Category Archives: revue

  • -

LA LITTERATURE, APRES… – Colette SOLER

On assiste dans les dernières années de l’enseignement de Lacan à un virage impressionnant dans ses formules d’évaluations de la littérature, dont j’ai mis longtemps à saisir les fondements, arrêtée que j’étais peut-être par le Lacan bien connu des éloges de la littérature avec ses références si nombreuses aux grands auteurs.

Joyce n’y est pas pour rien. Lacan a souligné avec force à propos de Finnegans Wake qu’il n’y a d’éveil au réel que par lettre hors sens, l’écrit pas à lire, pas à interpréter, homologue de la jouissance opaque du symptôme. Ça ressemble à un éloge. En tous cas ça dessine une ligne de partage de la littérature selon qu’elle nourrit le sens par ses fictions ou au contraire sa pulvérisation énigmatique par la lettre. La première est celle qui émeut notre inconscient, car elle raconte des histoires, bref elle écrit des romans. J’emploie ce terme de roman pour indiquer la continuité entre la prose littéraire et, non pas l’inconscient, mais ce que Freud a nommé le « roman du névrosé », soit le scénario du fantasme qui lui sert de lunette pour lire sa propre histoire et en faire sa réalité. La seconde est celle à laquelle Lacan attribue le « pouvoir d’illecture », où lui-même se reconnaît. C’est sur cette ligne de fracture que commence sous la plume de Lacan des évaluations littéraires inattendues et plutôt virulentes.

Je retiens deux références essentiellement, ce qu’il en dit aux USA en 1975 et à la fin de Joyce le symptôme II. Je commence par la seconde.

Corpo-rectrice ou a-corporelle

« Il y a quelque chose à crever dans le papier hygiénique sur quoi les lettres se détachent, quand on scribouille pour la rection du corps pour la corpo-rection. »[1]

Verdict et qui porte plusieurs thèses en une toute petite phrase. D’abord une thèse sur la finalité, cette littérature écrit « pour », avec une visée donc, et qui est corporelle. La prose littéraire vise « la rection du corps », engendre même « la corpo-rection. » Mais, deuxième thèse, son moteur est en outre du registre « anal ». Deux affirmations donc, l’une sur la pulsion d’écriture, et l’autre sur ce qu’elle obtient, « corpo-rection ».

L’homophonie pourrait faire penser que cette « corpo-rection » place la littérature sur le même plan que l’éducation qui veille à la « correction » socialisante du corps ? Mais il est à noter que Lacan évite justement là le terme de correction que l’on emploie tellement dans l’éducation supposée assurer les comportements corrects dont les parents et les maîtres rêvent. La rection c’est autre chose. En français elle pourrait évoquer le rectus, droit, que l’on retrouve dans la posture érigée, et qui n’est pas sans assonances avec l’érection dans ses diverses acceptions, éventuellement celle du corps, avec cette verticalité à laquelle Freud a attribué de grandes fonctions dans l’évolution de l’espèce et à laquelle le discours commun fait un sort quand il nous invite, selon le proverbe, à mourir debout plutôt qu’à vivre couché. Mais comment le romancier aurait-il à voir avec cette finalité de l’érection du corps, qui n’est rien d’autre qu’une phallicisation, lui qui prétend rarement à la conformité et qui affirme en outre que son objet est… l’écriture ? Ne faut-il pas plutôt recourir au sens linguistique de rection ? J’y viendrai, mais je note déjà que le sens est toujours intrinsèquement lié au corps, à son imaginaire comme au réel des pulsions qui l’animent, et dans les termes de Lacan finalement, à l’objet a.

Il faudrait donc déjà conclure qu’avec l’illisible hors sens on a une littérature a-corporelle, qui n’émeut pas notre inconscient parce que notre inconscient, pour réel qu’il soit comme « savoir parlé », il « parle avec le corps », selon les expressions de Lacan. La thèse était clairement énoncée dès « Radiophonie », avec la révision du concept de métonymie que Lacan y a introduite. De ce trope il a d’abord dit qu’il véhiculait le sens du manque du désir, il dit désormais, à partir de ce texte, qu’il porte la jouissance passée au langage. Elle est « métabolisme de la jouissance »[2]. Et la référence à la littérature y était déjà convoquée car « ce dont témoigne la métonymie du linguiste est à portée d’autres que le psychanalyste. Du poète par exemple qui dans le prétendu réalisme fait de la prose son instrument ».[3] Exemple majeur, l’oreille de la dame que Bel ami, le personnage de Maupassant, s’efforce de captiver, cette oreille qui ne prend sa valeur érotique de plus de jouir que par déplacement, par transfert métonymique donc de l’image de l’huitre à gober, soit de l’objet oral. On sait bien d’ailleurs que chaque langue véhicule tout le vocabulaire des diverses pulsions et que ça va du vocabulaire érotique des amants jusqu’aux insultes les plus virulentes. Ainsi, toute la littérature romanesque et réaliste métonymise-t-elle plus que le manque du désir fabriqué entre le symbolique des mots et l’imaginaire du corps, elle véhicule les plus de jouir pulsionnels et les Uns phalliques des mots qui les portent. Faut-il alors conclure que corpo-rection c’est dans cette Deuxième conférence, le nouveau mot pour dire cette opération de la métonymie ?

Mais pourquoi ne retenir que la dimension anale de cette écriture littéraire alors même que l’exemple pris de Maupassant ne la convoquait pas justement ? Or, c’est bien ce que Lacan fait en généralisant : si la feuille d’écriture est « papier hygiénique », la lettre qui s’y dépose devient excrément et l’acte d’écrire, même pour un Maupassant, consiste à s’en soulager ? Faîtes ce qui est en vous. Je ne pense pas que ce soit seulement à cause de l’équivoque venue de Joyce entre letter/litter, lettre et déchet, souvent évoquée par Lacan. C’est l’inverse, c’est cette équivoque qui transcrit dans la langue le fait que la lettre puisse être déchet tout autant que l’étron — preuve que lalangue sait tout, comme j’aime à le dire. Il faut là se souvenir de l’apport freudien sur l’étron comme premier objet détachable à portée identitaire. Détaché à la demande de l’Autre il devient le modèle originaire de tous les objets qui peuvent s’échanger, que l’on peut demander autant que céder, qui sont donc en jeu dans la dialectique du don et du refus et par conséquent médiateur dans le lien social. Lacan d’ailleurs dans les années antérieures, ne stigmatisait-il pas la thèse de « l’oblativité génitale » qui fut en vogue à l’IPA, soulignant que cette oblativité était un fantasme d’obsessionnel, d’un sujet rivé à la problématique anale rétention/cession, en termes communs on dirait avarice/générosité. Le second trait de cet objet anal, implicitement essentiel dans ce développement, c’est que, premier objet cessible, il est aussi le premier à avoir une fonction identitaire, le premier à représenter le sujet en quelque sorte. « Que suis-je ? » dans l’Autre, sinon cet objet qu’il demande et que je lui cède ? Ainsi prête-t-il à une identification de l’être, et d’ailleurs on sait bien qu’ « être une merde » est une expression commune. L’angoissé de la page blanche, par exemple, dont l’angoisse « n’est pas sans objet » car il recule devant ce qu’il va produire, phénomène fréquent et banal quand il s’agit d’écrire, eh bien, interrogez-le et il vous dira, qu’il est l’étron de son fantasme, notait Lacan. Du coup, à suivre cette veine, l’art du style, sans lequel la fiction n’est pas littérature, pourrait se reformuler ainsi : est-il le plus beau, le plus original, cet objet déposé ? Si oui, il donnera du lustre à son nom propre.

A ce compte la littérature romanesque n’est pas ininterprétable, à bien lire, on pourra dire en chaque cas quelle est la merde particulière, la sienne propre, que chacun dépose sur sa feuille hygiénique et à laquelle il remet le soin de le représenter. C’est ce qui me ramène au sens linguistique de la rection. Le terme est récent, il vient de la linguistique du milieu du XXe siècle et désigne la façon dont un terme se connecte à d’autres, notamment le verbe à son complément. On y parle donc d’un « rapport de rection ». Tout lacanien dresse l’oreille quand il entend le mot rapport. Difficile de penser que Lacan n’ait pas eu cette définition en tête, lui pour qui la chaîne signifiante de la parole supplée au rapport sexuel qui manque pour assurer le lien des corps, lui qui, plus précisément, a fait du verbe un signifiant « passibête »[4]. Le signifiant est bête car il n’a pas de sens, mais le verbe, lui, assure quand même le glissement du sens et de ses équivoques dans le rapport grammatical de rection entre les mots et sans la rection des mots pas de rection du corps autrement dit pas de lien d’un corps à un complément de jouissance. De là, il ne serait pas inexact de dire que dans cette littérature qui parle, contrairement à Joyce, par la rection des mots chacun écrit avec son corps. Et c’est une littérature qui parle d’histoires de corps symptomatiques la littérature romanesque. Elle est donc en continuité avec ce qui a cours dans notre époque et qui ne se limite pas à la culture littéraire, le témoignage des particuliers et les récits du journaliste. Il me semble qu’aujourd’hui ce « symptôme littéraire » que Lacan disait « enfin venu à consomption »[5], autrement dit cette littérature qui parle et qui nous parle de ce fait, est loin d’être finie, c’est le contraire, elle est en pleine expansion. Au moment même où on constate une variété croissante des rections des corps identitaires, toujours moins homogénéisés par un semblant maître et qui se regroupent grégairement, on nous annonce un engouement généralisé aussi pour l’accès à l’écriture, dont on fait commerce d’ailleurs, avec promesse d’apprendre à écrire, mais c’est d’une écriture qui parle, à lire donc. Je ne discute ni de ce recours, ni de ce goût, puisque des goûts on ne dispute pas. Ce que j’en conclus c’est que pour faire l’éloge de cette littérature bavarde, au nom de Lacan, il faut se référer au Lacan d’avant, parce que celui de cette dernière conférence — et c’est son dernier grand texte écrit — procède à son ravalement de la façon la plus drastique et la plus indubitable. Il le fait au nom, de Joyce certes, mais aussi de la psychanalyse.

Ce qui se vend

Tout cela paraît très irrévérencieux, voire violent, n’est-ce pas ? C’est sûr, et il y a quelque chose à élucider après tant d’années dans lesquelles Lacan a fait si grand cas de la littérature, et des grands auteurs, Shakespeare, Gide, Duras, Poe, etc. Autant de références dont on peut fort bien s’autoriser pour patauger dans la confusion entre psychanalyse et littérature ?

