STRUCTURE INCONSCIENTE ET MEUTRE DU PERE : DEFI ET APPROFONDISSEMENT DE LA CONTRIBUTION DE FREUD PAR LÉVI-STRAUSS

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STRUCTURE INCONSCIENTE ET MEUTRE DU PERE : DEFI ET APPROFONDISSEMENT DE LA CONTRIBUTION DE FREUD PAR LÉVI-STRAUSS

Jan Horst Keppler

 

  1. Introduction : le structuralisme de Freud, les réserves de Lévi-Strauss, l’apport de Lacan

La relation de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) à Sigmund Freud (1856-1939) a façonné un moment charnière de l’histoire des sciences humaines. Pas tout à fait contemporains, ces deux petits-fils de rabbins ont successivement établi la notion de structure inconsciente comme pivot des sciences humaines, sociales et cliniques au XXe siècle. Une partie importante de l’influence de Jacques Lacan résulte de sa capacité à articuler leurs apports dans son « retour à Freud ». Ce dernier constituait en effet une relecture de l’œuvre freudienne à travers le prisme du structuralisme explicite de Lévi-Strauss, ce qui permettait de relever aussi la nature profondément structuraliste de l’œuvre de Freud (voir Zafiropoulos (2003) pour des détails).

Sans la notion de structure, la notion d’inconscient risque de devenir une sorte de complément caché du discours conscient, dont les contenus devaient alors être déchiffrés par un savant initié, lequel les traduisait dans un métadiscours prétendument achevé. Or, il suffit de relire « Au-delà du principe de plaisir », où l’appareil psychique fonctionne selon des logiques d’excitation, d’endiguement et de décharge d’une énergie libidinale associée aléatoirement à des signifiants ou encore Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, où l’effet libératoire du Witz résulte de l’articulation soudaine de deux structures parallèles contournant ainsi l’interdit, pour se rendre compte que Freud est loin de toute vision psychologisante de l’inconscient.

Il n’en demeure pas moins que Freud écrivait encore dans un langage pré-saussurien. On oublie parfois que L’interprétation des rêves (1900) précède de plus d’une décennie le Cours de linguistique générale (1916), qui introduisait pour la première fois la distinction fondatrice entre les signifiants et les signifiés. Pourtant, cette distinction s’avère cruciale si l’on veut faire du signifiant le porteur d’une charge pulsionnelle qui excède le signifié, dont la dimension imaginaire limite son utilisation tant en théorie qu’en clinique. De fait, L’interprétation des rêves constate déjà l’autonomie du signifiant par rapport à toute fixation sémantique : le signifiant y suit la voie la plus efficace pour écouler une tension libidinale. Alors l’inconscient ne se manifeste pas dans quelques images oniriques, mais dans les lois d’articulation des signifiants, établissant métaphores et métonymies pour tisser les méandres du labyrinthe du langage. D’où l’importance de l’opération lacanienne : révéler Freud comme le structuraliste qu’il avait toujours été.

Depuis Totem et tabou (1913), dans la tradition freudo-lacanienne, la notion de structure inconsciente est indissociable de celle du père mort ou du père symbolique, dont le signifiant maître, le S1, confère cohérence et pertinence à l’univers symbolique. C’est ici que surgit une tension entre Freud et Lévi-Strauss. Si Freud ne connut pas Les structures élémentaires de la parenté, publiées en 1947, Lévi-Strauss était bien conscient de l’œuvre de son aîné à laquelle il revient de manière parcimonieuse mais régulière. Toutefois, il avance selon sa propre logique, parfois en parallèle, reconnaissant par exemple la centralité du mythe d’Œdipe comme archétype universel du mythe, tout en gardant ses distances.

Le point de rupture réside dans le rôle central attribué au meurtre du père dans la genèse de la structure inconsciente dans Totem et tabou. Lévi-Strauss exprime une nette réticence à l’égard de cette « fable du meurtre du père », soulignant volontiers son caractère romanesque. Aussi, au moins dans un premier temps, il se trouvait en désaccord avec Freud. Alors que pour Freud le meurtre du père de la horde originaire était la condition nécessaire pour instaurer l’interdit de l’inceste et le refoulement, Lévi-Strauss prônait dans Les structures élémentaires une explication alternative : une propension naturelle à l’échange, notamment l’échange des femmes entre tribus, institue de facto le renoncement aux femmes de la même famille et l’interdit de l’inceste, ligne de démarcation entre nature et culture. Nul besoin, dès lors, d’une culpabilité intériorisée suite à un meurtre originaire supposément commis en commun pour fonder le lien social.

Tenant compte de cette constellation entre les deux auteurs, cet article entend répondre à deux questions étroitement liées. D’une part, à la suite du structuralisme primaire des Structures élémentaires qui flirte parfois avec la détermination génétique, quel chemin Lévi-Strauss emprunte-t-il pour identifier des opérateurs plus souples et moins mécaniques pour instaurer des structures inconscientes intégrant l’interdit de l’inceste ? D’autre part, même si Lévi-Strauss, au fil de son œuvre, nuance quelque peu son opposition à Freud, il ne reconnaît jamais explicitement au meurtre du père un rôle de primum movens. Peut-on dès lors concevoir une genèse de la structure inconsciente sans ce meurtre ? Autrement dit : la position lévi-straussienne est-elle logiquement soutenable ?

