Le héros et le sujet de l’inconscient : du fétichisme à l’adoption du héros christique en Afrique centrale – Dider MAVINGA LAKE

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Le héros et le sujet de l’inconscient : du fétichisme à l’adoption du héros christique en Afrique centrale – Dider MAVINGA LAKE


Le héros et le sujet de l’inconscient


En Afrique centrale, chez les Bakongos, une des ethnies du Congo, il existe deux mythes sur la fondation du royaume du Kongo. Le premier, cité par Luc de Heusch, rapporte qu’au début de la christianisation, le très pieux roi ALPHONSO 1er (qui possède là un nouveau nom, suite à son baptême ; son véritable nom africain étant Mvuemba Nzinga) enterra vivante sa propre mère qui refusait de renoncer à la religion traditionnelle et aux fétiches. Il convient, ici, de comprendre les fétiches dans le sens culturel et non structurel.

 

Un deuxième mythe rapporté par Cavazzi (1687), indique que Lukeni, le fils cadet du roi Vungu, s’installa avec ses partisans au bord du fleuve où il exigeait un droit de péage. Un jour, il se disputa avec sa tante paternelle qui refusait de s’acquitter du montant exigé. Il l’éventra alors qu’elle était enceinte. Dans la peur de la colère paternelle, Lukeni s’établit alors sur la rive sud, où il fonda le royaume du Kongo après avoir défait un chef local, Mambombolo.[1]

 

Bien que de manière différente, chacun de ces mythes semble mettre au premier plan un matricide fondateur, distinct du parricide propre au mythe heuristique de la horde primitive. C’est en effet ce matricide qui établit une nouvelle loi, celle, pour le premier, d’une religion substituée aux fétiches, ou, pour le second, d’une contrée distincte établie sur la rive Sud.

 

Ces deux mythes fondateurs donnent lieu à l’adoption d’une toute singulière figure christique du héros : héros que sont ces rois africains chrétiens, mais aussi héros que sont ceux qui les secondent, et viennent revisiter un système de croyances et de fonctions institutionnelles propres à l’Afrique pré-christique.

 

C’est ici plus proprement dans la figure du prêtre que nous choisissons de voir l’avènement de ce nouveau héros, mais dans une création particulière.

 

En effet, c’est un remplacement conservateur, véritable Aufhebung hégélienne, où ce qui est dépassé reste partie constituante de la dernière figure synthétique, qui a ici lieu, entre le prêtre et le guérisseur.

 

La question qui se pose alors est celle de l’opérativité symbolique de cette figure du héros christique, et de sa spécificité en Afrique centrale. Si le héros maintient, dans une tradition occidentale, une référence latente au meurtre du père de la horde primitive, comment se réarticule ici cette référence ? Quels nouveaux agencements interviennent, et comment sont configurées les figures paternelle et maternelle dans cette refondation symbolique ? Comment, en outre, surgit, dans ce réagencement spécifique, une figure toute particulière de l’enfant qui n’est que le pendant, par retour du refoulé, de cette figure mixte du héros christique ?

 

Pour comprendre plus avant ces deux mythes internes à la narration de la constitution d’un pays, il nous faut rappeler comment la christianisation est arrivée dans cette partie de l’Afrique.

 

Le christianisme fut introduit dès la fin du XVe siècle par les missionnaires et les navigateurs portugais ; c’est l’explorateur Diego Cao qui découvrit l’embouchure du fleuve Congo en 1483 et qui considéra que la position géographique de ce royaume était stratégique pour les trafics entre l’Europe et l’Afrique. Ainsi, Luc de Heusch ajoute-t-il que « cette partie de l’Afrique constituait le passage obligé de tous les grands aventuriers de l’époque et de la plupart des puissances maritimes européennes : Portugais, Espagnols, Français, Anglais, Hollandais ; des caravanes parties de la côte atlantique s’enfonçaient dans le pays, offrant des produits manufacturés européens en échange principalement d’esclave et d’ivoire. »[2]

 

Cette soudaine arrivée des hommes blancs fut l’objet d’inquiétudes et de malentendus. En faisant fond de manière critique sur les travaux des historiens et des anthropologues, en essayant d’y trouver une confirmation là où ils nous servent et en les rejetant sans hésiter dans le cas contraire — comme le dit Freud de la Bible dans L’homme Moise et la religion monothéiste : « c’est la seule manière de traiter un matériel dont on sait pertinemment qu’il n’est pas sûr, pour avoir été endommagé sous l’influence des tendances déformantes » — les récits transmis jusqu’à nos jours racontent que les premiers Européens furent perçus comme des ancêtres réincarnés. L’océan d’où surgissaient ces étranges créatures chargées de richesses était considéré comme la face visible de cette mer souterraine qui est le domaine de la mort.