Je note d’abord qu’on peut voir dans cet accent péjoratif un écho lointain de ce que Lacan avait déjà dit dans le Séminaire L’éthique de la psychanalyse, sur la sublimation. Et la littérature n’est-elle pas mise au compte des sublimations de la culture ? Déjà, il avait marqué qu’en dépit de son idéalisation assez commune, elle n’est rien d’autre que le déplacement de la pulsion, métonymie donc, notamment anale et il l’illustrait cette sublimation pas si sublime, par des petits bouts de papier sales conservés au fond d’une poche. Il va plus loin après 1975, et j’en viens à mon deuxième texte. Parlant aux USA, il note que la littérature a changé, désormais, voilà une nouvelle définition, la littérature c’est « ce qui est écrit et qui aussi se vend ». Surprise. Elle est bien du temps du capitalisme cette définition, mais comment l’entendre ? Certes l’audimat littéraire n’est pas nouveau, mais dire — c’est ce que cette phrase dit — que ce qui vaut à titre d’écriture littéraire transcende la question du texte, de son sens et de son dé-sens, assez pour se définir par la seule vente, soit sa mise en circulation, ça, oui, c’est un scoop. Il est sûr en tous cas que dans les époques antérieures, on la pensait tout autrement. On le voit avec le mythe romantique du grand écrivain méconnu, avec une grande œuvre écrite mais non vendue. Si par contre la littérature c’est ce qui se vend, l’idée romantique s’inverse : plus d’écrivain méconnu possible, puisque c’est le bien connu, soit le bien vendu, qui fait le grand écrivain dont décident par conséquent « tous les autres », tous les acheteurs-lecteurs qui s’en satisfont assez pour payer dans le lien donnant-donnant que Lacan décrit à la même époque. L’écrivain ne va donc jamais tout seul, toujours en couple avec du lecteur. N’est-ce pas bien consonnant avec ce qui s’impose dans la pratique actuelle des prix littéraires, où on ne sait plus guère ce qui l’emporte de la sanction d’une qualité ou de l’annonce d’un audience que l’on courtise, que l’on fabrique en partie, le nombre devenant le poinçon de la valeur littéraire. Je note au demeurant que la notion même d’écrivain méconnu n’est qu’un après coup d’une notoriété advenue postérieurement et qui rétroactivement l’institue comme écrivain, et l’extrait de la multitude des écrivains ratés, soit sans audience, jamais. Très logiquement, Lacan s’applique à lui-même sa nouvelle définition. Il a souvent souligné que ses Ecrits se vendaient, pour sa surprise, alors même qu’ils les disaient « pas à lire » comme tout écrit véritable selon lui, car un écrit ne parle pas et n’est pas à interpréter. Maintenant, et c’est grâce à la leçon de Joyce, il peut dire qu’avec ses Ecrits, il fait lui aussi de la littérature puisque ça se vend, quoique illisible, soit ininterprétable en termes de rection du corpo. Tous deux Lacan et Joyce se retrouvent donc dans le nouveau lien donnant-donnant que Lacan construit dans cette conférence. Un lien où l’un fait l’offre d’un plus de jouir pour lequel d’autres payent la dîme qui fera l’escabeau de l’auteur. Il se place ainsi lui-même comme un « effet » du changement qu’il évoque. Car, il le précise la littérature a des effets, oui, des effets… sur la littérature elle-même.

La question, enfin ma question, est de savoir comment en est-il venu à cette idée qui paraît fort réductrice du texte littéraire, et où il inclut Joyce et Lacan, les deux illisibles, par le fait que ça se vend. Diachroniquement il le fait dans l’après-coup de Joyce qui a réussi à vendre une littérature qui avec Finnegans wake ne parle pas, n’est pas fiction littéraire mais lettre pure, offrant une autre jouissance que celle de la corpo-rection par les mots, autre donc que celle du courant dominant, et qui cependant, quoique minoritaire, conflue avec lui, puisque tous deux se vendent. « C’est difficile à saisir » ajoute-t-il. En effet. Qu’est-ce-ce qui le fonde à faire de la vente, et contre l’idée commune, le trait distinctif de la littérature, et qui surmonte même la ligne de fracture entre lisible et illisible ?

Nouvelle perspective

Tout cela ne se comprend bien que si on saisit à quel point Lacan dans sa lecture de Joyce abordait la littérature d’un point de vue nouveau. Ce point de vue datait d’avant et venait de la psychanalyse, il l’avait déjà appliqué à la parole analysante, à partir des années 1970, en déplaçant la visée de l’interprétation. Elle doit selon ses termes de 1973, dans la « Postface du séminaire XI », porter moins sur « ce qui se dit », autrement dit le texte métonymiquement corpo-recteur, que sur le dire, le dire comme acte d’énonciation, le « qu’on dise » avec sa visée propre et ses effets propres qui ne sont pas, comme le sont les effets du texte, des effets sujets. « L’étourdit » est inaugural et catégorique sur cette distinction. Eh bien de même, ce qu’il questionne n’est plus le texte littéraire comme il l’a fait souvent auparavant. Dans l’après coup on voit qu’il y cherchait de quoi en éclairer l’interprétation analytique du « ce qui se dit » de la corpo-rection. Celle du désir par exemple et c’était Hamlet, celle du « narcissisme de la cause perdue » avec Claudel et Le père humilié, ou celle du rapport à l’autre femme, avec Marguerite Duras et sa Lol, etc. Désormais, il questionne non le texte  et son style mais l’acte  d’écrire, ou l’art-dire de l’écrire — comme il l’a fait pour Joyce, n’étant pas vraiment convaincu par son texte, il l’avoue. On pourrait dire, pastichant le début de « L’étourdit » : « Qu’on écrive reste oublié derrière ce qui s’écrit dans ce qui s’achète ». Ce qui s’écrit étant soit corpo-rectif soit a-corpo-rectif. Pour l’analysant son dire est demande quoiqu’il dise et c’est ce dire qui s’interprète. Si je pousse l’homologie, pour l’écrivain de fiction son écrire est aussi demande, à la cantonade certes, mais il écrit en attente d’un lecteur potentiel. Une remarque le confirme dans les conférences aux USA de 1975. « La littérature, dit-il, a essayé de devenir quelque (…) chose qui livre sa raison ». Son « pourquoi » donc. Qu’elle parle ou qu’elle ne parle pas, ce « pourquoi » est au niveau du dire qui la porte. Il peut avoir de mauvaises raisons ce dire, par, exemple Joyce dit-il, il voulait « devenir un homme important ». Et puis il généralise, rappelant que la raison pour « s’engluer dans ce métier d’écrivain » — et quand Lacan parle de la glue c’est toujours celle du sens — ce n’est pas l’inconscient, mais le symptôme, lequel, pas de doute, est toujours un mode de jouissance, une identité de jouissance.

J’ajoute une dernière référence sur laquelle je suis tombée à nouveau par hasard ces jours-ci. Le texte de Lacan, inédit, publié dans Les Cahiers cistre N° 3, du 4e trimestre 1977, du vivant de Lacan donc, et qui n’a pas été repris dans Autres écrits. Lacan y note que dans la psychanalyse on se penche volontiers sur la littérature pour la rapprocher de l’inconscient, parce que il y a de l’écrit dans les deux. Le texte est difficile, je ne l’ai pas complètement élucidé, mais une thèse y est nette, affirmée au moins deux fois : l’œuvre littéraire n’imite pas l’effet d’inconscient. De fait, si la raison de l’œuvre c’est le symptôme, qu’elle s’écrive pour la corpo-rection ou non, elle écrit pour… une jouissance identitaire qui fait nom propre dès lors qu’elle est offerte dans un lien social qui sustente le nom. L’inconscient, lui, est appareil langagier de la jouissance, mais il est loin de sustenter l’escabeau du nom.

Finalement ces développements, à vrai dire bien peu didactiques, et très, trop, condensés, s’origine de « L’étourdit » avec l’introduction de la dit-mention du dire ex-sistentiel, dans sa différence d’avec les dits. Ce dire ex-sistentiel est un autre réel que celui des impossibles du langage, sa finalité est en question et Lacan en déploie ensuite l’exploration dans l’introduction du sinthome, dans la redéfinition du Père, et dans la visée de l’interprétation. Une chose est sûre au moins, c’est que la cohérence y est.

Lacan n’a pas tenté la même démonstration pour les escabeaux des autres arts. Tous sont des offres à jouir, qui diffèrent sans doute par le mode de la jouissance offerte, mais pour tous on pourrait poser la même question, et dire qu’on écrive, qu’on peigne, qu’on filme  reste oublié…

Pour conclure

Que deviennent alors, les nombreux coups de chapeau tirés à la littérature, et la fameuse remarque dont on a fait tant de cas, disant que de l’artiste, le psychanalyste pourrait en prendre de la graine. C’était dit contre Freud qui les mettait au pair. « En prendre de la graine », ça ressemble bien à un éloge — même si on peut lui supposer une dimension diplomatique dans le discours de l’époque. Mais jusqu’où va-t-il au fond cet éloge ? Le psychanalyste est invité à prendre l’écrivain comme exemple, à imiter donc ce qu’il réussit. Mais qu’est-ce qu’il réussit, l’écrivain, sinon à convoquer de façon inédite soit la joui-sens en deux mots — autre façon de dire la corpo-rection — soit la jouissance hors-sens de la lettre. Or, l’interprétation elle-même vise toujours la jouissance, point commun avec le littérature, et la remarque de Lacan sous-entend d’ailleurs que les psychanalystes y sont plutôt inégaux, d’où l’incitation à prendre de la graine. Mais, différence : la littérature offre cette coalescence des mots et de la jouissance à la satisfaction de son lecteur qui achète, et il use de cette l’offre pour le nom. Sur ce point il ne s’agit sûrement pas que le psychanalyste prenne de la graine et se mette au pair l’opération d’enchantement du lecteur que fait la littérature. Au contraire, c’est l’inverse, il s’agit de porter à l’évidence une jouissance qui était déjà là chez l’analysant, dans son fantasme et dans son symptôme, de cibler donc sa rection corporelle particulière. L’instrument est le même, le verbe, la lettre si vous préférez, la finalité est inverse : analyser la jouissance ce n’est pas la métonymiser pour un plus de plaisir. En outre, celle que l’on cible dans la psychanalyse n’est pas toute métonymique, elle est aussi fixion de symptôme, avec un x, je pourrais dire, qu’elle est corpo-différentielle, bien peu propice au partage, et même « opaque » dit Lacan, elle ne fait pas troupe. De littérature à psychanalyse il y a donc même moyen, mais antinomie des finalités. Index de cette différence cruciale : de la littérature on se fait un escabeau, mais pas de l’interprétation. Le lien analyste-analysant n’entre pas dans la structure du donnant-donnant, l’acte analytique est un acte sans rétribution d’escabeau — ce pourquoi on le paye d’ailleurs. C’est même plus, car à se faire l’homme de paille du sujet supposé savoir, il est promis au statut de rebut de l’opération. Le rebut, c’est un reste qui n’a plus d’usage, qui ne sert plus, non recyclable pour le dire dans les termes d’aujourd’hui. Castration de l’escabeau donc au terme, « scabeaustration »[6] écrit Lacan. Serait-ce la raison cachée de la frénésie d’écriture qui sévit chez les psychanalystes d’aujourd’hui ? Ce n’est pas exclu.

