GIDE, L’HOMO DE LACAN : QUELQUES REMARQUES A PROPOS DE JEUNESSE DE GIDE OU LA LETTRE ET LE DESIR – Lionel LE CORRE

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GIDE, L’HOMO DE LACAN : QUELQUES REMARQUES A PROPOS DE JEUNESSE DE GIDE OU LA LETTRE ET LE DESIR – Lionel LE CORRE

 

« Etendre l’humanisme à la mesure de l’humanité. »

Claude Lévi-Strauss, Leçon inaugurale au Collège de France, 5 janvier 1960.

 

 

Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir[1] est présenté, parfois, comme un texte à part dans le corpus lacanien car il s’agit principalement d’un compte-rendu de deux livres par qui n’en a jamais écrit : l’un de Jean Delay, La Jeunesse d’André Gide[2], l’autre, de Jean Schlumberger, Madeleine et André Gide[3], parus respectivement en 1957 et 1958. Deux versions de l’article de Lacan existent : l’une[4] rédigée durant les vacances de février pour une parution en avril 1958 dans la revue Critique, l’autre, insérée en 1966 dans les Ecrits et qui présente des modifications principalement d’ordre stylistique. Plusieurs psychanalystes ont depuis étudié le texte de Lacan comme Jacques-Alain Miller[5] en 1993, Catherine Millot[6] en 1997, Philippe Hellebois[7] en 2011, Luis Izcovich et Albert Nguyên en 2013[8]. Sont à connaître également les travaux de référence d’Éric Marty[9] notamment son édition critique du Journal[10] d’André Gide, ainsi que la biographie monumentale de Franck Lestringant[11], André Gide l’inquiéteur publiée en 2011 et 2012.

Ce n’est pas sans appréhension que je fais part ici d’un texte préparatoire à un projet plus ambitieux qui prendra, je l’espère, la forme d’un livre. Quoi qu’il en soit je me place sous l’égide de Lacan en commençant par la fin, c’est-à-dire, par l’une des dernières occurrences où Gide est nommément cité. Lacan :

 

Il est tout à fait certains que les homos, ça bande bien mieux, et plus souvent, et plus ferme. (…) Ne vous y trompez pas tout de même, il y a homo et homo. Je ne parle pas d’André Gide. Il ne faut pas croire qu’il était un homo.

Ne perdons pas la corde, il s’agit du sens. Pour que quelque chose ait du sens, dans l’état actuel des pensées, c’est triste à dire, mais il faut que ça se pose comme normal. C’est bien pour ça qu’André Gide voulait que l’homosexualité fût normale. Et, comme vous pouvez peut-être en avoir des échos, dans ce sens il y a foule. En moins de deux, ça, ça va tomber sous la cloche du normal, à tel point qu’on aura de nouveaux clients en psychanalyse qui viendront vous dire – Je viens vous trouver parce que je ne pédale pas normalement. Ca va devenir un embouteillage.[12]

Deux points, à l’articulation du cas et du collectif, sont à relever dans cet extrait du séminaire …Ou pire, daté du 3 février 1972. D’une part, Lacan signale une normalisation sociale de l’homosexualité à laquelle il dit assister. De l’autre, il prend position concernant le choix d’objet sexuel de l’écrivain français. Alors André Gide, homo ou pas homo ? Il me faut ici trancher et je le fais dans le sens de Lacan… oui André Gide est bien un homo ! Car, lorsque Lacan écrit à propos de Gide : « il ne faut pas croire qu’il était un homo », il ne dit pas que Gide était un hétéro, il déclare qu’il n’était pas un homo. Pourquoi ? Parce qu’il y a « homo et homo ». Autrement dit, Gide n’est pas un homo parce qu’il est un homo. D’une autre espèce. C’est-à-dire… un uraniste. Or, à se pencher même rapidement sur le lexique lacanien de l’homosexualité masculine, je note que Lacan fait usage du signifiant « uraniste »[13] à trois reprises dans tout l’œuvre, toujours articulé à un propos sur Gide. Par conséquent, les signifiants « uraniste » et « Gide » sont épinglés l’un à l’autre. C’est donc dans cette perspective que je déploierai mes remarques.

Texte à part disais-je, texte oublié plutôt… Selon Hellebois, il faut attendre l’année 1983-84 et surtout 1993 pour que Jacques-Alain Miller le sorte de l’ombre[14]. L’illustre Derrida serait passé à côté[15]… Les raisons de cette mise au placard se déduiraient d’un texte d’abord difficile qui croule sous les références — pas moins d’une trentaine d’auteurs cités outre la quinzaine d’ouvrages de Gide. Autre difficulté : sa nature de compte-rendu de lecture par lequel Lacan, qui est son obligé, salue avec emphase les travaux de Delay qui accueille le Séminaire à l’Hôpital Saint-Anne. Enfin cet oubli s’expliquerait par le fait que Lacan écrit dans un style parfois hermétique, pour la revue Critique, c’est-à-dire pour un public qui n’est pas le sien habituellement. Texte oublié donc et texte secondaire également… C’est ce qu’avance Marty[16] qui relève que Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir ne figure pas dans l’édition de poche des Ecrits… du moins celle de 1970, dite abrégée…. il faudra attendre 1992, moment où Miller reprend le dossier Gide. C’est donc d’une oblitération partielle qu’il s’agit. De quel sens est porteuse cette oblitération ? Que s’agit-il de taire, de rejeter ? Ce pourrait-il qu’un point aveugle travaille le texte de Lacan inaperçu des lacaniens et qui motive son rejet ? Cette oblitération partielle est d’autant plus étonnante que l’écrit sur Gide comporte des avancées théoriques majeures. Comment est-il possible qu’un texte qui préfigure la conceptualisation de l’objet petit a, qui situe au regard de l’autodafé de Madeleine Gide, ce qu’il en est du désir des femmes articulé à ce que Markos Zafiropoulos nomme la « révolution du phallus »[17], comment est-il possible donc, qu’un tel texte puisse être au final… subalterne ?

Avant de proposer une réponse à cette question, je souhaite évoquer quelques points à garder à l’esprit lorsqu’on se penche sur l’œuvre de Gide. Je rappellerai aussi la vie de l’écrivain en quelques lignes.