 

Dans cette partie de l’Afrique, on considère que les morts prennent une apparence d’albinos. Or, les Européens sont considérés à l’époque soit comme des albinos, soit comme des figures aquatiques appartenant à la catégorie des génies de la nature. Parmi eux, vinrent des prêtres qui entreprirent d’enseigner la religion chrétienne et exhortèrent le roi et l’aristocratie locale à se convertir. Quelques principes de la doctrine chrétienne parurent suffisants aux missionnaires pour administrer le baptême. Aussitôt baptisés, ces nouveaux chrétiens, dans un mouvement iconoclaste, ordonnèrent de brûler toutes les idoles, les masques et fétiches auxquels leurs pères étaient attachés.

 

Si le roi décida d’embrasser sans hésiter la foi chrétienne des nouveaux venus, c’est parce qu’il entendait profiter de l’irruption des Européens, incarnations d’esprits aquatiques, pour se doter d’une sacralité qu’à vrai dire il ne possédait pas. En réalité, son autorité morale dépendait entièrement de l’action rituelle d’un sorcier-guérisseur, qui assumait le rôle rituel le plus important lors du couronnement du roi ; il commandait la pluie, assurait le succès de la chasse, soignait les troubles mentaux et était responsable de la fertilité du sol. Comme le roi n’était pas sorcier-guérisseur lui-même, il saisit l’occasion inespérée qui lui était offerte pour retourner la situation à son profit.

 

L’ambivalence de cette nouvelle conversion était donc de mise : la foi chrétienne devenait officiellement royale, mais pour des raisons politiques et, somme toute, fondamentalement de croyances magiques et de sorcellerie.

 

Au risque d’effectuer une certaine généralisation, cette ambivalence, par delà ce qu’on appelle habituellement syncrétisme, et dont on trouve des traces évidentes dans le Candomblé au Brésil par exemple, reste constitutive du rapport des Congolais au christianisme.

 

Ce n’est pas ici le lieu de retracer toutes les péripéties de cette histoire d’un royaume africain qui entretint des rapports « amicaux » durables avec les Européens. De cet abondant corpus que nous ont laissé les historiens, nous ne retiendrons qu’un nombre limité d’informations relatives à la problématique de la christianisation. Notons de prime abord que les rois chrétiens altérèrent les fondements théologiques du christianisme.

 

En réalité, les populations n’associaient pas le christianisme avec la religion monothéiste mais avec les esprits aquatiques, les ancêtres réincarnés ou les morts. Le christianisme dans cette partie de l’Afrique reposait, dès le départ, sur un malentendu ; ces populations ne vénéraient pas Dieu mais les esprits réincarnés, d’après leurs croyances, par les missionnaires blancs. Il n’y eut donc pas d’implantation du christianisme comme religion à part entière.

 

Par la suite, les prêtres catholiques firent partie de la cour. Lors du couronnement de Pedro II, en 1622, décrit par un chanoine portugais, le rôle principal était tenu à la fois par un prêtre catholique, le vicaire général et par le sorcier-guérisseur : « A cette époque, ce sorcier-guérisseur assiste aux conseils royaux caché derrière une paroi de paille ; lorsqu’il a parlé (…) le roi lui-même ne peut répondre et tous battent les mains en signe de consentement. »[3]

 

L’on peut supposer que cette éminente position politique du sorcier-guérisseur s’explique amplement par le rôle rituel et magique qu’il assumait jadis, qui dépossédait le roi d’une partie de son pouvoir, ce qui était mal vu par les missionnaires ; d’autant plus qu’il assurait la régence lorsque le roi mourait.

 

On est mieux en mesure de comprendre à présent l’empressement que mit le roi Alfonso 1er, au début du XVIe siècle, à adopter le christianisme. Joao 1er, son père, le premier roi baptisé, n’avait pas tardé à abandonner la nouvelle religion chrétienne ; sa mort provoqua une guerre de succession.