[1] J. LACAN, « Joyce le symptôme II », Joyce avec Lacan, Navarin, 1987, p. 36.

[2] J. LACAN, « Radiophonie », Scilicet 2/3, p. 70.

[3] Ibid., p. 71.

[4] J. LACAN, Le Séminaire. Livre XX : Encore (1972-1973), Paris, Le Seuil, 1975, p. 27.

[5] J. LACAN, Joyce avec Lacan, op.cit., p. 36

[6] Ibid., p. 33.


  • -

LES SOURCES LITTERAIRES DE L’ŒUVRE DE LACAN LE GUERRIER APPLIQUE A… LA PASSE – Markos ZAFIROPOULOS

Dans le champ freudien qui est notre champ de référence on répète volontiers, et à juste titre, que Lacan fut un très grand théoricien de même qu’un immense clinicien, comme il en fut naturellement du fondateur de la psychanalyse S. Freud.

 

Ceci est évidemment très juste mais ne laisse pas les deux psychanalystes dans une relation de répétition simple, car si Freud restera pour la nuit des temps le fondateur de la psychanalyse, l’œuvre de Lacan n’est pas saisissable sans apercevoir notamment qu’il fut d’abord un lecteur. Un lecteur des textes de Freud mais aussi un lecteur éminent de beaucoup d’autres textes théoriques avec lesquels il entre dans le champ freudien comme jeune psychiatre/psychanalyste dans les années 1930. Et il y entre sous les traits de celui que j’ai nommé le « jeune Lacan », « jeune Lacan » qui fut notamment un Lacan durkheimien assez éloigné sur nombre de points du texte de Freud, car ce n’est pas lui faire injure que de dire que le premier Lacan n’était pas freudien sur toutes sortes de notions fondamentales (identification d’avant l’œdipe, narcissisme originaire, instinct de mort, théorie du père inconscient avec le rejet de Totem et tabou, et ainsi du reste). Pour ce qui concerne la notion de père disons pour faire court que le premier Lacan y voyait une imago très proche de celle du chef de famille, une imago variant dans ses capacités de structuration subjective des fils et des filles avec l’évolution de la valeur sociale de ce père sociologiquement donc évaluée. Autrement dit, pour ce jeune Lacan qui écarte la théorie freudienne de Totem et tabou, la valeur du père se déduit de sa valeur sociale et plus précisément encore de la valeur de la famille dont il est le chef. Répétons-le une fois encore, et comme dit inlassablement depuis 2001[1], la valeur de ce père est évaluée du point de vue des travaux sociologiques des fondateurs de la sociologie française au premier rang desquels Durkheim et Le Play. Ces auteurs considérant pour toutes sortes de (mauvaises) raisons que l’histoire de la famille en Occident aurait démontré un déclin de cette structure sociale, eh bien Lacan le jeune assurait dès 1938 que l’imago du père en Occident serait en déclin et que ce déclin aurait déterminé (au moins pour une part) l’émergence dans la culture de la psychanalyse. D’où le déchaînement dans le champ psychanalytique d’innombrables couplets composés sur le pont aux ânes du « déclin du père de famille » dont beaucoup usent pour fonder en autorité quelques théories des plus farfelues culminant par exemple sur celle de la disparition du complexe d’œdipe en Occident. Sur cette question centrale pour notre champ je renvoie les lecteurs intéressés à mon ouvrage Du père mort au déclin du Père de famille : où va la psychanalyse ?[2] puisque mon Lacan et les sciences sociales est épuisé depuis longue date en France et en Amérique latine. Par contre nos lecteurs italiens peuvent  maintenant et depuis peu, le lire sous l’intitulé Lacan e le scienze sociali[3].

 

Bon, je laisse de côté mon premier Lacan car comme dit aussi depuis 2001 il y a un second Lacan. Un second Lacan qui, disons-le rapidement, fit retour à Freud par les chemins de Lévi-Strauss (c’est ma thèse sur le retour à Freud de Lacan)[4]. Dans ce retour, Lacan écarte radicalement ce qu’il avait promu jusque-là comme théorie du père, à savoir une imago d’allure sociologique, pour revenir à la théorie du père mort et inconscient de Freud (celle de Totem et tabou) que Lacan désigne et ressaisit dès 1953 sous le syntagme resté très célèbre : celui de Nom du père. Le père sous la plume de Lacan devient donc un signifiant.

 

 

 Il s’agit là de mon second Lacan, le Lacan structuraliste qui importe dans le champ psychanalytique la théorie du signifiant d’exception isolé par Claude Lévi-Strauss et les tenants de la linguistique structurale des années 1950. Qu’est-ce que ce signifiant d’exception ? Eh bien comme je l’ai découvert, puis beaucoup répété aussi pour notre communauté scientifique depuis 2003, il s’agit du signifiant flottant, du signifiant à valeur sémantique zéro qui a un statut inconscient (chez Lévi-Strauss lui-même) et qui a pour seul rôle de permettre à la pensée symbolique de s’exercer ou encore de garantir le rapport de complémentarité ente le signifiant et le signifié. Désigné de différentes manières (mana, orenda, wakan, etc.) dans différentes cultures comme le rappelle Lacan en 1953[5], il en retient la théorie anthropologique et lui donne son nom de baptême à Rome (forcément à Rome et pour nos sociétés occidentales) comme Nom-du-Père. La théorie du père ou de l’engendrement du fils inconscient évolue, se métamorphose donc puisque du Lacan I au Lacan II ils sont devenus tous deux des êtres de langage. Tel père, tel fils. Puis il y a un troisième Lacan, celui de mes Mythologiques de Lacan[6], le Lacan qui remanie une fois encore la théorie du Père pour en désigner la fécondité dans celle d’une figure de style : la métaphore. Du Nom du Père à la métaphore paternelle disons pour aller vite que Lacan bouleverse une nouvelle fois la théorie du père qui n’est plus (ou plus seulement) pour lui et comme on l’a dit un signifiant d’exception, le père devient une figure de style, une structure à quatre termes comme il en est du mythe d’œdipe par exemple, que Freud a logé depuis toujours au cœur de la structuration inconsciente du sujet de la névrose. Le sujet de l’inconscient est donc bien fils du mythe œdipien en Occident assure Lacan, mais il renverse le point de vue freudien quant à l’analyse de ce mythe puisque — avec ce que j’ai appelé la révolution du phallus[7] —, Lacan affirme que ce n’est pas tant l’enfant qui veut la mère mais la mère qui veut l’enfant. Avec Lacan la cause du désir incestueux se déplace donc de l’enfant vers la mère. Ce qui a toutes sortes de conséquences décisives et permet notamment de comprendre pourquoi l’enfant doit (du point de vue de Lacan toujours) se défendre du vouloir mortifère et incestueux de la mère en érigeant un fantasme fondamental qui apparaît clairement comme une solution de défense. Une solution de défense élaborée par le sujet qui toujours est menacé d’implosion par la jouissance morbide et fétichiste de la mère. Le fantasme chez Lacan est donc une solution, une solution de défense évidemment œdipienne, une solution oui, mais une solution qui se referme sur le sujet de la névrose et constitue ce que j’ai appelé sa prison de verre (dans le premier volume des Mythologiques de Lacan). L’élaboration de cette prison de verre est donc causée par la volonté de jouissance incestueuse de la mère et dépend également de la valeur du père mais de sa valeur symbolique, qui selon ce troisième Lacan varie selon l’histoire de la mythologie occidentale. Ceci est capital à comprendre pour notre orientation psychanalytique puisque se déprendre de cette prison devient pour Lacan et à partir des années 1960 (année du Séminaire Le désir et son interprétation) le point de visée de la cure. J’ajoute tout de suite et compte tenu notamment de la présence d’un article de Colette Soler dans ce troisième numéro de Sygne qu’il y a encore bien sûr d’autres Lacan dont un tout dernier situant le père comme « un symptôme, ou un sinthome, comme vous voudrez », disait-il[8] en hellénisant la langue. Un Lacan qui chercha à refonder encore la psychanalyse, notamment par la voie de la lecture de Joyce dont Lacan déduit un nouvel univers théorique qui est de mon point de vue spécialement congruent avec cette question qui fut je crois la sienne tout au long de sa recherche, à savoir celle de la psychose (et donc du père) au moins dans sa version maniaque propre à Finnegans Wake.

 

Alors je dis tout cela maintenant pour rappeler d’abord le tracé de ma recherche qui scande le corpus de Lacan selon ses ruptures concernant la théorie du père, mais aussi, pour rappeler et comme déjà dit dans le premier volume de mes Mythologiques, l’élaboration de la théorie du fantasme qui accompagne (ou exige) une reformulation de l’issue de la cure pour Lacan. Reformulation qui a notamment motivé mon choix d’intervenir pour cet article par la reprise du Guerrier appliqué[9] car c’est un texte sélectionné par Lacan lui-même pour traiter de la question de la passe et donc du fantasme (ou de sa traversée) comme nous le verrons plus loin. Mais pour cette introduction je voulais aussi et très simplement souligner d’emblée que, comme déjà dit aussi, et à la différence de Freud, Lacan fut d’abord un lecteur. Disons pour ce dossier un lecteur de Freud évidemment, mais aussi un lecteur de Paulhan, de Joyce, de Gide, etc.

 

Et du coup il m’est venu assez simplement l’idée de vouloir mettre l’accent pour ce numéro de Sygne sur les sources littéraires de l’œuvre de Lacan étant entendu que Lacan, comme je viens de le rappeler, fut bien  un lecteur des textes théoriques (Freud, Wallon, Durkheim, Le Play, Lévi-Strauss, Hegel, Gödel, etc.) mais aussi un lecteur des grands textes de la littérature occidentale dont j’ai commencé l’étude avec les deux premiers volumes de mes Mythologiques de Lacan. Avec mes Mythologiques émerge donc un troisième Lacan, un troisième Lacan lecteur de la mythologie occidentale, lecteur critique d’Œdipe Roi, d’Œdipe à Colone, du Diable amoureux, d’Hamlet, d’Antigone, de la trilogie des Coûfontaine, etc.