Première difficulté, l’œuvre de Gide elle-même. Son ampleur est telle — près de 10.000 pages dans la prestigieuse collection La Pléiade chez Gallimard — qu’au petit jeu de la citation édifiante, on sort toujours gagnant. L’œuvre est si vaste, si monstrueusement riche qu’on peut lui faire dire à peu près ce qu’on veut ; il est aisé d’y prélever ici ou là, à la faveur des notes et variantes, tel ou tel argument qui viendrait ou reconduire ou dénoncer ce qu’on croit savoir des mœurs gidiennes. Par conséquent, la lecture littérale du texte gidien, notamment celle de Delay mais aussi de bon nombre de psychanalystes qui ont repris le cas Gide après Lacan, reste problématique tant Gide, dans son œuvre comme dans sa vie, manie avec virtuosité la contradiction, échappant ainsi à toute tentative naïve pour fixer le sens d’une vie dont le secret reste fondamentalement impénétrable. Attribuer aux récits autobiographiques de Gide, comme aux autres récits et soties, une valeur de témoignage dont il s’agirait de prélever des fragments au service de la démonstration est une posture au mieux positiviste — l’écrit gidien (son âme aussi) se révèlerait dans la transparence de son énoncé — au pire idéologique — le commentaire supplantant l’écrit gidien. C’est oublier que Gide est avant tout un auteur qui compose. Que tout écrit a son épaisseur. Qu’il participe d’un ordre discursif soumis à ses propres règles — par exemple les références à la Bible ou à l’Antique. Qu’il possède son propre régime de véridiction. Je prends par exemple l’anecdote de la rencontre avec Ali dans les dunes de Sousse en novembre 1893[18]. Cette scène, qui déborde de sensualité lyrique dans Si le grain ne meurt où Gide reconduit le motif apollinien du jeune berger joueur de flûte cher à Virgile, est rendue d’une manière crue dans les notes préparatoires où il est plutôt question de la négociation d’une pédication entre le voyageur fortuné et un jeune prostitué tunisien[19]. Or, l’affirmation est rectifiée aussitôt qu’écrite, Gide indiquant entre parenthèses, à l’intention de lui-même et du lecteur éventuel de ses notes : « Du reste je n’en profitais point ; mon désir n’avait rien de féroce (…)[20]. Où est le vrai ici ? Moins dans ce qui est dit ou contredit, que dans l’effet produit sur Gide — et son lecteur — comme cette rencontre avec Ali qui contribua à changer la vie de l’écrivain et d’une certaine manière, la mienne.

Autre difficulté liée à la première, la construction en miroir dans l’œuvre de Gide reconduite par Lacan et le poids du commentaire. Ici je passe très vite sur une question qui mériterait de plus amples développements tant Gide est passé maître dans l’art du reflet[21]. L’un des traits marquants de cette œuvre est la mise en abyme, procédé stylistique qui montre sans doute la volonté de Gide de tenter de saisir l’entièreté du réel qui sera déployée à son maximum dans Les Faux monnayeurs auquel répond, bien sûr, un Journal des faux monnayeurs. De même, la première scène de Paludes décrit effectivement le narrateur écrivant un livre qui s’appelle Paludes. Mais les livres de Gide se répondent entre eux également ; par exemple : alors que Gide vit en Algérie les expériences du Michel de L’immoraliste, il est en train de concevoir La Porte étroite qui en est le pendant. Or, si l’on suit Pierre Masson, cet ensemble complexe l’est encore plus car placé, par Gide, sous le regard de Madeleine, « miroir approbateur » d’une « vie qui s’y tisse devant elle »[22]… du moins jusqu’en novembre 1918, date où elle détruit l’essentiel des lettres reçues de l’écrivain. Mais il y a plus. L’article de Lacan n’est pas une étude sur Gide mais un compte-rendu de lecture de deux livres qui ne seraient guère lus aujourd’hui, si Lacan ne s’y était penché. Par conséquent, l’argumentaire de Lacan se déduit du travail de Delay sur Gide complété du commentaire de Schlumberger, comme du reste les commentateurs de Lacan parlent de Gide à travers le psychanalyste français, à travers Delay et Schlumberger. Enfin, le titre de Lacan, Jeunesse de Gide, recouvre désormais celui de Delay alors que ce dernier en est la référence principale. Et finalement, ce que dit Lacan, c’est que cette logique en miroir est un effet de l’adresse de Gide à la postérité car, au final, c’est pour le « psychobiographe » qu’il ouvre les armoires, qu’il autorise la consultation des vieux documents et des petits papiers[23], lui qui, dès sa jeunesse voulait, semble-t-il, « vivre sa vie du point de vue où elle sera écrite »[24]. Mais peut-être, le fait le plus significatif, non relevé par Lacan, est-il celui-ci : Gide signale qu’il écrivait sur un petit bureau-secrétaire, du moins dans les premières années de sa carrière, légué par feue Anna Schakelton, la dame de compagnie de sa mère. Ce bureau-secrétaire présentait des portes garnies de miroirs réfractant à l’infini l’image de qui s’y tenait… Gide écrivait donc — comble de la fascination spéculaire… — se contemplant en train d’écrire[25]

Enfin, le contexte dans lequel Lacan rédige son texte mérite d’être rapidement précisé. D’une part l’écrit sur Gide est rédigé à un moment où Lacan refonde plusieurs opérateurs théoriques principalement sous l’effet du transfert à Lévi-Strauss comme l’a élucidé Markos Zafiropoulos[26]. Par conséquent, Jeunesse de Gide est une pièce de plus à joindre au dossier du Lacan structuraliste car Lévi-Strauss est nommément cité, en l’occurrence son dernier opus : l’Anthropologie structurale[27] … Tout va très vite : le recueil de textes de Lévi-Strauss est prêt en novembre 1957[28] pour une parution début 1958. Or Lacan rédige Jeunesse de Gide durant les congés de février 1958. Que va donc chercher Lacan chez Lévi-Strauss pour l’intelligence du cas Gide ? D’une manière quelque peu vertigineuse pour qui ignore que la psychanalyse propose aussi une théorie du social, le psychanalyste prélève chez l’anthropologue américaniste la solution que celui-ci a fomentée pour résoudre un problème laissé ouvert par Franz Boas concernant les masques à volets des indiens Kwakiutl de Colombie Britannique et le dédoublement de la représentation[29]. De quoi s’agit-il ? Lévi-Strauss cherche à comprendre comment les signifiants marquent les corps. Pour cela il se penche sur ces masques qui ont ceci d’extraordinaire qu’ils s’ouvrent par un jeu de ficelles et de poulies pour laisser apparaître un second masque, voire un troisième : « Fermé le masque à volets est un objet à trois dimensions ; ouvert, les parties qui le composent sont rabattues sur le même plan[30] ». Leur rôle, explique Lévi-Strauss, est : « D’offrir une série de formes intermédiaires qui assurent le passage du symbole à la signification, du magique au normal, du surnaturel au social. »[31] C’est donc aussi du joint de la nature à la culture dont il est fondamentalement question ici.