L’article se déploiera en quatre temps. Suivant cette introduction, une deuxième partie présentera la conception freudienne de la genèse de l’inconscient comme moment de cristallisation autour du mythe du meurtre du père. La troisième analysera l’évolution de la pensée de Lévi-Strauss dans un dialogue à distance avec Freud. Enfin, la dernière partie montrera que, si la position de Lévi-Strauss ne rejoint jamais totalement celle de Freud, elle demeure logiquement défendable dans une perspective où un monde sensé précède l’avènement de la parole humaine. Point n’est besoin, alors, d’un meurtre inaugural si l’esprit du père anime le monde depuis l’origine des temps.

 

  1. Freud : meurtre du père et naissance de l’inconscient

Dans Totem et tabou, Freud soutient qu’une structure inconsciente se met en place au moment où les membres mâles d’une horde préhistorique s’accordent sur le fait que leur ancien chef, assassiné en commun, était le père de chacun d’eux. Ce moment constitue, certes, la reconnaissance d’un meurtre, le premier de l’histoire de l’humanité, et également d’une culpabilité. Mais ce même moment constitue, dans un seul et unique acte, la première reconnaissance d’un autre mâle, fût-il mort, comme père. Le moment du constat du meurtre du père est également le moment de la découverte du père.

La structure inconsciente des nouveaux fils sera désormais présidée par la figure du mort qui polarisera dorénavant leur univers symbolique. Au quotidien, la figure de l’ancien chef mort trouvera représentation dans un animal, devenu le totem de la tribu. Au nom du totem seront ensuite formulés les interdits de l’inceste, du meurtre et du cannibalisme qui demandent un effort de refoulement permanent à cause de la charge libidinale de l’envie d’accomplir précisément ces actes. Refoulement, inconscient, représentation et symbolisation sont différents aspects de la cristallisation de l’espace psychique survenant lorsque les hommes de la horde conviennent de s’abstenir de la satisfaction immédiate de leurs désirs, au nom du mort. Les raisons sont multiples et peuvent inclure la peur de subir le même destin que l’ancien chef, le plaisir de l’homosociabilité de se fondre dans le groupe des mâles ou le calcul intuitif des avantages d’un déferrement de la satisfaction. Quelles qu’en soient les motivations individuelles, au plan collectif le choix d’une référence symbolique commune marque la distinction entre une tribu et une horde.

Les interdits de l’inceste et du meurtre jouent un rôle particulier dans la structuration du psychisme individuel et de l’organisation sociale. L’interdit de l’inceste signifie ici : « on ne touche pas aux femmes du père », ce qui implique que les hommes doivent chercher leurs partenaires hors de leur tribu, posant ainsi les bases de l’échange et de l’alliance. L’interdit du meurtre est d’abord celui du meurtre du père, dépositaire de l’autorité symbolique. Il s’exprime dans l’horreur viscérale devant le parricide et le régicide, qui menacent le socle même du symbolique.

La figure du père mort et du totem devient le pôle attracteur et l’apex du système symbolique qui se met progressivement en place. Elle devient aussi la cible des flux libidinaux qui parcourent le réseau des signifiants. Le signifiant du père absent accomplit la fonction essentielle d’introduire de la flexibilité entre les unités discontinues du langage et la continuité du monde extérieur, telle qu’elle est transmise par l’expérience sensible. Tous les systèmes symboliques possèdent un tel signifiant d’exception ; sans lui, la langue basculerait dans la rigidité d’un code. Si Freud, en analogie avec les résultats de la recherche ethnologique de son époque, avait choisi le terme totem, la même fonction est présentée par différents auteurs sous d’autres dénominations. Mauss évoque le hau ou l’orenda, Lacan le nom du père ou le S1, tandis qu’Adam Smith, dans la perspective anthropologique qui fonde sa pensée économique, parle du spectateur impartial.

Smith attirait également l’attention sur un autre aspect : pour être efficace, le nom du père doit rester imprononçable. Dès qu’il devient un signifiant codifié comme un autre, il perdrait sa fonction d’amortisseur. Même le parer avec des accoutrements artificiels de l’exceptionnalité n’y changerait rien ; un nom prononçable serait toujours appropriable par un homme réel qui assumerait alors le statut d’un « grand frère » avec toutes les conséquences que cela implique pour la vérité, la structuration psychique, et le lien social. L’atrophie d’un S1 vivant et sa substitution par des mots forts mais creux accompagnent ainsi toujours la montée des fascismes.

 

Totémisme, le mythe d’Œdipe et le père symbolique

Freud associe la notion du totem à celle du père. Il avance notamment que l’identification du « sauvage » au totem couplée à une ambivalence profonde envers celui-ci correspondent précisément aux sentiments que le sujet névrosé entretient vis-à-vis de son père. De là il passe, comme si c’était une évidence, au mythe d’Œdipe Roi :

Si l’animal totémique est le père, alors les deux principaux commandements du totémisme, les deux tabous, qui constituent son noyau, – ne pas tuer le totem et ne jouir d’aucune femme appartenant au totem –, coïncident avec les deux crimes de l’Œdipe, qui tua son père et prit sa mère pour femme, ainsi qu’avec les deux premiers désirs de l’enfant, dont le refoulement incomplet ou la ranimation forment peut-être le noyau de toutes les psychonévroses. (Freud (1913), p. 417).