 

 

Alors, première question simple : pourquoi Lacan use-t-il tant des grands textes littéraires ? Eh bien pour de nombreuses raisons évidemment, mais disons d’abord qu’en convoquant les grands textes de la littérature des sociétés occidentales, Lacan ne vise pas à illustrer sa propre recherche analytique par des fragments littéraires, il ne tente pas non plus d’expliquer les textes (ou leurs succès) par un recours à la subjectivité d’auteurs qui ont fomenté les textes comme le fit Freud. Freud qui expliquait volontiers la tragédie d’Œdipe et son grand succès par le complexe qu’il disait universel. Le point de vue de Lacan est strictement inverse à celui de Freud. Pour lui le sujet de l’inconscient et son évolution historique se déduisent des grands textes. D’où cette prise de position souvent reprise par mes soins et placée en exergue du premier volume de mes Mythologiques : « je soutiens et je soutiendrai sans ambigüité – et, ce faisant, je pense être dans la ligne de Freud – que les créations poétiques engendrent, plus qu’elle ne les reflètent, les créations psychologiques » (Le désir et son interprétation, 4 mars 1959).

 

Pour Lacan le sujet de l’inconscient se déduit des grands textes. Et pour s’y retrouver notamment quant à l’évolution historique de la structuration de ce sujet de l’inconscient qui est l’objet même de la psychanalyse évolution souvent expliquée de manière fort naïve dans le champ psychanalytique par la convocation de médiocres essais sociologiques engendrant du même coup l’incroyable pullulement de médiocres essais psychanalytiques sur ce thème il faut donc lire les grands textes de la culture occidentale et montrer notamment pourquoi par exemple (et comme l’a fait Lacan) Œdipe n’est pas Hamlet ou pourquoi le héros antique n’est pas le héros moderne, étant entendu notamment que ce dernier hérite d’un appareillage particulier qui est celui du fantasme émergeant historiquement, relève Lacan, avec la névrose au temps de la mort des dieux (thème où l’on retrouve la délicate question du père mort). J’y reviendrai, mais pour cet article, on voit tout de suite au moins que pour nous qui sommes des lecteurs de Lacan, il faut d’abord apercevoir que nous ne faisons que dupliquer son acte de lecture de manière quasi fractale. Dès lors pas moyen pour moi d’éviter par exemple de suivre le Lacan des Mythologiques parti sur la trace de grands textes, et pas moyen de laisser de côté l’idée simple selon laquelle avant d’écrire, Lacan fut saisi par l’acte de lire. Cet ordonnancement des actes de Lacan (lire puis écrire) étant d’ailleurs de son point de vue un ordre générique puisque pour lui et au plan anthropologique la lecture précède l’écriture. L’homme a lu avant d’écrire. Faut-il en effet rappeler que les sociétés sans écriture ne sont pas des sociétés  sans lecture ?

 

Son ami Lévi-Strauss raconte d’ailleurs que lui-même lisait les affiches, etc. dans sa poussette et qu’un jour, comme il arrive quelquefois, l’entourage s’aperçut que l’enfant savait lire avant même tout apprentissage dédié. Et Lévi-Strauss d’ajouter qu’il sortit de sa poussette comme lecteur, mais aussi comme structuraliste, car c’est de la différence entre les lettres que lui était apparue la lumière des significations produites par la différence.

 

Bien, Lacan fut donc un lecteur. Et là où Lévi-Strauss analysait des mythes des traditions orales pour rendre compte des cultures non occidentales (notamment amérindiennes), Lacan, lui, s’est mis à lire de manière systématique les grands textes littéraires de la culture occidentale puisque comme je l’ai indiqué supra, il considérait ces textes comme le lieu d’engendrement de la subjectivité inconsciente occidentale (et de l’évolution historique de cette subjectivité).

 

De son point de vue par exemple la tragédie des Coûfontaine où encore la position de Sygne comme caractère quant au désir (le refus) doit être rapportée, pour être bien comprise, à cette sorte de déboîtement mythique qui est au ressort de l’évolution de la littérature occidentale disons d’Œdipe à Hamlet jusqu’à la trilogie de Claudel présentée comme la forme contemporaine de l’Œdipe. Relevons d’ailleurs que l’analyse de cet Œdipe « d’aujourd’hui » fut présenté par Lacan dans son séminaire Le transfert de 1961, ce qui au passage semble bien indiquer que du point de vue de Lacan et durant plus de vingt-cinq siècles c’est bien cet opérateur du mythe œdipien (ou mieux dit : la pluralité de ses formes historiques) qui a structuré en Occident le sujet de l’inconscient et du même coup a motivé les symptômes névrotiques de ce sujet de l’inconscient. Sur ce point j’indique donc une nouvelle fois rester fort perplexe sur l’idée d’une radicale disparition de cet opérateur de structuration (l’Œdipe) dont Lacan atteste la présence et analyse les formes contemporaines en 1961. Solide mais polymorphe durant plus de vingt-cinq siècles, l’Œdipe fort complexe se serait donc pour certains théoriciens de la psychanalyse évaporé en une cinquantaine d’années ? Disons simplement que j’en doute fort au simple regard de mon expérience clinique et au moins pour ce qui concerne ceux qui parmi nous ne sont pas sujets à la psychose. L’opérateur œdipien est-il obsolète ? Non je ne le crois pas du tout. Mais progressons, et j’ajoute pour ce texte introductif que si Lacan fut un immense clinicien il est facile aussi de remarquer qu’il ne s’appuie qu’assez peu sur quelques grands cas issus de sa propre expérience clinique, à la différence de Freud, si ce n’est dans sa thèse et quelques autres textes. Une fois ceci aperçu, on peut alors aussi repérer très facilement que ce qui dans le corpus de Lacan prend la place des cas sous transfert ce sont précisément les cas de Freud revisités par Lacan (Dora, le petit Hans…) ou encore les héros des textes littéraires sélectionnés par ses soins (Œdipe, Antigone, Médée, Hamlet, Alvare, l’Avare, Sygne de Coûfontaine, le jeune Gide, Lol V. Stein, Joyce…).

Il y a donc de mon point de vue à faire une étude systématique des sources littéraires de l’œuvre de Lacan visant notamment à mettre au jour dans chaque cas ce que Lacan visait par l’étude du texte choisi. J’indique tout de suite que c’est par exemple la mise au point de la théorie du fantasme qu’il visait par sa lecture d’Hamlet et que ce point de visée n’est pas tout à fait celui de la sublimation qu’il visait avec son texte en hommage à Marguerite  Duras[10]. Par contre et de son point de vue, si la lecture de Duras à laquelle il rend hommage mobilise la théorie de la sublimation, Lol V. Stein ou plutôt son caractère, est à lire avec la théorie du fantasme au féminin. Autre exemple enfin, et après la lecture de l’ouvrage de Colette Soler Lacan lecteur de Joyce[11], on peut peut-être dire que la lecture de Joyce par Lacan visait à toutes sortes de choses dont probablement aussi à remanier la théorie de la suppléance à la carence du père via l’étude des textes publiés du poète. L’ensemble permettant de convoquer par exemple la manière dont Joyce « s’est fait sinthome, réussissant à boucher par son nom d’énigme ce fondement de vide à quoi il avait identifié le père » écrit joliment Colette Soler[12]. Bon, je signale donc assez simplement que pour chaque texte élu par Lacan c’est bien le moment de sa recherche psychanalytique dans lequel il se trouve qui est au commandement de sa lecture. Autrement dit, je pose qu’il faut savoir situer pour nos propres travaux ce qui d’un point de vue épistémologique motive le choix de Lacan pour tel ou tel texte puisque c’est essentiel pour élucider le choix du texte fait par Lacan et surtout ce qu’il en dit.

Autrement formulé et pour notre propre recherche, il faudrait donc établir la série exhaustive des textes ou des auteurs choisis par Lacan pour établir ce que j’appellerai simplement les sources littéraires de l’histoire de la pensée de Lacan. Histoire de la pensée, l’expression est un peu vieillotte et certainement trop classique pour notre champ mais elle me convient assez bien puisque c’est ce que je fais. Ceci expliquant d’ailleurs et entre autres choses ma grande lenteur dans l’élucidation historique de la recherche de Lacan ou dans l’élucidation de son désir. Bref, il faudrait établir la liste exhaustive des textes sources de Lacan et dégager ce que j’appellerai le principe de lecture ou d’agencement de sa bibliothèque littéraire, théorique, etc. Etablir le plan de la bibliothèque de Lacan pourrait donc être non pas un but de ma recherche mais au bout du compte un de ses  effets.

 

Bon, alors, en ouvrant la bibliothèque de Lacan j’en sors maintenant le dossier de la passe, qui est un dossier éminent pour toutes sortes de raisons, et notamment pour ceci, qu’il est largement polarisé par ce que l’on pourrait appeler la modification morphologique ouvrant la porte de sortie de la névrose ou encore la modification ouvrant vers cette sorte de défilé par lequel l’analysant jusque-là enfermé dans ce que j’ai appelé la prison de verre du fantasme, aperçoit l’issue qu’il pourrait emprunter pour s’extraire de l’enfermement et basculer vers le réel. Basculer avec plus au moins de grâce en lieu et place de psychanalyste si d’aventure il le voulait.

 

Alors la passe ? Je vais essayer d’aller vite mais pour ceux qui ignorent tout du dossier il faut d’abord rappeler ici simplement que le 9 octobre 1967[13] Lacan a proposé un dispositif dont l’enjeu était de recueillir les témoignages des analysants supposés être dans ce moment de passage. La proposition fit débat parmi les analystes de l’Ecole freudienne de Paris et notamment quant à la place éminente qu’y trouvaient les analysants, place jugée quelquefois par trop exorbitante par quelques membres de son Ecole.

 

Dans sa réponse du 6 décembre 1967[14] Lacan persiste pourtant et confirme que sa proposition vise à « mettre des non-analystes [i. e. des analysants] au contrôle de ce qui résulte de l’acte analytique », au contrôle de « la clé de sa terminaison », et ceci au motif notamment que « les analystes — écrit Lacan — s’arrangent pour que ne sorte de leur expérience qu’une production si stagnante, incomestible au dehors (…) qu’il est vain d’espérer qu’elle établisse son épistémologie. »

 

Bon, le coup est rude et bien dans l’esprit de Lacan.

 

Il fait du non-analyste le garant de la psychanalyse ; mais a-t-il vraiment le choix puisque après tout c’est bien lui, le psychanalysant, qui in fine tranche dans l’expérience et décide pour une part au moins de son issue. Le psychanalyste, « n’est-il pas toujours en fin de compte, écrit Lacan, à la merci du psychanalysant et d’autant plus que le psychanalysant ne peut rien lui épargner ». Et il précise : « ce qu’il ne peut lui épargner, c’est ce désêtre dont il est affecté au terme de chaque analyse et dont je m’étonne de le retrouver dans tant de bouches depuis ma proposition, comme attribué à celui que j’ai connoté dans la passe du terme de destitution subjective ». Et Lacan conclut : « on est bougrement plus dur dans l’être pourtant, personne ici ne le sait donc, quand on abdique d’être sujet ».