Or, selon l’anthropologue, le dédoublement est nécessaire pour assurer l’intégrité du signifiant et sa prise sur le corps. Le découpage du corps par le signifiant s’opère donc par une série de déboîtements — Lévi-Strauss parle de dislocations — qu’assure l’épinglage des signifiants entre eux. C’est pour cela que cette question intéresse Lacan car la question du dédoublement de la représentation caractérise aussi le cas Gide, sa vie comme son œuvre, ce qui en l’espèce est peut-être la même chose. Au final, il apparaît que les travaux de l’anthropologue américaniste viennent vérifier au plan du collectif ce que Lacan repère au plan du cas. S’inscrivant pleinement dans une perspective lévi-straussienne, Lacan inverse ici la logique de vérification introduite par l’anthropologue concernant l’efficacité symbolique[32], logique que Lacan avait déjà eu l’occasion d’appliquer, quelques années plus tôt, fournissant une « preuve par la psychose » à la théorie du signifiant flottant de l’anthropologue[33].

D’autre part, second élément contextuel à considérer : la situation sociale des homosexuels dans la première moitié du XXème siècle. Il est utile de rappeler ceci : depuis notamment la refonte du droit opéré sous Napoléon 1er, la France apparaît relativement tolérante sur cette question au regard des législations des autres pays européens. Des lieux de sociabilité homosexuelle apparaissent, largement évoqués par Gide dans sa correspondance. Toutefois, la condamnation morale qui accompagne l’homosexualité reste très élevée et il n’est pas tolérable d’afficher publiquement ses préférences… la honte, le déshonneur, le chantage et son cortège d’humiliations, voire la ruine, accompagnent toutes celles et ceux qui auraient des velléités de sortir de l’ombre. La situation empire sous le régime de Vichy qui en 1942 durcit l’appareil législatif. L’historien Julian Jackson le rappelle :

La modification de la loi reflète la croisade morale menée par le régime de Vichy pour regénérer une population « ravagée d’alcoolisme, pourrie d’érotisme, rongée de dénatalité »[34]

… comme le propage le pétainisme ambiant. André Gide du reste, est l’objet d’un scandale car il est accusé à cette époque rien de moins que d’être responsable, par ses écrits, de la décadence du pays[35]. La fin de la guerre ne voit pas la remise en cause de cette législation, bien au contraire. Ainsi, en 1960, le député Paul Mirguet obtiendra le vote d’un amendement éponyme faisant de l’homosexualité masculine un fléau social au même titre que l’alcoolisme, la tuberculose et la prostitution. Il faudra attendre le début des années 1980 pour la remise en cause de cette législation répressive[36]. Tel est donc le contexte dans lequel Lacan se penche sur le cas Gide. Il faut s’en souvenir car, pour paraphraser Lévi-Strauss à propos de l’anthropologie, si la société est dans la psychanalyse, la psychanalyse est dans la société. Ce n’est donc pas la même chose pour un psychanalyste d’accueillir un analysant pour une question qui, par ailleurs, relève ou non d’un délit. Plus fondamentalement, cela est vrai également s’agissant de la question de la connaissance et ses déterminants comme le souligne Georges Lantéri-Laura qui indique, s’agissant des perversions :

C’est la doxa qui délimite le champ des phénomènes dont traite l’épistémè : l’opinion — poursuit-il — vient indiquer le domaine des comportements pervers, et la connaissance reste à cet égard tributaire de l’opinion, même si elle modifie en cours de route l’étendue de ce champ.[37]

Selon cette perspective, il convient d’avoir à l’esprit l’air du temps concernant la vie sociale des homosexuels dans la France de la première moitié du XXe siècle, pour ensuite repérer dans quelle mesure le texte de Lacan sur Gide en est éventuellement affecté. Or, il convient de noter, d’emblée, que Lacan se distingue par sa position d’ouverture sur une question qui suscite plutôt du dégoût.

 

J’en viens à la vie de Gide et à l’usage qu’en ont fait les commentateurs de Lacan. André Gide, né à Paris en 1869, est un fils de la bourgeoisie huguenote qui évolue dans un milieu social que caractérisent trois termes : austérité, fortune, culture. Orphelin de père à dix ans, il nourrit à partir de l’adolescence des sentiments amoureux pour sa cousine Madeleine qu’il épouse en 1895 — non sans péripéties — quelques mois après le décès de sa mère. La jeunesse de Gide est celle d’un enfant délicat, souffreteux et en échec scolaire. En 1893, à vingt-quatre ans, Gide voyage en Tunisie et en Algérie où, comme d’autres, il s’initie à la sexualité auprès d’adolescents et de prostituées. Le mariage avec Madeleine n’est pas consommé et Gide organise sa vie entre l’amour intense qu’il porte à son épouse et le désir qui le pousse vers les hommes, qu’il s’agisse d’adolescents ou d’adultes comme par exemple Henri Ghéon ou Maurice Schlumberger, encore que, comme le souligne Éric Marty, la séparation amour-désir que proclame Gide est loin d’être étanche[38]. En 1916, à quarante-sept ans, alors qu’il est déjà un écrivain renommé, Gide tombe amoureux de Marc Allégret, seize ans. Le jeune homme est l’un des fils du pasteur Elie Allégret chargé un temps de l’instruction religieuse de l’adolescent Gide. Débute alors avec Marc une idylle qui durera quelques mois pour ensuite évoluer en une relation d’amour et de confiance jusqu’à la mort de Gide en 1951, même s’il semble que leur vie intime cesse à partir des années 1920. J’insiste sur ce point : avec Marc Allégret, la ségrégation établie par Gide entre le sexuel et l’affectif vole en éclats puisqu’avec lui se mêlent désir et sentiments. Du reste, j’ai déjà noté que Marc, malgré le statut d’exception que lui confère Gide, ne fut pas le seul amant pour qui l’écrivain développa des sentiments et ce, à côté d’une intense activité de drague homosexuelle[39]. A la même époque, plusieurs proches d’André Gide, Maria Van Rysselberghe, sa fille Elisabeth, Aline Mayrish, Dorothy Bussy, et Marc Allégret forment une famille d’élection qui vivra plus ou moins ensemble, notamment, dans l’appartement parisien rue Vanneau. Ce groupe d’amis est si soudé que, comme le relate Roger Martin du Gard, lorsqu’on parle dans le Paris mondain de l’époque « des Gide » c’est désormais de cette drôle de famille qu’il s’agit et non d’André et Madeleine. Du reste la relation entre les deux époux s’est dégradée et le restera jusqu’à la mort de Madeleine en 1938 même si elle partagera ses combats à propos du Tchad et de la Russie. Ainsi, en juin 1918, alors que Gide prépare un séjour de trois mois à Cambridge avec Marc Allégret, une violente dispute éclate entre l’écrivain et Madeleine la veille du départ. En novembre 1918, Gide découvre que Madeleine a brûlé quelques mois plus tôt à peu près toutes les lettres qu’il lui avait adressées quasi quotidiennement depuis leur adolescence, non sans les avoir relues une à une. Au début des années 1920, Marc Allégret et Elisabeth Van Rysselberghe vivent une histoire d’amour que ne consacre pas la venue d’un enfant. C’est finalement André Gide qui sera le père de l’enfant — la future Catherine Gide — qu’Elisabeth désire :