De ce constat, Freud tire trois conclusions :

  • Les interdictions principales du totémisme correspondent aux crimes d’Œdipe.
  • Les crimes d’Œdipe mettent en acte les désirs les plus importants de l’enfant.
  • Le refoulement de ces désirs constitue le noyau des névroses.

Les deux dernières conclusions constituent les piliers centraux de l’édifice psychanalytique freudien. Notons toutefois qu’elles résultent exclusivement de l’identification de la figure du père au totem. Encore faut-il clarifier de quel père il s’agit. Entre le père biologique dont on ne saura jamais autre chose que ce que veut bien attester la mère, le père réel présent dans l’enfance, et le père symbolique qui établit un nom et une lignée, seul ce dernier est concerné par le totem. En effet, le totem est le père symbolique.

Freud lui-même n’utilise pas le terme « père symbolique », mais il prépare cette désignation en rapprochant le totémisme de la religion et en particulier de la religion chrétienne. Le culte chrétien apparaît ainsi à la fois comme répétition et comme expiation du meurtre du père. Côté répétition, le meurtre du père est évoqué dans le sacrifice de Jésus Christ, puis dans celui de l’agneau de Dieu. Côté expiation, le père symbolique est le destinataire du sacrifice, acte de soumission et demande de pardon. La cérémonie religieuse perpétue et renforce ainsi la dissociation entre le père réel et le père symbolique.

Freud insiste sur cette ambivalence : les émotions agressives se dirigent vers l’animal sacrifié, l’amour filial se dirige vers la divinité spirituelle (ibid., p. 432-433). Le Christ, en s’offrant comme victime sacrifiée, permet à ses frères de se libérer de leur dette envers le père symbolique et de vivre dans une paix relative avec leurs pères réels et les avatars politiques et sociaux du père symbolique dans le monde d’ici-bas. Freud résume : « Lui [le Christ] y allait et sacrifiait sa propre vie, et ainsi délivrait la bande des frères du péché originel » (ibid., p. 436). Le péché originel consiste bien en le meurtre du père et la convoitise de ses femmes.

Pour Freud, la religion chrétienne reste cependant une sorte de jeu à somme nulle dans lequel le fils se substitue au père sur le plan spirituel :

Avec le même acte, qui offre au père l’expiation maximale, le fils atteint aussi l’objectif de ses désirs contre le père. Il devient lui-même un Dieu, à côté et, en fait, à la place du père. La religion du fils remplace la religion du père. (Ibid., p. 437.)

Ainsi, l’autosacrifice du fils, en expiation du pêché universel, lui confère une nouvelle force symboligène. Remplacer le père par le fils ou, plus précisément, mettre le fils à une place analogue à celle du père établit une métaphore paternelle robuste vu que père et fils sont entrés dans le symbolique. Le fait que le Christ soit mort sur une croix, dont l’isomorphie avec la croix formée par métaphore et métonymie n’est pas fortuite, et renforce l’idée que le lien entre un père et un fils ne relève que du symbolique, c’est-à-dire du langage. Par son sacrifice, le Christ parachève une métaphore paternelle qui deviendra le principe organisateur de l’inconscient de ses disciples.

 

Pourquoi faire de la figure du père le support principal du symbolique ?

         Freud est souvent accusé d’avoir « inventé » dans Totem et tabou, inspiré par quelques références ethnographiques survolées, une fable romanesque empiriquement invérifiable (par exemple, Lévi-Strauss, 1947, 1967, Zafiropoulos, 2025). Une telle critique méconnaît la nature de sa contribution. Plus précisément, elle confond la mort violente d’un chef de horde primitive – c’est-à-dire d’un groupe sans structuration symbolique – avec la reconnaissance par les mâles survivants de cette mort comme évènement signifiant.

À proprement parler, il n’est même pas nécessaire que le défunt fût réellement le chef de la horde. Il suffit qu’il soit reconnu ex post comme tel par les survivants. La significativité de l’évènement consiste exclusivement dans la cristallisation soudaine de la prise de conscience que ce mort occupait une place particulière, et que chaque survivant a participé, réellement ou imaginairement, à sa mise à mort. Il importe peu que le coup fatal ait été porté par un seul ou par plusieurs ; ce qui compte, c’est que la culpabilité soit partagée : tous voulaient sa place. C’est l’acceptation de cette part de culpabilité qui scelle l’appartenance au pacte symbolique.

En soi, la mort violente d’un membre de la horde, fût-il le chef, n’avait rien d’exceptionnel dans une société préhistorique. Dans la horde primitive comme ailleurs, les chefs vieillissent et finissent par être déposés, violemment ou pas selon les circonstances. Darwin, dans De l’origine des espèces, rapporte que l’élimination du mâle dominant par de jeunes rivaux est une réalité récurrente. Elle relève de l’évolution naturelle et ne constitue pas un acte inaugural. Ce qui transforme un tel événement en meurtre du père, c’est l’opération symbolique : cette mort signifie quelque chose d’important. Au commencement était l’acte qui faisait signe.

La rupture intervient lorsque les survivants s’accordent pour dire : « Ce corps était notre père, celui dont nous rêvions de prendre la place. Que quiconque tente à son tour de le remplacer subisse le même sort. » Seulement par cet accord que les mâles survivants deviennent des frères, des frères dans le totem. Cette reconnaissance n’implique nullement une filiation biologique. Avec le long laps de temps entre fécondation et naissance, cette dernière était jusqu’à très récemment impossible à établir avec certitude. Pater semper incertus.