 

J’insiste sur cette relation antagonique qu’établit ici Lacan entre l’être et le sujet car elle fait apercevoir clairement qu’entre l’être et le sujet il y a une sorte d’opposition radicale, ou de choix forcé, entraînant le fait que pour être, il faut endosser cette sorte d’abdication subjective très peu goûtée par notre modernité. En tous les cas — et du point de vue de Lacan — cette abdication subjective aurait été largement ignorée par ceux auxquels il s’adressait alors en précisant :

 

On voit que vous n’avez jamais été à la guerre, vous êtes tous à quelques degrés enfants de Pétain, en 14 pas nés encore. Pour vous c’est immémorial ; il en reste pourtant un témoignage à la hauteur, pour être ni d’un futuriste qui y a lu sa poésie, ni d’un salaud de publiciste rameutant le gros tirage : c’est Le guerrier appliqué de Paulhan. Lisez ça pour savoir l’accord de l’être avec la destitution du sujet.

 

En choisissant Le guerrier appliqué dans sa bibliothèque je me laisse donc commandé par Lacan.

 

Bon, je contracte et force le trait pour souligner que dans cette logique, comme on le voit, plus il y a de sujet et moins il y a d’être et inversement. « L’accord de l’être » va avec « l’abdication du sujet », voilà l’axiome dont il s’agit dans la passe selon Lacan. Et comme selon lui ses auditeurs auraient tous par quelque côté été des enfants de Pétain, ils n’auraient pu avoir la mémoire de l’abdication guerrière de leur subjectivité car, pas nés en 1914.

 

Au passage j’avoue rester perplexe une fois encore car Lacan enjambe ici la seconde guerre où les nés en 1914 auraient eu vingt-six ans en 1940 et cinquante-trois en 1967, moment de son discours ; rien donc ne semble s’opposer logiquement à ce qu’ils aient eu eux-mêmes l’expérience de l’abdication du sujet dans cette expérience de la seconde guerre mondiale, que quelques-uns d’entre eux avaient bien dû avoir.

 

Bon, je passe, c’est le cas de le dire, et en tous les cas, ce qui par Lacan est assuré c’est qu’il faut lire Le guerrier appliqué pour avoir quelque idée de l’accord entre l’être et l’abdication du sujet. Dans une autre version de ce texte Lacan est encore plus clair car il qualifie la destitution en ces termes : « Le guerrier appliqué, c’est la destitution subjective dans toute sa salubrité »[15]. Bon, c’est peut-être encore un peu opaque pour certains lecteurs, mais ce qui apparaît clairement en tout cas est qu’une des sources de la théorie de la passe chez Lacan ne découle pas de son expérience clinique mais de la lecture du texte de Paulhan dans lequel l’écrivain raconte sa guerre ou, mieux dit, Paulhan raconte ce qu’il éprouva comme conséquence de son abdication subjective motivant notamment son engagement volontaire au tout début de ce que l’on appelle volontiers la Grande guerre. Et pour nous conduire à l’énoncé de ces conséquences je dirai brutalement que son engagement dans la guerre et son abdication subjective conduisirent tout droit Paulhan à la situation de l’homme « commandé » qui offrit enfin son corps à la blessure qu’il reçut au Bois Saint Mard le 25 décembre 1914.

 

Vous avez tous lu l’ouvrage ou vous le lirez — car Lacan le demande — et vous connaissez Jean Paulhan qui fut l’animateur de la Nouvelle Revue Française à partir de 1925, soit encore ce personnage qui régna sur les lettres françaises durant plus de quarante ans et pour lequel je rappellerai rapidement aussi qu’il fut élu à l’Académie Française en 1945. Au total donc je dirai que Paulhan fut une sorte de  phare de la littérature française et que de ce point de vue il est assez remarquable que la courte note d’introduction rédigée par l’éditeur du Guerrier appliqué (Gallimard) indique qu’il s’agit d’une « figure quelque peu mystérieuse ».

 

Quoi ? Paulhan, ce phare de la littérature, ce prince des lettres devrait être présenté  comme une sorte de mystère ?

 

 

Mystère, mais quel mystère ? Et bien, disons-le rapidement, la vie de Paulhan n’apparaît pas toujours des plus transparentes puisque l’on sait par exemple, qu’après la Libération, il accepta de participer à la revue de Sartre Les Temps Modernes à la condition toutefois d’user du pseudonyme de Jacques Maast sur lequel beaucoup se sont interrogés faute peut-être d’avoir simplement lu les premières lignes du Guerrier appliqué : « je parais plus grand que mon âge — je m’appelle Jacques Maast, et j’ai 18 ans ».

 

 

Si l’on en croit ce choix pour le nom propre du Guerrier appliqué, Jean Paulhan le mystérieux disait Gallimard, « Jean Paulhan le souterrain » disait Leo Bersani, fut donc de manière assez sensible, marqué, voire radicalement modifié, par l’expérience de la guerre. Et lui, l’anarchiste mondain qui rêvait notamment de revenir à la terre par le biais d’une révolution violente s’y retrouve enfin mais sous le coup de l’hostilité guerrière, et sous le coup de son choix pour l’abdication subjective qui l’aura conduit d’une main sûre « au rang d’un homme que l’on a commandé (…) surpris de le trouver riche de pensée et de sentiment ».

 

« La dignité des animaux me frappait — poursuit-il — des corbeaux volaient avec cérémonie au-dessus de notre bois ou bien s’abattaient dans les sentiers (…) j’éprouve pour la première fois, dans ce péril, la plénitude et l’assurance de la vie »  écrit le guerrier sur le champ de bataille[16].

 

La plénitude et l’assurance de la vie se payent donc bien ici de l’abdication subjective et de cette sorte de consentement à être un homme commandé.

 

Et Paulhan remarque que son désarroi antérieur à la guerre ne devait donc son explication qu’à cette sorte d’hostilité du monde « pas assez puissante pour m’obliger à vivre sous sa menace ».

 

Avec la contrainte hostile de la guerre, la bascule opère, la nature passe au dedans de lui et il découvre la liberté : « la liberté me vient de la contrainte qui pesait sur moi (…) la terre immense participait alors de ma vie intérieure (…) prés, forêts, terres utiles ».

 

La nature passe au dedans de lui, « près, forêts, terres utiles »… nul doute que ce fut bien cette sorte de retrouvaille avec l’être de la nature passé en lui, cette sorte de liberté découverte dans la guerre que Paulhan commémora en reconduisant au Temps modernes le mystère où il se fond dans l’ombre de Jacques Maast pour lequel il abdique son nom propre.

 

Notons que cette abdication du nom propre et le choix pour le commandement de l’autre compensé par ce supplément d’être vers lequel il tâtonne, trouva sa correspondance pour ce qui le concerne dans l’expérience de l’amour ou de l’érotisme, puisque Paulhan dirigea, comme on le sait, la Revue Française aux côtés de sa compagne qu’il tint secrète et qui n’était autre que Dominique Aubry ou encore Anne Desclos, mieux connue peut-être (au moins tardivement, depuis 1994, la dame avait alors quatre-vingt-six-ans) sous le nom de Pauline Réage, l’auteure d’Histoire d’O « un chef d’œuvre de la littérature érotique », indique son éditeur (Le Livre de Poche). D’aucuns affirment qu’Histoire d’O, publié en 1954, est l’ouvrage fondateur de la littérature libertine au féminin. Peut-être, mais Histoire d’O est plus précisément encore une sorte de long récit masochiste probablement écrit par Pauline, la maîtresse secrète de Paulhan. Pauline / Paulhan, Paulhan qui se découvre donc comme l’amant de la contrainte suffisamment forte, l’amant du commandement libérateur, l’amant de l’abdication subjective qui s’est découvert dans la guerre comme un être pur fêtant ses retrouvailles avec le réel de la nature passé en lui-même (la terre, l’eau, etc.) et devenu Jacques Maast.

 

Après cette abdication subjective le faisant docile au commandement, comment mieux dire la plénitude de l’être, ou de l’être-là, qui éprouve ce style de liberté qu’il qualifie comme : une « liberté qui n’entre dans aucun devoir ». Dans aucun devoir ou dans aucun dialogue intérieur dirions-nous pour capitonner cette analyse du Guerrier appliqué sur le dialogue du fantasme qui met toujours le sujet à l’heure de l’Autre[17]. Cet Autre et sa volonté dont ordinairement celui qui est sujet à la névrose se défend par l’érection de sa prison de verre motivant pourtant son impuissance et son retard à l’acte.

 

Ainsi en fut-il du jeune prince de Danemark dont Lacan fait le paradigme de « l’homme moderne », Hamlet le prince du fantasme protégeant son propre corps de toutes ces blessures qui menaceraient d’en finir avec ce qu’il était comme moi idéal-typique ou autrement dit comme phallus de la mère. Hamlet protégé mais Hamlet impuissant. Vous savez la suite : c’est au prix d’une blessure libératrice que le jeune prince libère son bras et frappe enfin l’amant de sa mère remariée à la hâte avec le frère et l’assassin de son père Hamlet 1er. Pour que la puissance revienne au jeune prince il aura donc fallu une blessure qui en finisse avec ce phallus de la mère qu’il incarne. Dans cette tragédie shakespearienne du fils mal commandé par un père mort, les retrouvailles avec la liberté pour lui et la décence pour la cité se font attendre bien longtemps. En guerre, Paulhan reçoit la blessure au jour de Noël comme un étrange cadeau l’introduisant à l’écriture. En guerre, l’homme commandé, Paulhan devenu Maast, abdique. Il abdique et renonce à cette rançon moi idéal-typique autour de quoi l’ordinaire névrotique de la modernité secrète et organise la défense de l’appareil du fantasme, fantasme par lequel le fils sans marque ni blessure (celles de la castration) se fait le phallus increvable de la mère au prix de sa propre impuissance. En guerre, Maast est emporté par l’acte, il retrouve alors la nature. Autrement dit et — je vais vite —  parce qu’il est « arraché par quelque côté à la structure »[18] et disons-le, arraché par quelque côté… à la structure des signifiants, il vient s’installer au lieu de cette pure synchronie qu’il ne peut mieux rapporter qu’à « ce que peut être à l’eau son niveau » écrit le poète[19]. Avec cette terre immense qu’il prend enfin en lui, ces près, ces forêts, qui le conduisent à cette sorte de sentiment de ce que peut être à l’eau son propre niveau, comment mieux dire le supplément d’être résultant de l’abdication subjective qui fut le sien ?