 

Deux princes s’affrontèrent : Alfonso 1er, défenseur du christianisme, et son demi-frère, soutenu par le sorcier guérisseur. Dès lors Alfonso affronta dans la personne de son rival, soutenu par le sorcier-guérisseur, toute la tradition politico-religieuse. Il se fit donc l’apôtre acharné du christianisme.

 

Après sa victoire, il fit exécuter son demi-frère, mais accorda la vie sauve au sorcier-guérisseur à condition qu’il se convertît et échangeât ses fonctions de sorcier contre celle de gardien de l’eau bénite[4].

 

Voilà comment le sorcier-guérisseur attitré de la tradition fut forcé d’embrasser la nouvelle foi chrétienne, pour cette fois entrer ainsi au service du roi. Indiquons ici que c’est cette première figure du sorcier-guérisseur au service de la royauté, que nous choisissons de considérer comme héroïque. En elle s’inscrit toute la tradition du Nganga, guérisseur, sorcier bienfaisant que le Congolais Bakongo consulte pour rétablir l’équilibre, lorsqu’un malheur vient à le frapper.

 

De l’ensemble de ces récits nous conclurons que la royauté traditionnelle présentait un modèle dualiste : le sorcier-guérisseur (auquel vinrent s’adjoindre, sans parvenir à l’éliminer, les responsables de l’Eglise catholique) en assumait la part rituelle en matière magico-religieuse, et le roi qui faisait figure de nouveau prince chrétien. Les rites chrétiens étaient désormais parfaitement intégrés à la pompe royale, octroyant au souverain un pouvoir magico-religieux par l’intermédiaire des missionnaires, de ces experts étrangers maniant de nouveaux objets magiques. Le crucifix, les médailles, les images saintes et l’hostie furent assimilées à des charmes, ils entrèrent dans la catégorie des fétiches protecteurs.

 

Apparût alors une nouvelle figure de héros christique dans le système de pensée africain : le prêtre catholique était considéré comme une nouvelle forme de sorcier-guérisseur ; la croix, le chapelet, l’eau bénite, les images que possédaient le prêtre étaient des fétiches d’un nouveau type.

Dans ce malentendu originaire, le christianisme devint la religion nationale, en conflit avec les croyances traditionnelles ; les missionnaires s’étant fixé comme objectif de remplacer les fétiches par l’eau bénite et d’imposer la croix à la place du totem.

 

L’adoption du héros christique en Afrique centrale s’est donc faite dans un malentendu, en réalité particulièrement fécond, puisqu’elle suscita, dans un savant métissage du christianisme et des croyances locales, de nouvelles figures symboliques. C’est un malentendu similaire qui continue d’exister, et qui a favorisé l’action des pasteurs évangélistes africains. Ceux-ci semblent en effet avoir remplacé les sorciers guérisseurs dans la régulation de la jouissance propre à certains sujets dans la société africaine. Ils assurent une fonction principale dans la prise en charge de l’angoisse et de l’anxiété. Il leur est adressé une triple demande : celle de protéger des idées projectives, comme le fantasme de persécution par un esprit maléfique ; celle de soigner physiquement et psychiquement et celle de réaliser certains désirs comme il était avant demandé au sorcier-guérisseur.

 

Ici encore, un glissement, propre à la réinterprétation du christianisme par les traditions animistes locales, a eu lieu (comprendre l’animisme ici comme mode de pensée projectif, qui masquerait des questions structurelles) : le pasteur est considéré culturellement comme celui qui protège des démons et non comme celui qui commémore Dieu.

 

Mais alors se pose, dans notre perspective, la question des remaniements de la figure de l’Autre, question qui pourrait se formuler ainsi : « Peut-on exporter du père ? » ; y a-t-il vraiment eu adoption du héros christique ? Y a-t-il eu conversion au christianisme ?

 

Comme le rappelle souvent Paul-Laurent Assoun, le principe freudien veut qu’on a beau être converti, on garde en secret ses vieilles idoles, comme l’enfant le fait d’ailleurs. L’enfant est un converti de la famille ; on passe son temps à vouloir qu’il soit conforme au désir des parents, il le fait, mais il conserve ses anciennes croyances pulsionnelles. C’est, nous l’avons vu ici, un échec que rencontre la conversion par l’Eglise et ses missionnaires : dans l’économie interne de la jouissance de ces populations, le prêtre n’est pas considéré comme un homme de Dieu, mais comme un sorcier-guérisseur possédant la magie blanche.