Et c’est ainsi – écrit Maria, la mère d’Elisabeth – qu’un dimanche de juillet, au bord de la mer, dans la solitude matinale d’un beau jour, fut conçu l’enfant que nous attendions[40].

En 1947, Gide dont la notoriété éclate durant l’entre-deux-guerres reçoit le Prix Nobel de littérature. Il meurt à Paris en 1951. Un an après l’œuvre entière est mise à l’Index librorum prohibitorum sur décision du pape Pie XII.

Il était crucial de rappeler les principaux moments de la vie de Gide car les travaux psychanalytiques qui succèdent au texte de Lacan reconduisent le découpage chronologique opéré par le maître — grosso modo 1869-1895 et la crise de 1918 — comme si, curieusement, la vie de Gide avait cessé au point où le psychanalyste le laisse. De même, on trouve de nombreuses approximations. Ainsi Miller déclare :

Ce qui concerne le choix d’objet homosexuel est donc tout à fait relégué au second plan par Lacan. Toute son analyse est au contraire centrée sur l’amour unique de Gide, c’est-à-dire son choix d’objet hétérosexuel. A côté de la multiplicité [des] petits garçons, il y a une femme et une seule authentiquement aimée.[41]

Tout ici est biaisé : l’amour unique de Gide, les petits garçons, la femme authentiquement aimée. Car, je l’ai indiqué, Gide aimera tout aussi « authentiquement » Marc et d’autres avant lui qui n’étaient pas seulement des « petits garçons » — j’ai cité Henri Ghéon ou Maurice Schlumberger ce que du reste atteste largement la correspondance. Hellebois pour sa part affirme à propos du voyage en Tunisie et en Algérie :

Ce n’est effectivement pas la rencontre de jeunes arabes qui le transforma, mais autre chose, des lectures notamment, et surtout celle de Goethe qui lui apporta, peu après ses vingt ans, le signifiant nécessaire à s’orienter dans l’existence.[42]

Question : quelqu’un s’est-il jamais masturbé sur une page de Goethe ? Ici, ce qui est questionnable c’est bien plutôt l’effort d’Hellebois pour désexualiser — en sa version homosexuée — la vie de Gide. N’est-il pas saugrenu de convoquer l’immarcessible génie allemand alors qu’il s’agit, pour Gide, d’éprouvés inouïs, de sensations nouvelles qu’il découvre auprès de « jeunes arabes » bien aimables pour lui accorder des privautés, du plaisir qu’il y prend à un moment où, comme son père, il se sait malade de la tuberculose[43] ? Bref, ici, Gide mesure que sa jouissance jusque-là mortifère trouve d’autres voies, en l’occurrence du côté de la palingénésie. Autre erreur grossière reconduite ad nauseam : Mathilde la mère de Madeleine, présentée comme une séductrice à la peau brune qui, par son acte, aurait offert à Gide le laid, la possibilité d’une part, d’être un objet désiré, et de l’autre de désirer préférentiellement les adolescents à la peau basanée[44]. Sauf qu’il est établi que la mère de Madeleine, née au Havre avait un teint de crème… à la différence de l’héroïne de La Porte étroite, Lucile Bucolin pendant littéraire de Mathilde, que Gide exotise à souhait[45].

Je reviens à Lacan. S’il signale tout juste la relation entre Gide et Marc Allégret, c’est a priori parce que son compte-rendu de lecture porte sur l’enfance de Gide d’après Delay jusqu’au mariage avec Madeleine en 1895, c’est-à-dire, une vingtaine d’années avant leur rencontre. Je note aussi que les sources historiographiques disponibles sur l’écrivain au moment où Lacan réfléchit sur le cas Gide n’ont pas l’ampleur considérable qu’elles ont acquises depuis et qui restent à la disposition de qui veut bien les lire[46]. Ni Delay, ni Schlumberger, ni Lacan ne citent explicitement Marc Allégret, sans doute pour des questions de discrétion, mais le psychanalyste ne l’ignore pas et place cette histoire-là sous le registre de l’amour lorsqu’il écrit : « L’amour, le premier auquel accède en dehors d’elle, cet homme [Gide] (…) [Madeleine] le reconnaît (…) »[47].