 

Par une sorte de déboîtement historique rétroactif on retrouve avec ce guerrier appliqué de la grande guerre moderne une sorte de héros antique qui pour Lacan incarne l’homme d’avant le fantasme et se trouve aussi bien incarné, mais d’une tout autre manière bien entendu, par Antigone. Antigone dont Lévi-Strauss assurait à Lacan qui n’a fait que le répéter, qu’elle incarnait — par son obéissance absolue aux lois des dieux, son choix intraitable d’ensevelir son frère et son entrée vivante au tombeau —, la synchronie de l’acte contre la diachronie incarnée par Créon. Beaucoup de traits opposent sans doute Maast et Antigone mais je choisis ici de les rapprocher au motif de ce qui les conduit à rejoindre la nature par la voie de l’abdication de leurs subjectivités, l’une offerte au commandement guerrier (Maast), l’autre offerte aux dieux des Hadès (Antigone). Les deux rejoignant  aussi bien l’être rien d’Œdipe à Colone, qui lui s’arrache à la structure du signifiant du fait qu’il choisit d’être enseveli dans un lieu dont on ne sait rien[20]. Tous ces héros exercent leur liberté sacrificielle sans barguigner et incarnent — de manière différente —  l’homme de la passe, l’homme dépris de la prison de verre du fantasme qui enserre le sujet dans les chaînes signifiantes de son axiomatique fantasmatique. L’homme prisonnier de la modernité.

 

D’où l’idée développée dans mes Mythologiques soutenant que si Lacan suit les héros antiques à la trace, ce n’est pas par goût de l’analyse des mythes, c’est parce qu’ils incarnent l’homme d’avant le fantasme et qu’il cherchait via l’expérience psychanalytique une solution aux embarras de l’homme moderne enfermé dans sa prison de verre. Et tous, Maast, Antigone, le vieil Œdipe célèbrent à l’occasion quelque bacchanale avec la nature retrouvée, les prés, les forêts, l’eau du lac, le rocher froid ou enfin la simple terre d’un tombeau anonyme. D’où l’idée que se défaire de la chaîne signifiante et des mâchoires du fantasme c’est se défaire de ce nouage ($ ◇ a) qui dans la modernité, assure Lacan, poinçonne le sujet au joint de la nature et de la culture. Raison pour laquelle j’ai enfin proposé l’idée selon laquelle la dissolution du fantasme ou encore cette sorte de coupure qui s’opère avec l’abdication séparant le sujet de l’objet (a) rend l’homme à sa liberté d’acte mais aussi à sa plénitude d’être de nature, ici bien formulée par le guerrier appliqué.

 

Le guerrier appliqué à… la passe. On sait que depuis 1950 Lacan[21] cherchait la même chose que Lévi-Strauss, à savoir rendre compte de ce qui fait joint entre la nature et la culture ; il y répondait en 1950 par la logique de la formation originaire du surmoi (formation originaire d’avant l’Œdipe)[22], et je pose maintenant l’hypothèse qu’il y répond en 1960 (Le désir et son interprétation) par la logique du fantasme qui capitonne la chaîne signifiante au réel de l’objet (a), objet (a) qui par quelques côtés peut être considéré comme un des noms de la nature chez Lacan ou disons un des noms du réel. L’abdication subjective qui détermine l’entrée dans la passe sépare bien l’objet du sujet en état d’abdication — comme on dit d’un roi qu’il abdique — et comme il en fut du vieil Œdipe qui refusa de revenir à Thèbes pour choisir de se fondre dans l’éternelle nuit du tombeau anonyme offert par le Roi de Colone.

 

Alors, se défaire du nouage fantasmatique et de sa tyrannie volontaire, se défaire par quelque côté de la chaîne signifiante et abdiquer quant à sa subjectivité pour obtenir un supplément d’être réel — un supplément de splendeur de l’être aurait peut-être dit Joyce — je ne sais si cela atteint ces fers de la lalangue qu’évoque le dernier Lacan, mais pour ma recherche je voulais simplement ici et pour mes Mythologiques de Lacan ou pour mon étude de la bibliothèque de Lacan, je voulais ajouter à Œdipe Roi mais aussi au cavalier espagnol Alvare[23] ou encore à Antigone ou au prince de Danemark Hamlet, je voulais ajouter pour vous mes lecteurs, je voulais ajouter  Jean Paulhan devenu Jacques Maast dans la passe.

 

Au moment où répétons-le les modernes protestent de leur droit inaliénable à leur position de sujet, on voit à quel point la position et la proposition du psychanalyste peut être inactuelle et située à l’envers du mépris de l’objet, mépris perpétuellement relancé par quelques discours sur les embrouilles entre les genres, mais c’est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons plus tard.


[1] M. ZAFIROPOULOS, Lacan et les sciences sociales ou le déclin du père, Paris, Puf, 2001 ; traduction en espagnol : Lacan y las ciencias sociales, Buenos Aires, Nueva Vision, 2002 ; traduction en italien : Lacan e le scienze sociali, Rome, Alpes Italia, 2019.

[2] M. ZAFIROPOULOS, Du père mort au déclin du Père de famille : où va la psychanalyse ?, Paris, Puf, 2014.

[3] Op. cit.

[4] M. ZAFIROPOULOS, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud, Paris, Puf, 2003 ; traduction en  portugais : Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 2017 ; traduction en anglais : London, Karnac’s Books, 2010, traduction en chinois : Taipei, éd. Psygarden, 2009 ; traduction en grec : Athènes, éd. Plethron, 2007 ; traduction en espagnol : Buenos Aires, éd. Manantiales, 2007.

[5] J. LACAN, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Ecrits, Paris, Seuil, 1966. Sur les relations entre Lacan et Lévi-Strauss voir, outre mon Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud (aujourd’hui épuisé), le chapitre IV intitulé « Lacan et Lévi-Strauss ou Le retour à Freud et la rupture avec Durkheim de mon ouvrage Du père mort au déclin du père de famille : Où va la psychanalyse ?, Paris, Puf, 2014.

[6] M. ZAFIROPOULOS, Les Mythologiques de Lacan : vol 1 La prison de verre du fantasme : Œdipe Roi, Le Diable amoureux, Hamlet, Toulouse, Ères, 2017 (La prision de cristal del fantasma, Buenos Aires, ed Logos Kalos, 2018) et vol. 2 Œdipe assassiné ? Œdipe Roi, Œdipe à Colone, Antigone, Toulouse, Ères, 2019.

[7] Voir le premier chapitre de Les Mythologiques de Lacan, la prison de verre du fantasme, op. cit., intitulé « La visite du mythe d’Œdipe et la révolution du phallus », p. 33 à 63.

[8] J. LACAN, Le séminaire. Livre XXIII : Le sinthome (1975-1976), Paris, Le Seuil, 2005, p. 1t9.

[9] J. PAULHAN, Le guerrier appliqué (1914), Paris, Gallimard coll. L’imaginaire, 1982.

[10] M. ZAFIROPOULOS, « Les mythologiques de Lacan, Hamlet en analyse (inhibition, fantasme et sublimation) », Figures de la psychanalyse, n° 37, Toulouse, Ères, 2019/1.

[11] C. SOLER, Lacan lecteur de Joyce, Paris, Puf, 2015, p. 162.

[13]J. LACAN, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole », Autres Ecrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243 et suivantes.

[14] « Réponse aux avis manifestés sur la proposition » (version transcription du Dr Solange Faladé), p. 5, in : http://www.gnipl.fr/Recherche_Lacan/2015/08/04/autres-textes-1967-12-06-reponse-aux-avis-manifestes-sur-la-proposition/

[15] J. LACAN, « Discours à l’Ecole freudienne de Paris », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 273.

[16] J. PAULHAN, op. cit., p. 25.

[17] Voir M. ZAFIROPOULOS, Les Mythologiques de Lacan, vol. 1 La prison de verre du fantasme, op. cit.

[18] J. LACAN, Le Séminaire. Livre VII : L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), Paris, Seuil, 1986, p. 316.

[19] Le Guerrier appliqué, op. cit., p. 34.

[20] Voir le second volume des Mythologiques de Lacan intitulé Œdipe assassiné ? (op. cit.) et qui répond notamment à l’idée folle de la disparition de l’œdipe dans la culture occidentale. J’y développe au contraire avec ma lecture d’Œdipe Roi, Œdipe à Colone et Antigone une étude propre à, pour une part, renouveler l’intelligibilité de ces textes, mais aussi à restituer avec notre troisième Lacan quelques lumières sur l’inconscient des modernes ; et encore ce que j’ai appelé La question féminine depuis 2010 (La question féminine de Freud à Lacan, Paris, Puf, 2010).

[21] J. LACAN, « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie » Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 127, 137, 144.

[22] Voir M. ZAFIROPOULOS, Lacan et les sciences sociales, « Le surmoi comme joint de la nature à la culture », op. cit., p. 118-120.

[23] J. CAZOTTE, Le diable amoureux (1772), Folio Gallimard, Paris, 1981.


  • -

Compte rendu : Markos Zafiropoulos, Les mythologiques de Lacan – Dina GERMANOS BESSON, Marie-Jean SAURET

BIBLIOTHÈQUE

Cet ouvrage s’inscrit dans la suite du travail exploratoire des rapports de Lacan avec Lévi-Strauss et n’est que le premier volume des « mythologies de Lacan » que Markos Zafiropoulos se propose d’exposer. Markos Zafiropoulos confronte son lecteur à une lecture patiente de laquelle il s’efforce d’extraire la logique à l’œuvre sans jamais mobiliser le « Lacan d’après », celui-là même qui est le fruit de la période étudiée.


 


Selon l’auteur, Lacan recourt à une lecture structuraliste des mythes qui le conduit à « démythologiser la théorie [freudienne] psychanalytique du père », le libérant de son emprise totémique. Dès lors, il ne reste du père que sa fonction, c’est-à-dire celui d’être un signifiant qui se substitue au signifiant maternel, celui qui permet à l’enfant d’échapper à la jouissance maternelle, sa menace de dévoration, l’humanisant. Cette lecture s’échafaude, dans cet ouvrage, à travers les « caractères littéraires », auxquels Lacan a eu recours, allant d’Œdipe à Hamlet (et son envers Antigone), en passant par Le Diable amoureux de Cazotte. La lecture des mythes le lie à Lévi-Strauss qui cherche, à sa façon, à travers ceux-ci, à analyser le passage de la nature à la culture, ou « la faille » entre les deux, lieu incarné par la figure d’Antigone, selon Lacan. Elle lui permet d’éclairer ce qu’il en est de la théorie du fantasme et, surtout, de sa traversée, lieu de la faille mis au jour par l’expérience de la passe.

 

Cet ouvrage soulève et inspire plusieurs interrogations. Aux questions : que veut la femme et que veut la mère ?, l’on peut ajouter : que veut la sœur ? Pour l’auteur, « être une sœur » est la réponse d’Antigone à la question de que veut la femme – une réponse particulière, car elle ne répond pas par « un idéal de mère ». L’auteur en fait donc bien une réponse et pas une question. En faire une question nous renvoie à l’anecdote de la bohémienne : à la question « qui pleuriez-vous davantage : la perte de l’époux, du fils ou du frère ? », celle-ci répond : le frère, car l’époux peut être remplacé et le nouveau fils engendré. Autrement dit, l’impossible deuil du frère enchaîne à jamais le sujet à sa lignée. N’est-cepas ce qui se passe chez Antigone… mais à ceci près ? En élisant le frère, ne s’aliène-t-elle pas à son tour à la lignée maudite des Labdacides, celle qui consiste en « la répétition déplacée des mêmes signifiants » (Michaux, 2008), puisque le destin tragique de cette famille se poursuit avec les enfants d’Œdipe ?

