regard sur la civilisation œdipienne – Désir et finitude » Hermann, Psychanalyse – Maria OTERO ROSSI


BIBLIOTHÈQUE


 

Dans son dernier ouvrage Regard sur la civilisation œdipienne – Désir et finitude, paru en 2015 Moustapha Safouan traite des thèmes essentiels de la pratique et la théorie psychanalytique en s’appuyant sur des exemples cliniques tirés de sa riche expérience, ainsi que celle de Ferenczi et Freud. Mais aussi – et surtout – c’est à partir des figures cliniques issues de la littérature universelle et de la tragédie grecque que l’auteur tire des enseignements sur la clinique fondamentale et cela constitue en soi une leçon de méthodologie pour la recherche clinique.

 

Dans la première partie du livre, Moustapha Safouan rappelle la nécessité de revenir à une théorie « du désir considérée dans son inhérence au fantasme », théorie qui entraîne aussi une conception cohérente de la fin de l’analyse. C’est à cette délicate question qu’est consacrée la première partie de cet ouvrage.

 

Au plan épistémologique, l’auteur rappelle qu’il est difficile d’approfondir la question du désir sans se référer à la tragédie grecque. Ainsi, c’est Dionysos qui – du point de vue de Saphouan – est la « figure par excellence de la division du sujet » car il est en effet « le vrai sujet qui reste en retrait par rapport à ce qui de l’être du sujet parlant s’objective grâce à ses identifications ». Dionysos devient le sujet divisé et s’érige comme « le représentant de ce manque que Lacan a épinglé comme castration symbolique, autrement dit il est le désir ».

 

Dans cette partie consacrée à la question majeure du sujet dans l’analyse et à partir de l’étude de l’article de Freud « Analyse avec fin et analyse sans fin » considéré comme un dialogue avec Ferenczi, Moustapha Safouan postule que les analyses se terminent le plus souvent par une conclusion d’ordre pratique. Mais l’auteur ne s’arrête pas à cette exposition du paradigme freudien sur la fin de l’analyse : il montre, et c’est une thèse importante de cet écrit, que Freud voit dans ce qu’il appelle « l’inspiration à la virilité » l’indice d’une loi qui fait le manque commun à l’homme comme à la femme. Et il ajoute : « c’est là que nous touchons au ressort de l’entreprise dont Lacan s’est chargé en introduisant ses trois catégories du symbolique, de l’imaginaire et du réel ». Enfin, l’auteur distingue les différentes facettes du procès de la réalisation subjective : chute du sujet supposé savoir, assomption de la division du sujet, traversée du fantasme fondamental et interprétation de la menace de castration.

 

La deuxième partie de cet ouvrage est consacrée à une lecture des tragédies grecques, en particulier Œdipe Roi. C’est donc à partir des figures cliniques issues ici de la tragédie que l’auteur tire des enseignements sur la clinique fondamentale et que nous est transmis comme une leçon de recherche clinique.

 

Il s’agit là d’un exemple de démarche scientifique, lorsque qu’il propose d’écouter un personnage de fiction et de mettre le savoir non pas de notre côté, mais du côté, par exemple, d’Antigone.

 

Pour citer quelques références aux textes dramatiques dans leur mise en tension d’une question clinique dans cet ouvrage majeur, on peut évoquer entre autres Dionysos et Les Bacchantes d’Euripide pour aller dans l’Antiquité, mais aussi plus proches de nous nous trouvons Anne Karénine et Tristan et Isolde.

 

Mais c’est surtout Œdipe qui agit comme fil conducteur tout au long de ce livre comme une reférentialité clinique. C’est-à-dire que l’auteur nous montre qu’un texte peut agir comme un matériel clinique. Ici, c’est dans la portée inconsciente d’un personnage que nous trouvons la valeur clinique. Telle la démarche entreprise par Freud dans le texte « Personnages psychopathiques à la scène » où il établit une comparaison entre la mise en scène théâtrale et les formations de l’inconscient. Rappelons que cet écrit posthume est le seul à être consacré entièrement au théâtre bien que toute l’œuvre de Freud ait des références aux pièces théâtrales et aux tragédies.

 

Œdipe donc est décrit en cette occasion par Moustapha Safouan comme quelqu’un qui « n’a rien d’un héros civilisateur parcourant le chemin de la nature à la culture. Sa culpa n’est pas dans l’animalité et l’absence des lois, mais dans la capture transgressive de son désir qui fait la définition de la démesure. L’idée même de la nature est une idée culturelle. » Et, un peu plus loin, l’auteur nous livre les arguments cliniques qu’il tire de sa lecture profonde de la tragédie de Sophocle : « pourquoi la fuite (d’Œdipe) s’il n’avait pas craint et ce meurtre et ce mariage, et pourquoi la crainte s’il n’en avait pas quelque part le désir, un désir qui est aussi angoisse de ce même désir ? Au fond, Œdipe Roi est l’exemple type de ceci : que c’est seulement par le détour de la fuite, dont les mécanismes de défense reconnus dans l’analyse – tout particulièrement le refoulement – constituent des formes diverses, que quelque chose se déduit de l’horreur de la jouissance que ce désir « promet ». Mais alors, la question de la responsabilité d’Œdipe prend une autre ampleur et débouche sur celle de la relation entre le désir et la loi comme détermination du droit à la jouissance de biens ».

 

Ceci nous mène directement à la troisième partie du livre, où le chercheur vise à donner une réponse à la question suivante : « Est-ce un hasard si à la fin du XIX siècle un homme de science, Freud, ait retrouvé ces crimes abhorrés de tous comme les désirs refoulés au cœur de chacun ? ».

 

On retiendra que l’analyse des modifications de la structure familiale au XIXème siècle permet de commencer à répondre à cette question. Et l’on retiendra aussi que cette analyse permet à Moustapha Safouan de soutenir que « la défaite de l’autorité patriarcale de l’Ancien Régime a été la conséquence de la montée de l’individualisme et de la société de masse ».

 

En guise de conclusion, cet auteur devenu indispensable soutient que la civilisation œdipienne a réussi à donner aux hommes les religions qui donnent sens à leur vie. La fin de cette civilisation comporte en soi le risque –véritablement déjà présent dans notre actualité – du retour au religieux, ou bien de l’émiettement de la vie sociale en des bandes soumises à l’influence des chefs.