 

Les Africains n’ont donc pas adhéré à l’idée de rédemption, ils ne se sont pas transformés ; ils sont restés adhésifs et adhérents à leur mode particulier de gérer la jouissance. Se pose la question de la manière dont se fait le mélange entre la jouissance des missionnaires et celles des Africains. Il s’agit de cette façon très particulière d’y croire sans y croire, qui organise le sujet africain en tant que sujet divisé.

 

Si les missionnaires n’ont pas réussi à convertir les Africains au christianisme, l’adoption d’une figure particulière du héros christique a, en revanche, eu lieu. Cette figure a singulièrement pour pendant, en Afrique centrale, celle de l’enfant sorcier, cause du désarroi et du malheur de la famille.

 

Commençons par mettre en perspective ici cette figure de l’enfant maléfique avec les mythes matricides fondateurs du Congo.

 

La seconde version, où Lukeni éventre sa tante paternelle gravide ne manque pas de faire penser à un retour effrayant de cet enfant sacrifié, retour projectif d’un refoulé constitutionnel de la première position d’une identité religieuse mixte. L’enfant sacrifié revient ici, dans une inquiétante étrangeté, sous les traits de l’enfant sorcier.

 

Alors qu’y a-t-il de cliniquement commun entre l’enfant divin et l’enfant sorcier constitué comme coupable et rejeté de la famille comme l’interroge Markos Zafiropoulos avec qui nous avons travaillé cliniquement ce cas ?

 

Avant de répondre, voyons d’abord une situation clinique pour illustrer ce qu’est l’enfant sorcier. Il s’agit de Diva, petite fille de cinq ans dont la mère repère un retard dans le réveil, et considère qu’il s’agit d’une disjonction effective entre l’âme de sa fille quittant son corps la nuit et ayant du mal à revenir au moment du réveil.

 

Elle diagnostiqua en elle la diabolique possession causant le cortège de ses propres douleurs, où s’alliaient aux insomnies les cauchemars, la tristesse et les vœux de mort inconscients, motivant ce que nous pouvons appeler l’inconscient mélancolique.

 

L’enfant sorcier et l’enfant divin semblent former, tout pousse à y penser, l’envers et l’endroit de la même médaille, puisque, comme le dit Markos Zafiropoulos, si Dieu s’est fait homme, rien n’empêche après tout le diable d’en faire de même. Apparaissent ici deux figures cliniques très différentes de la fétichisation de l’enfant.

 

La première, l’enfant phallique, distribué du côté de la chrétienté tardive et l’autre, l’enfant diabolique qui n’est autre qu’une figure de l’objet (a) situé par la culture africaine à l’extérieur de la cité et sacrifiée à l’obscurité d’autres puissances invisibles démontrant, s’il le fallait, que l’Autre de la culture africaine n’est pas l’Autre de l’Occident chrétien, même s’il s’agit de deux formes d’Autres non sans rapport historique, ni solidarités de structure. Cela ne nous maintiendra pas moins éloignés de tout relativisme culturel et nous conduit à parier sur l’universalité de la subjectivité.

 

Nous pouvons ainsi capitonner cette clinique de l’enfant sorcier avec les deux mythes sur la fondation du royaume du Kongo, le premier, celui du très pieux roi Alphonso 1er, qui, au XVIe siècle, enterra vivant sa propre mère qui refusait de renoncer à la religion traditionnelle ; le deuxième, celui de Lukeni, le fils cadet du roi Vungu qui éventra sa tante, alors qu’elle était enceinte, pour s’établir sur la rive, autre rive, où il fonda le royaume du Kongo.

 

Ces deux mythes internes à la mythologie africaine, au récit ou à la narration de la constitution du pays, et du royaume, montrent à l’évidence que pour l’adoption de la religion chrétienne, il y eut d’une certaine manière, le sacrifice d’une mère originaire ; sacrifice qui n’en fait pas une déesse instituante, puisqu’il s’agissait de se débarrasser de la mère pour faire émerger une organisation symbolique renouvelée, fonctionnant au nom du père des Chrétiens ou au nom du père des nouveaux pères, des nouveaux dieux et de donner une nouvelle version du signifiant zéro, ici à sa juste place. C’est ici l’émergence dans la société des rois-dieux du royaume africain, fondée sur l’éventration d’une femme enceinte, puis la refondation, au nom du père des Chrétiens amenant Alphonso 1er à enterrer sa propre mère lorsqu’elle refuse de renoncer à la religion traditionnelle.