 

Seulement, en ne cédant pas sur son désir d’être l’héritière d’un destin qui commence avec une faute, celle du père – et contrairement à sa sœur Ismène qui a décidé de renoncer à ses origines et d’obéir à la loi de Créon – Antigone, en ensevelissant son frère pour l’inscrire dans la liste des fils d’Œdipe, assume son désir. A son tour, elle sacrifie tous les biens matériels, pour s’éterniser comme Antigone, fille d’Œdipe. Elle ne cède pas sur son désir d’accomplir son destin, celui de tendre à l’autre Loi, un désir sans objet, en figurant la Chose, le manque même. Antigone se conçoit ainsi comme l’incarnation de la Chose, la réalisation absolue du désir, puisqu’en acceptant la mort et en s’affranchissant du monde de la représentation, elle arrête le glissement infini des signifiants et des objets, le parcours métonymique du désir, mettant fin, par conséquent, à la malédiction des Labdacides (celle-ci s’achève avec Antigone. Marquée par le désir originaire, elle finit par le dépasser).

 

D’une Antigone éminemment tragique qui se présente comme « αὐτόνομος », « autonomos », se régissant par ses propres lois, l’auteur convoque trois autres caractères approfondissant tour à tour la théorie du fantasme.

 

D’abord, recourir au Diable amoureux de Cazotte permet de répondre à la question : que veux-tu ? Seulement, la signification phallique comme réponse ne couvre pas totalement l’énigme. Il y aura toujours une part d’énigme, un reste, jamais levée, sinon on risquerait d’être dans un monde absolument symbolique. N’est-ce pas la leçon de Cazotte, illustrée à travers son conte philosophique, précurseur du genre fantastique ? Hostile à la prétention des Lumières de tout savoir expliquer (Markos Zafiropoulos nous pardonnera d’ajouter cette remarque), Cazotte leur oppose une leçon inversée : le héros se perd car il se fie à la Raison (l’Autre de la raison), puisqu’on ne peut, en effet, faire passer entièrement la jouissance à la castration. Ainsi, l’aventure démoniaque d’Alvare n’est que le résultat de sa curiosité intellectuelle, de son hubris. A trop vouloir savoir, à trop vouloir dévoiler la vérité, on s’enlise dans un fantasme aliénant, seul barrage contre le caprice maternel (incarné par la gueule ouverte du chameau) et sa loi incontrôlée. A trop vouloir savoir, on se confronte au monstrueux.

 

Ensuite, si Œdipe, l’Ancien, figure de la liberté d’acte du héros tragique, mais désormais révolue, est « sans fantasme », Hamlet, forme faussée du mythe œdipien, se conçoit, lui, comme le paralysé de l’acte. Confronté à la figure du père en défaut, « pas totalement mort » et donc « pas totalement symbolique », Hamlet est hanté par ce père sous la forme d’un spectre impuissant au désir contradictoire. Transmetteur d’une filiation non libérateur de la dette, cette figure empêche Hamlet de s’engager dans le « deuil du phallus ». Hamlet et son fantasme incarnerait-il la figure de l’homme moderne qui relaie cet Oedipe sans fantasme?

 

Qu’en est-il des mères ? Que veut la mère, nous dit l’auteur – prenant la contrepartie de « que veut la femme » ? Gertrude, mère de Hamlet (à la différence de Jocaste, mère d’Œdipe), dont « la volonté de jouissance » domine la tragédie, empêche son fils de distinguer son désir de la jouissance maternelle. C’est cette confusion qui enferme Hamlet dans « sa prison de verre ». Ainsi, pour ne pas être joui par la mère, il érige comme défense le fantasme, brouillant cependant les pistes de son désir. C’est en ce sens que la mère précède le père quant à la menace de la castration. Ce fantasme qui entraîne l’ajournement de l’acte et l’éloignement du sujet de son désir (paradigme incarné par Hamlet) est ce qui caractérise l’homme moderne.

 

L’intérêt de cette thèse consiste à voir comment, via la lecture des mythes anciens et modernes, la psychanalyse, une fois affranchie de « sa prison de verre », pourrait retrouver la liberté d’acte du héros tragique, à l’instar d’Antigone qui incarne « le style de sortie de la culture », sentier qui trace le trajet vers le réel, cet « autre nom de la nature ».

 

En définitive, le fantasme se conçoit comme une défense contre la jouissance maternelle. Il concerne, selon l’auteur, le sujet moderne. Contrairement à Œdipe et son père qui sont « séparés du savoir de la mort du père et de ses attendus », Hamlet et le roi du Danemark savent la vérité. Si l’on suit l’auteur et le sens implicite de la nouvelle de Cazotte, c’est-à-dire son aversion pour les Lumières : le sujet moderne serait davantage exposé à la jouissance (maternelle) – illustrée par un trop vouloir savoir, un monde sans interdit et sans refoulement donc –, déchirant l’illusion (nécessaire) du sujet, celle qui consiste à protéger le Père du déclin.

 

Vivement la suite annoncée !

 

 

 

 


  • -

Alain et Catherine Vanier : « Maud Mannoni »


Les VIDÉOS de Sygne


 


« Clinique de la culture et sujet de la modernité »

Organisé et présenté par Markos Zafiropoulos et le CIAP

Séminaire 2015-2016

Le 14 Avril 2016 – Alain et Catherine Vanier : « Maud Mannoni »



  • -

La journée

L’AGENDA du CIAP


Journée CIAP
Les sources littéraires
de l’œuvre de LACAN

19 Janvier 2019

Espace Analytique

12 rue de Bourgogne 75007 Paris


PROGRAMME

 

9h30 – 12h30

 

Markos ZAFIROPOULOS : Jean Paulhan ouLe guerrier appliqué… à la passe

Colette SOLER : Lacan et Joyce

Alain VANIER : Edgar Allan Poe et Lacan

 

13h30 – 17h30

 

Gerard POMMIER : Joyce la résurrection des Finnegans

Marie-Jean SAURET : Sygne de Coûfontaine et l’éthique de la psychanalyse

Marie PESENTI : Les figures littéraires du féminin chez Lacan

Lionel LE CORRE : Lacan et Gide

 

 

PARTICIPATION

 

– Cotisants du CIAP et d’Espace analytique :s’inscrire en adressant un mail

 à rensarfa@gmail.com;

– Autres participants : s’inscrire en adressant un chèque de 40 € (étudiants 15 €), libelle à l’ordre du CIAP – à René Sarfati, 26 Bd de Bonne-Nouvelle 75010 Paris

 

 

Affiche

Dépliant

site CIAP

http://ciap-groupe.net/


 

 

 

 


  • -

Le séminaire

L’AGENDA du CIAP


– LE SÉMINAIRE

Clinique de la culture et sujet de la modernité

Séminaire M. Zafiropoulos 2018-2019

 


Pour être de son siècle la psychanalyse doit sans cesse actualiser ce que Freud appelait la clinique du cas et celle des masses. Dans cette perspective de recherche et d’enseignement, Markos Zafiropoulos et le Cercle International d’AnthropologiePsychanalytique poursuivront leur séminaire en 2018 – 2019 selon le programme suivant :

________________________________________
Jeudi 8 Novembre – Paul Jorion : L’intelligence artificielle ou la greffe de tête : corps donneur ou tête donneuse ?
________________________________________
Jeudi 13 Décembre – Paul Robe, Markos Zafiropoulos : A propos des références de la lecture logicienne de La question féminine (M. Zafiropoulos PUF, Paris, 2010) par G. Lombardi (Turing, Gödel, etc.)
________________________________________
Jeudi 14 février – Lionel Le Corre : Todd Shepard – Mâle décolonisation
________________________________________
Jeudi 14 mars – Gorana Manenti : Le sujet psychotique dans l’analyse : combattre les préjugés d’hier et d’aujourd’hui
________________________________________
Jeudi 11 avril – Maria Otero-Rossi, Ursula Renard : Histoire de la psychanalyse des enfants
________________________________________
Jeudi 9 mai – Frédérique Rabanes : Face au risque de mort, jeux de transfert dans un service de greffe
________________________________________
Jeudi 13 juin – Alain Abelhauser : Mal de femmes
________________________________________

Lieu : Espace Analytique, 12 rue de Bourgogne 75007 – à 21h00
(S’inscrire en écrivant à M. Zafiropoulos mzafir@free.fr)

Affiche

Dépliant

site CIAP

http://ciap-groupe.net/


  • -

Note de lecture : Lionel Le Corre, L’Homosexualité de Freud, Paris Puf, 2017 – Markos ZAFIROPOULOS

BIBLIOTHÈQUE

Après de longues années de travail dans le cadre de ma direction de recherche on peut maintenant lire la thèse de Lionel Le Corre publiée aux Puf sous l’intitulé « L’homosexualité de Freud ». J’entends que le titre de l’ouvrage apparaît quelquefois comme provocateur. Oui mais c’est d’abord d’une provocation à penser qu’il s’agit. Et la lecture de ce bel ouvrage découvrira pour son lecteur une cartographie véritablement très bien faite du point de vue de Freud sur ce que j’appellerai la Question homosexuelle. Point de vue de Freud surplombé par ce que le découvreur appelait son « androphilie », démentant du même coup l’idée fort commune mais scientifiquement sans fondements selon laquelle le champ psychanalytique serait entièrement tourné contre le choix homosexuel.  Le texte de Lionel Le Corre démontre qu’au moins pour Freud lui–même il n’en fut rien et que même si l’on peut rester réservé sur quelques aspects de la pertinence scientifique du corpus freudien sur ce thème, ce qui me frappe, c’est plutôt la sorte de préjugé favorable dont témoigne Freud pour l’homosexualité au masculin et plus généralement pour le masculin tout court. Préjugé favorable qui contraste notamment avec ce que Lacan appelait la misogynie de Freud dont j’ai indiqué la place dans ma Question féminine publié chez le même éditeur en 2010 et dont je rappelle le sous-titre : La femme contre la mère, car le choix de Freud pour l’idéalisation de la mère n’est peut-être pas sans rapport avec sa théorie de l’homosexualité du fils qui lui aussi, du point de vue de Freud, ferait un choix pour la mère. Quoi qu’il en soit des recherches qui restent à développer sur cette question, il faut donc bien apercevoir que la publication du livre de Lionel Le Corre est un événement majeur livrant des résultats scientifiques maintenant incontournables pour les psychanalystes et plus largement pour tous ceux qui s’interrogent sur la situation de la question homosexuelle dans la découverte de Freud.