Plus encore, c’est la non-vérifiabilité scientifique de la paternité biologique, c’est-à-dire le fait que la paternité doit être attestée par la parole d’une mère, qui consacre le père comme support du symbolique. Reconnaître un père est un acte de foi. Dès lors, les tests génétiques sur base d’ADN, phénomène récent, en objectivant la paternité, affaiblissent la fonction symbolique des pères. Limiter le rôle de la parole de la mère relativise aussi le statut du père.

Au niveau de l’ancrage symbolique du sujet, la certitude d’une paternité biologique attestée par un laboratoire médical se substitue alors au rapport complexe et évolutif avec le père réel. Ce dernier n’est pas seulement instauré dans ses droits par le désir de la mère mais aussi suscite le respect dans la mesure où il s’efforce d’être un père suffisamment symbolique (Nasio).

Les tests génétiques nient la prérogative d’une mère de désigner le père et minimisent la dette vis-à-vis de celui dont les interdits permettent la sortie de l’étreinte maternelle. Placer un test de laboratoire en face du père réel peut alors engendrer un fantasme de provenance autochtone et devient ainsi le support contemporain du « roman familial du névrosé » (Freud, (1909) 1994a, p. 223-226).

 

Pourquoi le père doit-il être mort pour faire fonction de support du symbolique ?

Ce n’est donc seulement ex post, après l’accord des mâles survivants, que la mort violente d’un ancien chef devient le « meurtre du père » impliquant culpabilité, dette, expiation et refoulement. Ex ante, il s’agissait d’une énième lutte d’existence avec la survie du plus apte. Un évènement courant et naturel. La notion de meurtre, impliquant un acte répréhensible plutôt qu’une victoire des forces vives et le renouveau de la horde, n’émerge qu’avec le nouveau lien symbolique établi par les mâles survivants. La notion de meurtre est, bien sûr, indissociable de son interdit. Mais la causalité court dans les deux sens : seul l’interdit fait après-coup d’une lutte sanglante mais naturelle un meurtre dont les motivations doivent dorénavant être refoulées.

Les interdits du meurtre et de l’inceste, car la jouissance des femmes de la horde était l’enjeu principal de la lutte, sont les marqueurs principaux de la démarcation entre la nature et la culture. Le meurtre du père deviendra alors le crime paradigmatique car le perpétrer signifie s’attaquer aux fondements mêmes du symbolique et du lien social. Le commettre signifierait le retour à la barbarie. Ceci explique, par exemple, la cruauté théâtrale des châtiments destinés aux régicides. La deuxième raison pour poursuivre tout parricide avec une sévérité exemplaire est que la gravité de l’acte ne trouve son égal que dans la puissance de la tentation de le réaliser.

Pourtant, un « meurtre du père » avec tout l’effroi qui y est associé, reste, dans un certain sens, un crime imaginaire. Aucun homme, aucun père réel, aucun chef, même portant les insignes de la puissance politique, militaire ou spirituelle ne peut être réduit à sa fonction symbolique. Tout représentant de l’autorité symbolique, n’en est justement qu’un représentant. Par sa nature physique et désirante il restera toujours un mâle parmi les autres, membre du groupe des frères dans le totem. César tombant sous les coups des conspirateurs est à la fois le fossoyeur des principes républicains et un vieil homme affligé d’être trahi par ses proches.

Lacan dans son discours du maître place le maître comme énonciateur du S1, le signifiant maître, sur le sujet clivé $. Fonder et énoncer un discours qui puisse faire lien social demande une astreinte personnelle importante. Commandare è meglio che fottere, dit le dicton sicilien, il y a une différence structurelle indépassable entre commander et copuler, faire lien social et jouir.

Certes, aucun homme, aussi vertueux soit-il, ne pourra jamais pleinement réaliser cette séparation. Chaque maître réel doit travailler en permanence l’équilibre qui trahit le moins possible sa fonction de porteur du symbolique et sa propre pulsionnalité. En même temps, nier d’emblée l’opposition entre les deux pôles mène aux « maîtres obscènes » (Žižek) qui président dans toutes les époques aux fascismes et aux associations mafieuses. Vice versa, s’en prendre à un porteur du symbolique, même s’il s’agit d’un symbolique creux ou, pire, d’une perversion idéologique fascisante, n’est jamais entièrement dépourvu de la haine de l’autre et de l’antagonisme envers le père réel.

Autrement dit : pour faire entrer la figure du père mort définitivement dans le symbolique, le corps de celui qui fonctionnera dorénavant comme le totem du groupe doit disparaître. Ainsi, le festin totémique joue un rôle décisif dans la transformation d’une énième lutte violente dans un acte fondateur du symbolique. Certes, le festin totémique est aussi un moment d’expérimentation sociale délicate entre transgression et affirmation des nouveaux interdits. Pendant le festin tout est jeu provisoire et mise en scène ; tout est permis car tout est fait comme si. Le festin totémique a pourtant un deuxième rôle important : faire définitivement disparaître le corps de l’ancien chef pour ainsi installer ce dernier irréversiblement dans la mémoire et le symbolique.