Et bien sûr, Lacan est conséquent lorsqu’il situe la relation avec Marc dans le registre de l’amour puisque en 1960-1961, c’est-à-dire, dans deux ans, il déploiera la question du transfert à partir de l’idéal de l’amour grec dont il relève que la relation Gide — Marc Allégret en est l’expression moderne[48]. En revanche, ce point malgré la piste ouverte par Lacan, n’est pas vraiment aperçu par les autres psychanalystes qui reprendront le dossier Gide au-delà du commentaire sur l’ouvrage de Jean Delay, comme si nos collègues, sortes d’agents du refoulement, jouissaient d’un privilège épistémologique les confortant dans l’ignorance que révèle tout préjugé. Mais peut-être ce refoulement n’est-il que l’effet d’une idéalisation de l’amour entre un homme et une femme qui exclut toute expression minoritaire. Or, et c’est lui faire honneur que de le rappeler, à la différence de bon nombre de nos collègues, il y en a une qui a bien compris l’importance particulière de Marc Allégret pour André Gide : c’est Madeleine… car s’y trouve la justification de son acte. Ce qui se passe en ce mois de juin 1918 où se trame le séjour à Cambridge, elle le sent bien, elle le sait déjà c’est autre chose que les amitiés amoureuses dont elle a eu vent. Pour tenir sa position, être à la hauteur de la situation, un seul acte s’impose : détruire par le feu toutes les lettres qu’il lui a écrites depuis tant d’années ; c’est dire qu’elle a compris que cette fois Gide trouve avec Marc, en Marc, ce qu’il n’a cessé de disjoindre quant à l’amour et au désir. Désormais, les deux pôles sont réunis. Une seule chose à faire pour Madeleine : tenir son rang, être cette figure de l’entièreté dont parle Lacan en évoquant Médée[49]. Statue déboulonnée, Madeleine n’est plus l’idole macérant dans la vertu, la vierge vivant sous « un ciel de demoiselle »[50] ; l’assomption de son être que signe l’autodafé de la correspondance, c’est finalement au jeune Marc — en tant qu’il en est l’agent — qu’elle le doit. Certes, pour Gide, Madeleine est la femme de sa vie. Son grand amour. Mais de quelle vie parle-t-on ? Madeleine est une dévote dédiée au père mort, une vierge sage qu’affole l’égarement des sens comme les imprévus, qui incarne, comme du reste sa belle-mère, les « commandements du devoir »[51], auprès de laquelle surtout, Gide déclare qu’il y pourrissait[52]. Or, la formule, « Je pourrissais »[53], je la rapproche du roman de Mishima paru en 1971, L’Ange en décomposition[54], dont Marguerite Yourcenar dira du titre, préférer une meilleure traduction : L’Ange pourrit[55]. Mais c’est encore du côté de Lacan qu’il nous faut regarder lorsqu’il évoque la « pourriture dans l’Autre », c’est-à-dire son étrification phallique, telle que l’a mise en évidence Zafiropoulos[56].

 

Si je reviens plus avant sur ce point, au préalable, il convient de signaler ce que les fameux masques Kwakiutl permettent d’éclairer. La question qui se pose est celle-ci : comment expliquer, à partir des outils psychanalytiques, le déboîtement que Gide l’uraniste opère de Madeleine à Marc en tant qu’objet d’amour en considérant que dans l’opération ce qui de l’amour et du désir était disjoint, se trouve conjoint ? Et d’ailleurs, plus fondamentalement, la question posée est celle-ci : en quoi la mise en évidence de l’amour de l’écrivain pour Marc modifie ou pas ce que Lacan avance sur le cas Gide ? Ces questions ne trouveront pas une réponse ferme ici mais je voudrais néanmoins ouvrir des pistes.

Gide l’uraniste d’abord : je note qu’il s’agit ici d’une reprise par Lacan d’un terme utilisé par Gide lui-même[57]. A son époque, le terme, d’origine allemande, est fréquent parmi d’autres et ce depuis la seconde moitié du XIXème siècle[58]. Il est proche du terme « gay » aujourd’hui, au sens où il ne qualifie pas un comportement sexuel mais plutôt une manière d’être. Gide :

[Madeleine] avait voulu la solitude totale, et que l’avenir ne sût rien d’elle, ne pût prononcer son nom à côté du mien… Elle avait tout brûlé ![59] J’ai passé tout l’hiver à souffrir (…). Je ne faisais plus rien que souffrir, que pleurer mon enfant mort. (…) Ma vie, désormais, était faussée : il ne subsisterait de moi qu’une image incomplète, inexacte, caricaturale, grimaçante ; ce qui était mon véritable reflet, avait été effacé à jamais. (…) Personne ne peut soupçonner ce qu’est l’amour d’un uraniste, dégagé de toutes les contingences sexuelles : quelque chose de si fort, de si bien préservé, quelque chose d’embaumé contre quoi le temps n’a pas de prise… »[60]

S’entend ici la préservation du signe de ce qui est le plus désiré, à savoir le phallus — fut-il mort — que seul l’uraniste, selon Gide, est en mesure de protéger par l’embaumement, c’est-à-dire par la préservation de la forme pour toujours… au prix d’une immobilisante étrification phallique. Or, cette étrification phallique, sorte d’arrêt sur image, celle que désire la mère, est à saisir comme une captation imaginaire — être le phallus de la mère : c’est-à-dire répondre à son désir — de laquelle le petit d’homme ne peut se déprendre, selon Lacan, qu’à désinvestir son image du moi au prix d’un retranchement d’une part de sa libido narcissique, au nom de l’Autre de la loi[61] à qui il s’adressera, désormais, dans l’illusion d’un appel entendu. C’est pourquoi la destruction des lettres — l’enfant d’André et de Madeleine — porte atteinte à l’image de Gide lui-même renvoyé par l’acte de Madeleine à une « image incomplète, inexacte, caricaturale, grimaçante » dont on est tenté d’écrire que c’est celle que les psychanalystes ont trop souvent retenu. Certes, « son véritable reflet » est « effacé à jamais », mais cette perte qui signe ici cet accès au « lieu du symbolique sans image »[62] ouvre la voie à l’amour défait de son mirage céleste. Le lien Madeleine-Gide-les lettres évoque le triangle préœdipien (Mère, Enfant, Phallus) proposé par Lacan dans le séminaire V[63]. Plus exactement, juste le temps d’après car Madeleine n’est pas la mère et l’épinglage du signifiant de Madeleine à la mère paraît peu consistant au point que son désamorçage rejette Gide dans les temps angoissants du préœdipien. Pourquoi ? Parce que Madeleine ne fait pas le poids par rapport à la mère. C’est plutôt une sœur, sorte d’Antigone triste, prisonnière du tombeau de Cuverville où elle se retrouve seule. Car, il faut noter qu’à la même époque, la correspondance avec Marc n’est pas du tout entachée par les événements tragiques que Gide déclare avoir vécu en novembre 1918[64]. C’est-à-dire que Gide, quoi qu’il en dise, s’agissant des lettres perdues, n’est pas tout à sa peine. Au même moment, autre chose le mobilise, le rend vivant qu’il trouve en Marc[65]. Dit autrement, Gide peut désormais investir suffisamment de libido dans sa relation à Marc et semble moins dévasté qu’il ne le proclame… l’aspect comique du moment n’ayant pas échappé à Lacan.

