Editorial : lire , voir , entendre…

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Editorial : lire , voir , entendre…


edtorial

Ce premier numéro de Sygne est l’événement inaugural frappant les trois coups de la naissance d’une nouvelle Revue de psychanalyse dont l’ambition est de donner à lire (articles), à voir et à entendre (photos, vidéos) ce qu’il en est de l’élucidation de l’actualité du symptôme qui se trouve être du point de vue de Freud la voie royale d’accès vers la mise au jour des ressorts inconscients de la psychologie des masses et donc du malaise dans la culture.

Ce premier numéro consacre son dossier à la question féminine puisque c’est bien elle qui, pour toutes sortes de raisons, hante le champ freudien et se trouve être un des chantiers majeurs de l’actualisation du malaise, étant entendu que l’évolution historique de la situation faite aux femmes constitue une des modifications morphologiques les plus évidentes de la culture occidentale, voire de sa mise en récit ou en mythe.

De l’Oedipe au féminin à Sygne de Coûfontaine, l’héroïne de Claudel, ou à Wonder Woman, on comprend qu’il est urgent pour le champ psychanalytique de mettre à jour ce qui se déboîte de la situation des femmes dans la mythologie occidentale. Car il y a bel et bien une mythologie polymorphe dans la modernité tardive et bien entendu une mythologie religieuse.

D’où le choix de Sygne élevée ici à la dignité d’une figure majeure propre à non seulement nous mettre avec Lacan sur la piste de la forme peut-être la plus actuelle de la castration, mais aussi et plus généralement sur le sentier d’une condensation polymorphe de tout ce qu’il faut bien passer enfin en revue pour que la psychanalyse rejoigne l’esprit du temps.

Pour Freud, la vierge fait couple avec le père mort, et prendre notre départ de l’idéal virginal ne vise évidement pas à nous conduire vers une relance du catholicisme claudélien mais bien plutôt à restituer la place majeure de l’empire des mythologiques inconscients dans la modernité.

Et ceci est urgent, car au moment même où j’écris ces lignes on aperçoit avec la vague d’attentats qui a frappé Paris, ce que j’appellerai la nocivité foncière de l’idéal religieux que quelques « innocents » ont cru pouvoir déclarer cliniquement mort. Or, c’est bien toujours au Nom du père mort que sont perpétrés les crimes de masse par ceux que Freud a appelé les criminels sans remords. Oui, il y a bien un envers morbide du symbolique qui émerge avec l’élaboration idéale du sacré. Mais ceci relève de la conscience et tous peuvent maintenant s’accorder là-dessus tandis que ce qu’il revient à la psychanalyse de désigner, c’est moins le travail de l’idéal au nom duquel se fait l’acte criminel que ce qui pousse à l’acte et en constitue donc la véritable cause inconsciente : le surmoi.

Cette question sera développée ailleurs, mais ce que je veux simplement ajouter ici, c’est que le travail morbide du surmoi n’est pas sans condition sociale et qu’il est d’autant plus puissant qu’il émerge au cœur des catégories sociales en désarroi. Désarroi qui pour le dire vite motive la férocité du surmoi et donc la force relative de la mélancolie, mais aussi son envers inconscient facilement reconnaissable dans ce que j’ai appelé par exemple la manie des toxiques mais aussi dans ce que je nomme maintenant la manie de la terreur, manie par laquelle le sujet préalablement persécuté par le surmoi dans ses nuits de cauchemar s’engage dans un renversement de la terreur chez l’autre. L’acte pouvant à l’occasion capitonner le meurtre causé par le surmoi à l’usage de méthamphétamines et in fine à un idéal religieux qui n’en est donc pas en vérité la cause.

Si le désarroi des catégories sociales relève en particulier des mécanismes de la ségrégation qui les frappent et que ces mécanismes doivent être lus dans la longue durée avec le savoir des sciences sociales (histoire, économie, anthropologie urbaine, etc.), reste que seule la psychanalyse peut nous aider à nous y retrouver quant à la clinique de l’acte, car la relative pauvreté de la théorie du sujet dans les sciences sociales constitue une sorte d’impasse que seule la théorie du sujet de l’inconscient permet de surclasser.

Et c’est donc elle qui sera au cœur de l’élucidation portée par Sygne comme par sa communauté de lecteurs qui sera formée par tous ceux qui voudront s’inscrire dans le projet de Sygne en soutenant le développement de cette revue qui, parce qu’elle n’est la revue d’aucune école, est d’une certaine manière celle de tous ceux dont le désir se trouve marqué par celui de Freud et de ses héritiers.

La suite dira bientôt ce que deviendra cette communauté et cette nouvelle revue elle-même.

Markos Zafiropoulos

Paris, décembre 2015