Un mâle vivant, même en nouveau chef, avec son corps désirant, désirable, vulnérable ou effroyable ne sera toujours qu’un des mâles de la horde, et non une autorité symbolique et un géniteur sur le plan psychique.  S’il réclame ce rôle de son vivant, il devient l’équivalent d’un gourou de secte avec un prélèvement pervers sur ses adeptes au profit de sa propre jouissance. Bien sûr, des rites d’initiation, des pratiques ésotériques, des formules secrètes, etc. chercheront à voiler cette exploitation minable. Mais peu importent les détails : autorité symbolique et jouissance restent définitivement antinomiques.

Donc, le corps du mort doit disparaître. Le bannissement de l’ancien chef du groupe, par exemple, n’aurait pas le même effet. Le corps du chef vivant, objet de peur, haine et convoitise, capable de resurgir à tout moment, constituerait un obstacle important à tout engagement symbolique. Même le cadavre ensanglanté gisant dans la poussière ne peut rester associé au futur père symbolique. Trop puissantes seraient les identifications imaginaires possibles. Seule l’ingurgitation de la dépouille du mort accomplit la séparation définitive entre un corps physique et le totem de la tribu. Une transformation analogue se produit dans le sacrement de l’eucharistie : seul l’internalisation du corps du chef établit celui-ci en référence symbolique.

Freud rappelle que le passage du réel physique au symbolique se joue aussi au niveau individuel, notamment au moment que la psychanalyse appelle la castration symbolique, la prise de conscience de l’enfant de l’écart entre ses envies et leur réalisation. Cette prise de conscience sera accompagnée pour le petit garçon par l’intense peur de perdre l’organe qui avait semblé jusqu’à présent le moyen idéal pour satisfaire ses envies. Cette entrée dans la différence entre les images, les mots et les choses se fera dans un premier temps au nom du père réel, du groupe social ou de la loi écrite et sera ensuite, chemin faisant, progressivement associée avec une autorité symbolique plus intégrale.

Au niveau du récit clinique, la névrotisation au cours du conflit œdipien au niveau individuel semble ainsi se faire de manière plus détournée que la fixation soudaine de la figure de l’ancien chef en totem ou en père symbolique au niveau collectif. Qui sait ? Peut-être Freud avait saisi une vérité encore plus profonde, la cristallisation d’une structure, une loi d’articulation de signifiants, parfaitement identique au moment où l’enfant fait l’expérience de la limite définitive de sa toute-puissance et au moment où les membres survivants de la horde énoncent ensemble « ce mort-là était notre père. »

Le père symbolique, ancre d’un système symbolique, est ainsi nécessairement un père mort. Sa présence physique, même en tant que rival vaincu, même comme corps mort, le mettrait à nouveau sur un même plan avec les autres mâles qui continueraient à entretenir des rapports spéculaires avec lui. Le père symbolique doit être incorporel, intemporel et universel. Son efficacité de pôle attracteur des flux libidinaux en dépend. C’est le pas décisif accompli par les trois religions abrahamiques.

La nécessité logique d’une figure paternelle pour ancrer le symbolique n’est donc due ni à une envie de patriarcat d’assurer son pouvoir ni à l’imposition par la force d’un chef qui se légitimerait par une descendance du totem. Le père mort, ancre du système symbolique, est une création des frères. Ce qui est décisif dans ce processus, n’est pas la mise à mort d’un vieux chef mais l’accord des survivants pour déclarer cette mort comme un meurtre atroce et d’ériger la figure de l’ancien chef en père de chacun d’eux et en garant de leur nouvelle sociabilité. Cet accord se fait indépendamment de toute paternité biologique. L’établissement du totem est la première production culturelle.

Il résulte de la nécessité de disposer d’une instance qui puisse faire métaphore, c’est-à-dire capable d’établir une similarité de structure, ce que Lévi-Strauss appelle une isomorphie, sans laquelle aucune pensée symbolique n’est possible. En se créant, par accord commun, un père, les mâles survivants de la horde se situent eux-mêmes comme frères dans le totem et accèdent à une première conscience de soi. En même temps, le père doit être mort pour garantir son altérité radicale, pour n’être qu’absence et signe. La qualité première d’un signe, rappelons-le, est qu’il n’est pas la chose. C’est donc l’absence corporelle du père symbolique qui garantit son altérité, sa force attractive et sa capacité à soutenir langage et culture.

 

  1. Le défi de Lévi-Strauss : une structure inconsciente sans métaphore paternelle

Introduction

La première partie de l’œuvre lévi-straussienne, des Structures Élémentaires de la parenté en 1947, en passant par « L’introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » (1950) jusqu’à « La structure des mythes » en 1958, évolue devant la toile de fond de Totem et tabou. Lévi-Strauss accepte ainsi, tel un défi, la question de Freud « comment le symbolique est-il venu dans le monde ? », tout en offrant, au moins dans un premier temps, une réponse alternative. Cette réponse se veut orthogonale à la réponse freudienne, à la fois sur le plan des causalités identifiées et sur le plan de la méthodologie appliquée. Sa probité intellectuelle amène cependant Lévi-Strauss, sous la pression des nécessités logiques de son raisonnement, à s’approcher, au moins implicitement, de la position de Freud.