Ensuite, un point crucial est à relever : quelques temps après leur rencontre, je note, dans les pages du Journal, que la lettre « M » qui désignait Madeleine auparavant — on trouve également la forme « Em. » en lien avec l’Emmanuelle des Cahiers d’André Walter — désigne désormais le jeune amant[66]….  Je note aussi qu’une lecture minutieuse révèle que, vers 1905, la lettre « M » désignait tout autant Maurice Schlumberger auprès de qui Gide connaitra sa première histoire d’amour (où se mêleront sentiments et plaisirs)[67]. Il n’est donc pas excessif d’écrire que, à proprement parler, la lettre du désir chez Gide, est la lettre « M » ainsi que le lieu de son épinglage… D’ailleurs, cette lettre « M » est souvent l’initiale des êtres qui ont compté : la Mère, Mathilde la tante séductrice, Mériem la prostituée qu’il partage avec son ami Paul Laurens, Mohammed qui condense la série des amants de passage (Ali, Athman, Ferdinand, etc.), Maria l’amie la plus proche, Madeleine bien sûr, et enfin Marc dont la rencontre va stabiliser ce qui avant l’était moins. Mais le « M » de Madeleine n’est pas le « M » de Marc, puisque, d’un signifiant à l’autre, c’est toute la logique désirante de Gide qui s’en trouve modifiée. Cette lettre « M » est donc le pivot qui permet l’ouverture du masque et le dédoublement signifiant. Emerge alors, dans le fantasme gidien, la figure qui brille par son absence, dont il peut occuper la place : le père mort lorsque Gide avait dix ans que dédouble la figure du pasteur Allégret, lui-même plus souvent au Cameroun en qualité de missionnaire qu’auprès de sa famille ; au point du reste qu’il confia femme et enfants à Gide en le gratifiant du titre de « vicepère »[68] ! Pour Gide, c’est donc une solution par l’idéal du moi, donc le père, qui se dessine, dont Lacan dit que non seulement « il se peint sur ce masque complexe », une fois le masque ouvert, mais aussi « se forme (…) par l’adoption inconsciente de l’image même de l’Autre (…). »[69] En quoi cela permet-il à Gide de conjoindre amour et désir ? Parce qu’à occuper pour Marc ce lieu du père, Gide retrouve la parole de son propre père, parole nous dit Lacan qui « humanise le désir. »[70]

Enfin et pour conclure, je reviens à Lacan et à la fameuse phrase du 22 janvier 1958 :

Personne n’a jamais pu épingler une signification à un signifiant. En revanche, ce que l’on peut faire, c’est épingler un signifiant à un signifiant et voir ce que             cela donne. Dans ce cas, il se produit toujours quelque chose de nouveau, qui est quelquefois aussi inattendu qu’une réaction chimique[71].

Or, avec Gide, quelque chose d’ « aussi inattendu qu’une réaction chimique » s’est produit. En effet, ce qui se produit c’est une nouvelle signification qui va installer la question de l’alliance et de la filiation pour les homosexuels au fronton des idéaux de notre culture. D’où la mise à l’index pontificale en 1952, d’où l’aveuglement des lacaniens s’agissant de la valeur d’un texte partiellement oblitéré pendant plus de 20 ans, d’où la normalisation sociale de l’homosexualité repérée par Lacan en 1972 que j’évoquais en début d’article. Ce qu’annonçait le psychanalyste c’était rien moins que la fin de la hiérarchisation juridique du sexuel qui prévalait alors dans le monde occidental — donc, pour une part, dans le symbolique — et cette remise en cause de la hiérarchisation du sexuel en son versant homosexuel, c’est, à tort ou à raison, à Gide qu’il l’imputait. Or, depuis 1972, il est aisé de mesurer la justesse du diagnostic de Lacan et combien les évolutions du droit ont modifié les conditions sociales tant des femmes que des homosexuels quoi qu’aient pu en penser les psychanalystes, dont il faut rappeler les propos particulièrement mal situés concernant la question de l’alliance et de la filiation pour toutes celles et ceux vivant une sexualité minorisée. Ainsi, le vote du Pacs en 1999, le mariage pour tous en 2013, et prochainement, l’extension de la PMA aux femmes en couple ou célibataires, ont incontestablement modifié les lignes de partage du viable et du vivable dans la culture pour celles et ceux qui ont un choix d’objet non conforme et les autres. Or, la part de Gide dans cette opération est considérable selon Lacan qui n’hésite pas à placer Corydon au même niveau que les Trois essais sur la théorie sexuelle[72]. L’assomption d’un « Je » homosexuel via une solution par le père — opération que Gide est le premier à avoir effectuée dans la littérature française semble-t-il[73] — a en effet dégagé des perspectives, ouvert des voies nouvelles d’expression et de narration, étendu un peu plus, comme le dit Lévi-Strauss, l’humanisme à la mesure de l’humanité.

[1] J. LACAN, « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir. Sur un livre de Jean Delay et un autre de Jean Schlumberger », Ecrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 739-764.

[2] J. DELAY, La jeunesse d’André Gide, Paris, Gallimard, 1956/1957, 2 vol., 1277 p.

[3] J. SCHLUMBERGER, Madeleine et André Gide, Paris, Gallimard, 1957, 251 p.

[4] J. LACAN, « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir. Sur un livre de Jean Delay et un autre de Jean Schlumberger », Critique, 1958, n°131, p. 291-315.

[5] J.-A. MILLER, « Sur le Gide de Lacan », La Cause Freudienne, revue de psychanalyse – Critique de la sublimation, Paris, Navarin Seuil, 1993, p. 7-38.

[6] C. MILLOT, Gide Genet Mishima. Intelligence de la perversion, Paris, Gallimard, 1996, 168 p.

[7] Ph. HELLEBOIS, Lacan lecteur de Gide, Paris, Editions Michèle, 2011, 157 p.