 

L’expérience clinique amène alors au premier plan les démêlés de l’enfant avec la mère, avec la menace de castration par la mère dévorante, ce qui fait de l’enfant sorcier un fétiche de la mère.

 

L’enfant est le fétiche ; Freud, dans le texte sur les transpositions pulsionnelles nous dit que tous les objets libidinaux peuvent être échangés en équivalence. Il ne dit pas exactement que l’enfant est un fétiche, mais il le place à la fin d’une série d’objets antérieurement désirés. En d’autres termes, longtemps avant qu’une femme n’ait eu la moindre idée d’avoir un enfant, il était déjà constitué comme objet ; il était déjà préconçu.

 

Sur cet enfant préféré, l’enfant fétiche, ne manque pas de porter, en même temps, la haine de la mère. C’est ici la dimension phobique, intrinsèque à l’objet désiré : l’idée que le sujet ne manque pas de désirer qu’il arrive quelque chose à l’objet le plus précieux. En résulte alors pour le sujet une menace mortifère émanant de l’objet qui pourrait se venger de la haine inconsciente que lui est adressée. L’enfant sorcier, matérialisation d’un regard d’envie de la mère sur son propre objet est alors, en quelque sorte, un objet a incarné.

 

Comme le montre la situation clinique de Diva, et celle de bien des enfants-sorciers ndoki (celui à qui est attribué culturellement le pouvoir surnaturel de répandre le malheur, de nuire à autrui), la mère n’hésite pas à sacrifier cet enfant-fétiche martyrisé.

 

Le mythe freudien de la horde primitive ne semble pas ici de mise : ce n’est pas un père mort ou tué à nouveau qui réapparaît, comme retour du refoulé, dans la figure de l’enfant sorcier, le sorcier diabolique n’est pas une catégorie du discours freudien. Cet enfant sacrifié, chargé par tous les autres du malheur du névrosé, voire du psychotique africain, susceptible d’être livré en pâture à la jouissance de l’Autre, pointe ici la question d’une jouissance maternelle, qu’un matricide originel n’aurait pas évacuée, mais au contraire, mise au premier plan.

 

La première introduction du christianisme au XVIe siècle amène en effet un changement : par cette religion du père et des pères (padres portugais), c’est un matricide qui doit être commis, et, dans le ventre de cette mère tuée, un enfant sacrifié, qui revient sous la forme de l’enfant-sorcier.

 

Au héros qu’était le sorcier bienfaisant nganga commence alors à se substituer le sorcier prêtre, dont le pendant est l’enfant sorcier. Les différentes introductions ultérieures du christianisme, et la plus récente, évangéliste, amènent une nouvelle substitution : l’enfant-sorcier laisse peu à peu place à l’enfant martyr de l’Eglise, le martyre du Christ venant ici investir d’un nouveau sens l’histoire des enfants sorciers sacrifiés.

 

Le virage de l’enfant sorcier à l’enfant martyr correspond donc à un changement des coordonnées du discours et plus précisément des paires signifiantes : au couple sorcier bienfaisant (nganga) / sorcier malfaisant (ndoki) se substitue d’abord le couple prêtre/enfant-sorcier, puis pasteur/enfant martyre.

 

La fonction toute particulière du héros christique, en Afrique centrale, n’advient qu’en donnant lieu à une figure inédite de l’enfant fétiche : celle de l’enfant sorcier, pendant du héros chrétien qui en rappelle le métissage culturel et le malentendu originel. Si l’institution d’un Père et de pères, par le christianisme, s’effectue par le refoulement originaire d’un matricide, c’est le retour de ce refoulé que semble pointer l’apparition clinique de l’enfant-sorcier.

 

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[1]W. G. L. Randles, L’ancien royaume du Congo des origines à la fin du XIXe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1968, p. 17 ; J. Vansina, « Notes sur l’origine du royaume de Kongo », Journal of African History, IV, 1, 1963, p. 33).

[2]L. de Heusch, Le roi de Kongo et les monstres sacrés, Paris, Gallimard, 2000.

[3]L. JADIN, « Le Congo et la secte des antoniens. Restauration du royaume sous Pedro IV et la Saint Antoine congolaise, 1694-1718 », Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, XXXIII, Bruxelles, 1961, p. 411-614.

[4]J. VANSINA, Les anciens royaumes de la savane. Les États des savanes méridionales de l’Afrique centrale des origines à l’occupation coloniale, Institut de recherches économiques et sociales, Léopoldville.