On verra ainsi que Lévi-Strauss identifie la structure du mythe d’Œdipe, y inclus le meurtre du père ou au moins d’un « parent mâle », comme la structure de base de tous les mythes et comme noyau de la pensée symbolique. Sa relecture nouvelle du mythe d’Œdipe comme une structure à quatre éléments, contrairement à la lecture habituelle du mythe d’Œdipe comme une structure à trois éléments, se retrouve chez Lacan qui en avait adopté des éléments pour son « Mythe individuel du névrosé » (1953).[1]

Dès le début, c’est-à-dire dès la publication des Structures élémentaires comme une thèse de doctorat époustouflante d’audace, d’ambition et de démesure, Lévi-Strauss avait déjà adopté avec emphase l’observation freudienne selon laquelle les origines du langage et de la culture sont indissociables de l’avènement de l’interdiction de l’inceste. A ce moment, il nie encore le rôle de la figure du père, d’un père mort ou encore le meurtre d’un père, fût-il déclaré tel ex post par les survivants. Il déplore ainsi la « gratuité de l’hypothèse de la horde primitive et du meurtre primitif » (Lévi-Strauss, (1947) 1967, p. 563). Cependant, il ne s’y attarde pas mais se contente surtout de passer le rôle du père sous silence. Chez Lévi-Strauss, l’interdit de l’inceste ne se formule pas au nom d’un père mort mais est imposé par des « frères » vivants qui souhaitent échanger les femmes de la tribu contre les femmes d’autres tribus afin de sceller des alliances économiques et militaires.

Lévi-Strauss est plus explicite sur son désaccord méthodologique avec Freud. Sa critique frontale de Totem et tabou sur ce point montre à quel point il s’installe dans une position qui prend l’œuvre freudienne comme un pôle adverse :

L’anthropologue] suit une marche contraire à celle de la théorie, telle que Totem et tabou la présente. Dans un cas, on remonte de l’expérience aux mythes, et des mythes à la structure ; dans l’autre, on invente un mythe pour expliquer les faits [cliniques] ; pour tout dire, on procède comme le malade, au lieu de l’interpréter. (Ibid., p. 564.)

Bref, l’anthropologue empiriste s’adresse avec dédain au psychanalyste spéculatif. Certes, des nombreuses études de cas, en passant par les Human Relations Area Files (HRAF), le fichier ethnologique sur support papier longtemps dirigé par Lévi-Strauss à l’EHESS, jusqu’à son vœu pour des « ordinateurs IBM » [sic] pour mieux organiser le matériel récolté, l’ambition empirique de Lévi-Strauss est sincère. En même temps, l’évidence empirique dégagée par les multiples études de cas de la deuxième partie des Structures élémentaires reste à prouver. C’est un « empirisme » qui doit tout aux intuitions d’un observateur inspiré. La multitude et l’hétérogénéité des structures relatées dégagent un air de gratuité proche de celui des sources ethnographiques citées par Freud pour fournir une première assise empirique au mythe qu’il présente dans Totem et tabou. Ce qui fascine cependant encore aujourd’hui, ce sont la cohérence de vision et la fougue des Structures élémentaires.

Vu d’aujourd’hui, les différences méthodologiques entre les deux penseurs sont alors moins importantes que les invectives de Lévi-Strauss contre son aîné ne le suggèrent. N’en déplaise aux belles âmes qui s’attribuent une scientificité basée sur un empirisme fantasmé qui caractérisent le positivisme du 20e siècle : ni la psychanalyse, ni l’anthropologie ne satisferont jamais les exigences de l’approche déductiviste prônée pour les sciences naturelles par Karl Popper, qui considère la confirmation, ou plutôt la non-falsification, d’hypothèses testées dans le cadre d’expériences contrôlées, comme le critère de l’admissibilité d’une théorie scientifique (voir La logique de la découverte scientifique, 1934, 2005).

Lévi-Strauss et Freud sont des structuralistes et le structuralisme par sa nature veut lever le voile des apparences et n’est alors empiriquement vérifiable que par voie indirecte, par exemple les tests économétriques, car, par définition, tout observateur n’accède qu’aux signalements sensibles. A l’inverse, le structuraliste cherche les lois sous-jacentes derrières des comportements, des coutumes, bref, des symptômes qui se répètent. Il revient alors à la diligence, à la probité et à l’intuition du chercheur d’éplucher chaque instance d’observation pour y déceler ce qui est l’expression d’une loi invariable et ce qui est l’ivraie de circonstances aléatoires.

Donc expliquer les origines de l’interdit de l’inceste par l’échange des femmes sur la base d’un instinct de partage, posé comme un principe premier, est une hypothèse tout aussi difficile à vérifier empiriquement que le meurtre du père de la horde primitive. L’hypothèse de Lévi-Strauss a le désavantage supplémentaire qu’aucune théorie dynamique ne permet d’élucider la nature du moment particulier de cristallisation de la venue du symbole et de l’interdit dans le monde. Car Lévi-Strauss est d’accord avec Freud également sur ce point que le symbolique n’est pas le fruit d’une évolution progressive mais se manifeste dans la forme d’une irruption soudaine. La dernière faille dans l’argument avancé par Lévi-Strauss dans les Structures élémentaires est probablement celle qu’il ressentait lui-même de la manière la plus pénible : même au cas où on aurait la certitude d’avoir correctement identifié les structures sous-jacentes, entre ces dernières et l’infinitude des manifestations particulières de la vie sociale manque un élément de transition. Quel agent pourrait introduire la flexibilité nécessaire pour permettre d’articuler deux mariages avec différentes cérémonies, émotions et tonalités à la même Loi des structures parentales ? Les règles sociales expriment justement un langage et non pas un code que traduirait la Loi dans une uniformité régimentée.