[8] L. IZCOVICH, « Gide, de la mystique à la lettre », L’En-jeu lacanien, 2013/2, n°21, p. 25-39 ; A. NGUYÊN, « Destins de l’inauthentique : le feu sans fumée dans la ténèbre. André Gide et les lettres brûlées », L’en-je lacanien, 2013/1 (n°20), p. 71-93 ; A. NGUYÊN, « Un devoir de sincérité : Gide à la question », L’en-je lacanien, 2013/2 (n°21), p. 41-68.

[9] E. MARTY, L’écriture du jour : le Journal d’André Gide, Paris, Le Seuil, 1985, 276 p. ; E. MARTY, « Lacan et Gide ou L’autre école », Lacan et la littérature, Houilles, Editions Manucius, 2005, p. 125-146.

[10] A. GIDE, Journal 1 (1887-1925), Paris, Gallimard, tome 1, 1748 p. ; A. GIDE, Journal 2 (1926-1950), Paris, Gallimard, tome 2, 1649 p.

[11] F. LESTRINGANT, André Gide l’inquiéteur, Paris, Flammarion, 2011/2012, 2 vol., 2014 p.

[12] J. LACAN, Le Séminaire. Livre XIX, … Ou pire (1971-1972), Paris, Le Seuil, 2011, p. 71.

[13] Les trois occurrences du terme « uraniste » chez Lacan sont : « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 754 ; Le Séminaire. Livre V : Les Formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Le Seuil, 1998, p. 261 ; Le Séminaire. Livre VI : Le Désir et son interprétation (1958-1959), Paris, La Martinière, 2013, p. 546. Notons l’hapax « uranien » présent dans : Le Séminaire. Livre X : L’Angoisse (1962-1963), Paris, Le Seuil, 2004, p. 312. Voir L. LE CORRE, L’Homosexualité de Freud. Première contribution à une anthropologie psychanalytique de l’homosexualité masculine, Thèse de doctorat soutenue le 28 février 2015, Ecole doctorale Recherches en psychanalyse et psychopathologie, Université Paris Diderot, vol. 3, annexe 2, p. 903-1058 p.

[14] Ph. HELLEBOIS, op. cit., p. 17.

[15] Ibid. p. 7.

[16] E. MARTY, « Lacan et Gide ou l’autre école », op. cit., p. 126.

[17] M. ZAFIROPOULOS, Les Mythologiques de Lacan. La prison de verre du fantasme : Œdipe roi, Le diable amoureux, Hamlet, Toulouse, Erès, 2017, p. 33-62.

[18] A. GIDE, Si le grain ne meurt, Paris, Gallimard, 1929, p. 300-302.

[19] Lestringant signale ce passage des notes préparatoires de 1910 de Si le grain ne meurt : « Il y eut des gros mots prononcés à cette occasion, et quelques obscénités. Quand le gamin tranche les attaches de sa culotte au moyen d’un coutelas (…), André le prend et lui murmure à l’oreille : ‘’Tu veux que je t’enc…’’ Ali répond, nullement surpris ; ‘’Comme tu veux’’, et docilement il se met en position. » Voir : F. LESTRINGANT, André Gide l’inquiéteur, op. cit., vol. 1, p. 246.

[20] Ibid., p. 246.

[21] L. DÄLLENBACH, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Le Seuil, 1977, 247 p.

[22] P. MASSON, « Les lettres brulées ou le chef d’œuvre inconnu de Gide », Bulletin des Amis d’André Gide, avril-juillet 1988, n°78-79, p. 77.

[23] J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 741-744.

[24] Ph. HELLEBOIS, op. cit., p. 16.

[25] J. LAMBERT, Gide familier, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, 214 p. Voir aussi : A. GIDE, Si le grain ne meurt, op. cit., p. 235.

[26] Il s’agit de la révolution du phallus et ses enjeux, la théorie du fantasme, la théorie du nouvel Œdipe, la théorie de la sublimation et de l’éthique de la psychanalyse. Voir : M. ZAFIROPOULOS, Les mythologiques de Lacan, op. cit., p. 17.

[27] Cl. LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, 454 p.

[28] D. BERTHOLET, Claude Lévi-Strauss, Paris, Plon, 2003, p. 231.

[29] Cl. LEVI-STRAUSS, « Le dédoublement de la représentation dans les arts de l’Asie et de l’Amérique », Renaissance. Revue trimestrielle publiée par l’Ecole libre des Hautes Etudes de New York, 1944-1945, vol. 2-3, p. 168-186 ; repris dans Anthropologie structurale, op. cit., p. 269-294.

[30] M. DRACH, M. MAUZE, « Le dédoublement de la représentation : paradoxe de la prise au corps du symbolique », L’anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse (dir. M. Drach et B. Toboul), Paris, Editions La Découverte, 2008, p. 39.

[31] Cl. LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, op. cit., p. 289.

[32] Je rappelle la proposition méthodologique de Lévi-Strauss sur laquelle Lacan s’appuie : « Donc, il est bien vrai qu’en un sens, tout phénomène psychologique est un phénomène sociologique, que le mental s’identifie avec le social. Mais, dans un autre sens, tout se renverse : la preuve du social, elle, ne peut être que mentale ». Voir : Cl. LEVI-STRAUSS, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », dans M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 1950, p. XXVI.

[33] M. ZAFIROPOULOS, « Psychanalyse et pratiques sociales ou la preuve par la psychanalyse », Recherches en psychanalyse, 2004, vol. 1, n°1, p. 97-118.

[34] J. JACKSON, Arcadie. La vie homosexuelle en France, de l’après-guerre à la dépénalisation, Paris, Autrement, 2009, p. 45.

[35] C. A. EL SOKATi, André Gide au miroir de la critique : « Corydon » entre œuvre et manifeste, thèse de doctorat es lettres soutenue le 19/03/2011, Université de Paris-Est-Créteil, p. 117-145.

[36] F. LEROY-FORGEOT, Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris, Puf, 1997, 127 p.

[37] G. LANTERI-LAURA, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, Paris, Masson, 1979, p. 15.

[38] « [La relation avec Maurice Schlumberger] fut sans doute la première liaison homosexuelle qui ne séparât pas l’amour et les plaisirs. Elle fut aussi pour Gide l’occasion d’une crise intérieure très profonde, qui mettait en cause l’hypocrisie de sa vie et qui ne se résoudra qu’avec la publication de Corydon (…), mais aussi d’une crise avec Madeleine (…). Voir : A. GIDE, Journal, I, op. cit., p. 1487.