  • -

Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud – Markos ZAFIROPOULOS

BIBLIOTHÈQUE

 


« Quinze ans ont passé depuis que j’ai quitté pour la dernière fois le Brésil et, pendant toutes ces années, j’ai souvent projeté d’entreprendre ce livre… » écrivait Lévi-Strauss dans les premières lignes de Tristes tropiques (Terre humaine, Paris, 1955). Que de chemins parcourus ensuite par celui  qui devint le maître de l’ethnologie française, celui pour qui Lacan a entretenu une véritable passion transférentielle au point que par bien des aspects l’œuvre du psychanalyste – refondant la psychanalyse au plan mondial avec son retour à Freud -, peut être lue (au moins de mon point de vue) comme une longue conversation  avec l’ethnologue  comme je crois l’avoir montré dès 2003 avec mon Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud publié à Paris (Puf). Bref, si le retour de Lacan à Freud s’est fait par les chemins de Lévi-Strauss je suis très heureux d’annoncer que quinze ans après encore la version brésilienne de  cet ouvrage est maintenant distribuée au Brésil sous le titre Lacan E Levi-Strauss ou o retorno a Freud ( 1951-1957) ed. Civilizaçao Brasileira, coll Sujeito & Historia (dir Pr J. Birman) . c’est donc maintenant du retour de Lévi-Strauss au Brésil mais par les chemins de Lacan qu’il s’agit. Après sa publication à Taïwan, Buenos-Aires, Athènes et Londres il revient maintenant à mon ami Joël Birman de publier  cet ouvrage dans sa très belle collection à Rio de Janeiro. Qu’il en soit ici remercié. Je souhaite simplement maintenant un bon voyage à cette nouvelle version de mon ouvrage « sous ses nouveaux habits » selon l’expression bien tournée que l’ethnologue employa  avec moi lorsque mon manuscrit  qu’il lu devint un nouvel ouvrage publié à Paris, et espère sincèrement qu’il sera bien accueilli par nos amis brésiliens pour qui il est dorénavant disponible dans leur fort jolie langue.

 


  • -

Lacan e Lévi-Strauss, ou o retorno a Freud – Markos ZAFIROPOULOS

BIBLIOTHÈQUE



 

« Quinze anos se passaram desde que deixei o Brasil pela última vez e, durante todos esses anos, planejei várias vezes escrever este livro… » Foi o que disse Lévi-Strauss nas primeiras linhas de seu « Tristes trópicos » (Terre humaine, Paris, 1955). Quantos caminhos percorridos por esse que se tornou o mestre da etnologia francesa, por quem Lacan alimentou uma verdadeira paixão transferencial ? Trata-se de uma relação essencial para quem refundou a psicanálise mundial com seu retorno a Freud, que acredito demonstrar, é fruto de um longo diálogo com o etnólogo. Se o retorno de Lacan a Freud se fez pelos caminhos de Lévi-Strauss, é uma satisfação anunciar que quinze anos depois, a tradução de meu trabalho será distribuída no Brasil sob o título de Lacan e Lévi-Strauss, ou o retorno a Freud (1951-1957), pela editora Civilização Brasileira. Lévi-Strauss volta ao Brasil, dessa vez pelos caminhos de Lacan. Depois de ser publicado em Taiwan, Buenos Aires, Atenas e Londres, foi meu amigo Joel Birman, que agradeço aqui, quem publicou essa obra no Rio de Janeiro, pela excelente coleção « Sujeito e História », dirigida por ele. Boa viagem, agora é tudo que desejo para essa nova versão « em suas novas vestimentas », como me disse Lévi-Strauss quando meu texto, que ele leu, foi publicado em Paris. Espero sinceramente que minha obra seja bem recebida entre meus amigos brasileiros, para quem ela está agora disponível nesta bela língua[1].

 

 

[1]Traduction : R. SARIEDINNE.


  • -

A proposito de « La cuestion feminina de Freud a Lacan. La mujer contra la madre » de Markos Zafiropoulos – Amelia Haydée IMBRIANO

BIBLIOTHÈQUE


« Porque es necesario aprender ambas cosas a la vez, lo verdadero y lo falso de la entidad entera, a costa de mucho trabajo y mucho tiempo […] cuando después de muchos esfuerzos se han cotejado unos con otros cada uno de ellos: nombres, definiciones, […] cuando se han sometido a discusiones benévolas […] entonces de repente el discernimiento (phrónesis) y el intelecto (noûs), echan luz sobre cada objeto con toda la intensidad que les es posible a la capacidad humana ».

Platón, Carta VII a, 344b

 

« Lo que el psicoanálisis nos enseña, cómo enseñarlo ?…

¿ Qué es ese algo que el análisis nos enseña que le es propio, o lo más propio, propio verdaderamente, verdaderamente lo más, lo más verdaderamente ? »

Jacques Lacan, El psicoanálisis y su enseñanza, Escritos

 


Delinear unas palabras preliminares a esta obra implica presentar a su autor en algunos rasgos que en nuestra consideración lo representan : estudioso, investigador con coraje, hombre de deseo decidido.

Este libro no surge al azar, sino que resulta producto de una serie de estudios de la obra de Freud y Lacan, atravesados desde múltiples perspectivas de las ciencias sociales, principalmente, la Antropología.  Su diseño es parte de una detallada lectura, en donde predominan finas auscultaciones, que se valoran en el tejido de sus hilaciones. Obviamente, algo de valor. Pero su valía superlativa, reside en ser producto de una aguda lectura crítica, pues allí se encuentra el deseo que habilita a Markos Zafiropoulos al coraje de volver a la pregunta por el enigma de lo femenino.

 

Decir que nuestro investigador avanza a sabiendas de que Freud no pudo responder el interrogante sobre lo femenino luego de treinta años de trabajo, es poco. Él es transeúnte de álgidos cuestionamientos a las teorizaciones freudianas, demostrando sus impases y poniéndolos en trabajo, para promediar con una hipótesis que fundamentará : « la mujer contra la madre ».

 

La teoría psicoanalítica debe su valor a los conceptos fundamentales que Sigmund Freud forjó en el progreso de su experiencia investigativa. Teniendo presente la definición de 1922, se trata de « un procedimiento de indagación de procesos anímicos difícilmente accesibles por otras vías, de un método de tratamiento de perturbaciones neuróticas, fundado en esa indagación, y de una serie de intelecciones psicológicas, ganadas por ese camino, que poco a poco se han ido coligando en una nueva disciplina científica ». En los tres señalamientos, siempre se trata del pathos, del sufrimiento humano, ¿cómo no sostener la exigencia de fundamentación de esta praxis ?

 

 Este producción tiene una gran riqueza en su esfuerzo por responder con el compromiso freudiano respecto del padecimiento humano y por el avance disciplinar riguroso. Por ello también una distinción merecida es  calificarlo como una  producción responsable. Que en él se debatan y contra-argumenten los conceptos freudianos es importante, pero secundario, lo principal es que sigue los principios de su pesquisa, reflexionando cada concepto que cuestiona a la luz de la clínica.

 

Nuestro escritor, excelente conocedor del texto freudiano, está implicado en el espíritu del mismo, lo que nos entusiasma para invitar al lector. Su texto se asienta en un estilo que muestra las marcas del investigador : sigue la pista, persigue un rasgo como si fuera la impresión de una huella, trata de descubrir entre vestigios perlas preciosas encontradas por el incansable buceo de alguien que no retrocede frente a su pregunta y al compromiso que implica el sostenerse, para que ella trabaje.

 

Es alguien sui generis, llamado por el deseo de descubrimiento que sabe soportar en sí mismo lo inquisitivo. Es un eximio exégeta que no necesita oscurecer aguas para que parezcan profundas, sino lo contrario, puede plantear lo más profundo e íntimo de lo femenino con sabia simplicidad.

 

En la lectura de « La cuestión femenina de Freud a Lacan o la mujer contra la madre », una serie de conceptos freudianos aparentemente simples y aceptados, en el quehacer propiamente interrogativo que se sostiene con perseverancia, se convierten  en indicios que reclaman un desciframiento.

 

Nuestro artífice saca a la luz las contribuciones sobre el tema del fundador del psicoanálisis, conjuntamente con sus obstáculos, demostrándolos, algunas veces, como incoherencias, asumiendo la responsabilidad de que ellas no sean también las nuestras. Allí encontramos su ímpetu. Ya el título dice algo que puede escandalizar a toda ortodoxia. La comprensión de esta propuesta vale la inversión realizada en la lectura del libro.

 

En el recorrido del libro, se descubrirá la desestigmatización de la mujer como inepta para la sublimación y lejana de la cultura.

 

Markos Zafiropoulos, impulsado por sus preocupaciones teóricas, clínicas, socioculturales y éticas, con metódica aplicada al detalle, logra una serie de intelecciones referidas a los modos de lo femenino, velando encontrar una coherencia rigurosa entre cada uno de los conceptos de los cuales se sirve. Esta tarea lo lleva a interrogar infatigablemente por los fundamentos, posibilitándole construir y demostrar una teorización, que se trata de una construcción  metapsicológica.

 

Entrar en los folios y fuelles de esta escritura implicará un estudio prolijo, detallado, y a su vez, guiado, de la re-construcción de conceptos fundantes del psicoanálisis. Luego se podrá estar a la altura para acompañar al analista en su renovada pregunta sobre la ética del psicoanálisis.

 

Markos Zafiropoulos considera como un punto de exigencia investigativa y de la práctica psicoanalítica, que ellas retornen constantemente al estudio de las fuentes mitológicas de la cultura occidental. Un antecedente a destacar es su publicación « Las Mitologías de Lacan ».

 

Realizando un estudio mitológico sobre los orígenes de la familia puede fundamentar que la concepción freudiana no es correcta, que se trata de su misoginia.

 

Denominará « el axioma de la desigualdad de aptitud para la sublimación entre géneros » a aquella desarmonía que Freud pensaba como consecuencia de la diferencia sexual anatómica y por supuesto, interrogará, y buscando fundamentos, encontrará inconsistencias, cuestionará. Dirá con Lacan « no hay relación sexual », añadiendo « entre los géneros ».

 

El trabajo ha sido arduo, su recorrido es amplio y su vocación de transmisión lo llevan a la generosidad de no retener detalles de su labor. Su aliento no retrocede en iluminar las temáticas propuestas.

 

Nuestro comprometido psicoanalista culminará aludiendo a la nocividad clínica y política de querer imputar a la mujer el ideal de la madre. Principalmente a la cascada de implicancias éticas respecto de la clínica de lo femenino y de lo social.

 

En psicoanálisis, la actividad investigativa es su raigambre, su origen, su desarrollo y su porvenir. Nuestro homenaje a Markos Zafiropoulos por hacerse cargo de este legado.