Dans les dix ans qui suivirent la publication des Structures élémentaires, Lévi-Strauss s’applique donc à répondre à ces interrogations. Chemin faisant, il s’approche avec précaution de Freud. Mais plus important est le fait que dans ce processus il précise la fonction sémiologique de la figure du père mort dans un cadre saussurien ainsi que la fonction du mythe d’Œdipe comme entrée dans la métaphorisation des poussées contrastantes qui parcourent le sujet. Ainsi, il prépare la lecture structuraliste de l’œuvre freudienne dont Lacan tirera toutes les conséquences.

 

Instinct d’échange et interdit de l’inceste : Les structures élémentaires de la parenté

Lévi-Strauss s’accorde avec Freud sur le fait que le symbolique est venu dans le monde avec l’interdit de l’inceste. Les Structures élémentaires de la parenté (1947) commencent ainsi avec une réaffirmation emphatique du constat freudien que le seuil entre nature et culture est marqué par la règle de l’interdiction de l’inceste. Selon Lévi-Strauss c’est un fait empirique :

Partout où la règle [de l’interdit de l’inceste] se manifeste, nous savons avec certitude être à l’étage de la culture… Nous nous trouvons alors confrontés avec un fait, ou plutôt un ensemble de faits… nous voulons dire cet ensemble complexe de croyances, de coutumes, de stipulations et d’institutions que l’on désigne sommairement sous le nom de prohibition de l’inceste. » (Lévi-Strauss, [1947] 1966, p. 10.)

 

Lévi-Strauss insiste sur l’universalité de l’interdit de l’inceste comme ligne de partage entre culture et nature. Avec le goût du paradoxe il souligne que la prohibition de l’inceste « en un sens… appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture (ibid., p. 29) ». Mais c’est là aussi que les interrogations débutent, car Lévi-Strauss risque de donner à la prohibition de l’inceste une origine naturaliste.

Loin d’associer l’interdit de l’inceste avec la figure d’un père, mort ou vivant, Lévi-Strauss ancre l’interdit de l’inceste dans un « instinct naturel de l’échange » qui serait inné. Le principe d’échange devient ainsi un énoncé de base « évident » : L’échange est… un aspect d’une structure globale de réciprocité qui fait l’objet… d’une appréhension immédiate et intuitive de la part de l’homme social. (Ibid., p. 159.)

La formulation indique le danger de circularité de l’argument de Lévi -Strauss. L’échange est intuitivement appris par « l’homme social ». Mais si c’est l’échange qui fonde l’interdit de l’inceste quelle force avait donc socialisé les hommes au préalable ? Autrement dit, une fois établi l’instinct d’échanger motive l’interdit de l’inceste et l’exogamie car il concerne en premier lieu l’échange des femmes de sa propre tribu contre les femmes d’une autre tribu. Donc on s’interdit d’épouser les femmes de sa propre tribu pour être capable de former des alliances et pour ainsi devenir plus compétitif dans la lutte darwinienne entre tribus.

L’échange comme principe premier impose donc l’interdiction de l’inceste qui est, dans une logique qui suit celle de Freud, à l’origine de la culture, de l’ordre social et du symbolique. Cependant dans la chaîne causale proposée par Lévi-Strauss, la notion de père ne préside point l’ordre social mais lui est subordonné comme indicateur d’un lien biologique plutôt que symbolique :

L’inceste porte préjudice à l’ordre social… C’est le rapport social, au-delà du lien biologique, impliqué par les termes de ‘père’, de ‘mère’, de ‘fils’, de ‘fille’ et de ‘sœur’, qui joue le rôle déterminant. (Lévi-Strauss, [1947] 1966, p. 23.)

 

Le refus d’associer la figure du père avec l’interdit de l’inceste et de la chaîne symbolique complique l’approche lévi-straussienne dans les Structures élémentaires. Entre autres, ce refus est à l’origine d’un flottement entre patrilinéarité et matrilinéarité des structures de parenté. Comme on peut s’y attendre à la suite de la citation précédente, Lévi-Strauss postule formellement une symétrie entre les deux systèmes de filiation. En même temps, il insiste sur les rôles asymétriques des sexes dans un ordre où les hommes échangent et les femmes sont échangées.

Ces échanges sont opérés surtout par des « frères » mus par leur instinct de partage. Mais qu’est-ce que veut dire frère en l’absence d’un père ? En effet, la notion de fraternité reste peu spécifique au-delà de l’appartenance à une même tribu, notion également pas développée ou motivée ultérieurement. La question de savoir s’il s’agit d’être issu d’une même mère biologique ou d’une enfance commune pour établir des liens de frère de lait est laissée en suspens.