[39] P. BILLARD, André Gide et Marc Allégret. Le roman secret, Paris, Plon, 2006, p. 85.

[40] Les Cahiers de la Petite dame. Notes pour l’histoire authentique d’André Gide 1918-1929 / Cahiers André Gide, Paris Gallimard, vol 1, 1973, p. 145-151.

[41] J.-A. MILLER, « Sur le Gide de Lacan », op. cit., p. 13. Miller confond également Maria et Elisabeth Van Rysselberghe considérant que la première est la mère de la fille de Gide… voir p. 17.

[42] Ph. HELLEBOIS, op. cit., p. 107.

[43] Selon Marianne Mercier-Campiche, il ne fait aucun doute que Gide a souffert de tuberculose dans la première moitié des années 1890 : « Repérée dès le premier conseil de révision, la déficience pulmonaire fut identifiée comme ‘’tuberculose’’ au troisième (1892) ; séquelles encore au début de 1895. La gravité de l’état d’André pendant ces années-là est une circonstance qui, pour lui comme pour sa mère, domina la période. (…) Or la question de santé a été sinon complétement ignorée, du moins déformée, minimisée, limitée à rien ou à des effets négligeables. » Voir : M. MERCIER-CAMPICHE, Retouches au portrait d’André Gide jeune, Paris, L’Âge d’Homme, 1994, p. 187-188. Bien sûr, nous la suivons moins lorsqu’elle suppose que la pédophilie de Gide se déduit, au titre des causes déterminantes, de la tuberculose, reconduisant ainsi l’un des topoï les plus éculés qui articulent maladie somatique et homosexualité. Voir (par exemple à l’inverse) : WITRY Dr, « Lettres de deux prêtres homosexuels. Guérison après fièvre typhoïde. Homosexualité et traumatisme. », Annales médico-psychologiques, 1929, 87e année, tome 1, p. 398-419.

[44] Ph. HELLEBOIS, op. cit., p. 107.

[45] F. LESTRINGANT, Gide l’inquiéteur, op. cit., vol. 1, p. 60-61.

[46] Il en va ainsi de la correspondance de Gide avec sa mère, correspondance perdue si l’on en croit Delay mais finalement retrouvée à Cuverville « dans un petit sac de toile portant l’inscription Lettres brodée par Mme Gide elle-même », et publiée seulement en 1988 ; Voir : A. GIDE, Correspondance avec sa mère. 1880-1895, Paris, Gallimard, 1988, p. 15-16.

[47] J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 761.

[48] Ibid., p. 754.

[49] Ibid., p. 761.

[50] A. GIDE, Correspondance avec sa mère, op. cit., p. 171.

[51] J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 749.

[52] « Je lui écrivais que je ne pouvais plus séjourner en Normandie, auprès d’elle ; j’y pourrissais, – je me souviens de ce mot affreux ; que toutes mes forces vitales s’y liquéfiaient, que j’en mourrais, et que je voulais vivre, c’est-à-dire m’évader de là, voyager, faire des rencontres, aimer des êtres, créer ! » Voir : J. SCHLUMBERGER, op. cit. p. 190.

[53] Ibid., p. 192.

[54] Y. MISHIMA, L’Ange en décomposition, Paris, Gallimard, 1971, 249 p.

[55] M. YOURCENAR, Mishima ou la vision du vide, Paris, Gallimard, 1980, p. 15.

[56] M. ZAFIROPOULOS, Œdipe assassiné ? Œdipe roi, Œdipe à Colone, Antigone ou L’inconscient des modernes. Les mythologiques de Lacan 2, Toulouse, Erès, 2019, p. 115-133.

[57] Au point que je suis tenté de considérer le récit Le Voyage d’Urien, non comme le « voyage du Rien » comme le suggère Lacan, suivant Delay, mais plutôt comme le récit halluciné d’un uraniste, dont Gide n’ignore pas que le terme tolère deux variantes : « uranien » et « urnien ». Voir : A. GIDE, Le Voyage d’Urien, Paris, Gallimard, 1929, 165 p. ; J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit ;, p. 751 ; Cl. COUROUVE, Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris, Plon, 1985, p. 221-225 ; J.-M. WITTMANN, « Gide sur les pas de Novalis. Des Disciples à Saïs au Voyage d’Urien », Bulletin des Amis d’André Gide, janvier 2008, XXXVI, 157, p. 15.

[58] M. NEMER, Corydon citoyen. Essai sur André Gide et l’homosexualité, Paris, Gallimard, 2006, p. 46. Voir aussi : L. LE CORRE, L’Homosexualité de Freud, Paris, Puf, 2017, p. 159-160.

[59] Madeleine Gide aimait le feu purificateur comme l’indique une lettre à Gide du 19 mai 1890 : « Tu sais que si tu deviens vraiment célèbre (ce mot est bête, mais je n’en trouve à l’instant pas d’autre), je te rends tes lettres, toi les miennes, nous en faisons un beau feu – et puis fini – plus de lettres, c’est-à-dire rien que des lettres très ordinaires, très insipides. » Voir : A. GIDE, Correspondance avec sa mère, op. cit., p. 64.

[60] J. SCHLUMBERGER, op. cit., p. 193.

[61] M. ZAFIROPOULOS, Œdipe assassiné ?, op. cit. p. 117-167.

[62] Ibid., p. 118.

[63] J. LACAN, Le Séminaire. Livre V : Les formations de l’inconscient (1957-1958), Paris, Le Seuil, 1998, 517 p.

[64] Correspondance avec Marc Allégret 1917-1949 / Cahiers André Gide, Paris, Gallimard, 2005, vol. 19, p. 240-241.

[65] P. MASSON, op. cit., p. 71-78.

[66] Marc Allégret est également désigné par le prénom Michel. Voir : A. GIDE, Journal, I, op. cit., p. 1035.

[67] Ibid., p. 1487.

[68] Lettre d’Elie Allégret du 20/05/1918. Voir : Correspondance avec Marc Allégret, op. cit., p. 18, n. 1.

[69] J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 752.

[70] ibid. p. 753.

[71] J. LACAN, Les formations de l’inconscient, op. cit., p. 196.

[72] J. LACAN, « Jeunesse de Gide », op. cit., p. 763.

[73] M. NEMER, Corydon citoyen, op. cit., 298 p.