L’obligation de réciprocité dans l’échange s’applique ainsi exclusivement au prochain, l’autre, la tribu ou la famille à côté, sans référence à un tiers validant commun. Nulle part n’est mentionnée, par exemple, la reconnaissance partagée d’un totem ou d’un même ancêtre. L’instinct de partage est alors motivé par une vision néo-rousseauiste d’une identification naturelle à autrui qui mènerait au partage de la nourriture. A partir de la nourriture, l’instinct de partage et d’échange est étendu par contiguïté métonymique aux femmes, car ces dernières préparent la nourriture :

Ce ne sont pas seulement les femmes dont le groupe contrôle la répartition, mais tout un ensemble de valeurs, dont la nourriture est la plus aisément observable… et sans doute la plus essentielle ; entre les femmes et la nourriture, il existe tout un système de relations, réelles et symboliques… dont l’appréhension, même superficielle, suffit à fonder ce rapprochement. (Ibid., p. 38.)

 

Le raisonnement est sommaire : par instinct, les hommes partagent la nourriture (Lévi-Strauss élude l’objection évidente que le partage de nourriture est omniprésent dans le règne animal) ; vu que les femmes préparent la nourriture celles-ci s’échangent également ; l’échange des femmes implique l’exogamie et l’interdit de l’inceste. En effet, l’échange des femmes, l’exogamie et l’obligation de réciprocité sont les conditions préalables et non les conséquences de l’interdit de l’inceste :

La prohibition de l’inceste est moins une règle qui interdit d’épouser mère, sœur ou fille, qu’une règle qui oblige à donner mère, sœur ou fille à autrui. C’est la règle du don par excellence. (Ibid., p. 552.)

Et :

Il n’y a rien dans la sœur, ni dans la mère, ni dans la fille qui les disqualifie en tant que telles [pour l’endogamie]. L’inceste est socialement absurde avant d’être moralement coupable. L’exclamation incrédule arrachée à l’informateur : Tu ne veux donc pas avoir de beau-frère ? fournit sa règle d’or à l’état de société. (Ibid., p. 556.)

 

Refuser résolument tout statut à la figure du père mort et à ses avatars, tel le totem, fragilise le statut de l’interdit de l’inceste au point de le mettre en question : le mariage exogamique comme stratagème de politique familiale ou tribale n’empêche point les relations sexuelles incestueuses avant l’échange marital. Ceci vaut d’autant plus que Lévi-Strauss n’évoque en aucun point une obligation d’abstinence sexuelle avant le mariage ou une valorisation de la virginité. D’un côté, c’est cohérent ; si la paternité n’a pas de statut, la virginité de la mariée est sans intérêt. De l’autre côté, Lévi-Strauss vide l’interdit de l’inceste de sa substance car il n’implique finalement aucune astreinte spécifique au nom du nouvel ordre symbolique. C’est plus dramatique chez Freud, où l’inceste annihilerait le statut de la paternité et ainsi la pensée symbolique, l’ordre social et la culture.

Le modèle proposé par Lévi-Strauss dans les Structures élémentaires souffre ainsi de deux failles, toutes les deux liées à l’absence de l’avènement d’une autorité symbolique tel le père mort. D’abord, son approche est statique. Aucun évènement particulier, tel une mort violente qui rétrospectivement devient un meurtre du père, n’explique l’avènement de l’interdit de l’inceste dans le monde. L’instinct d’échange est « naturel » et les structures sont immuables. La distinction fondamentale entre nature et culture se perd alors une deuxième fois. Tout était toujours culture.

Ensuite, la nature statique des structures élémentaires identifiées par Lévi-Strauss implique un modèle mécanique entre les structures inconscientes et les comportements, les coutumes et les symptômes. Les règles structurales possèdent une qualité minérale, presque physique. Aucune instance médiatrice tel le totem ou le nom du père n’intervient comme amortisseur entre la règle abstraite et sa réalisation concrète dans la vie. L’histoire humaine n’est alors plus évolution dynamique mais variation aléatoire entre d’une règle éternelle.

L’inconscient chez Lévi-Strauss n’est pas seulement immuable mais, en absence de toute instance symbolique qui pourrait introduire une autoréflexion, également inaccessible à ceux qui en sont tributaires. Ses structures doivent être empiriquement déduites par un observateur extérieur du système. Les Structures élémentaire étaient la manifestation téméraire d’un positivisme sociologique qui cherchait à forger une grammaire des règles de l’échange marital dont le modèle était le structuralisme linguistique du Cercle de Prague. Les années de la grande proximité intellectuelle et personnelle avec Roman Jakobson entre 1941 et 1945 pendant leur exil à New York sont aussi les années de l’élaboration des Structures élémentaires.

Un modèle structuraliste traduit toujours une volonté de séparer un système d’éléments clairement identifiables, les signifiants, d’un système d’effets, d’intentions ou de sens, le signifié. Mais sa transposition d’une discipline à une autre ne se fait pas automatiquement. Dès qu’on s’éloigne de signifiants matériels simples, une telle ambition risque de créer des catégories aléatoires, telles des structures de parenté traduisant un « instinct de partage ». La linguistique échappe à ce sort car elle reste ancrée dans la phonologie, c’est-à-dire le réel anatomique observable du corps et des organes de locution et d’audition.

Des disciplines, telles la psychanalyse ou l’anthropologie ne possèdent pas une telle attache naturelle au monde physique et demandent alors une plus grande souplesse, prudence aussi, dans la formulation des hypothèses d’articulation entre signifiants et signifiés. D’où la nécessitéd’une instance médiatrice. Très vite Lévi-Strauss se rend compte des impasses de sa thèse de doctorat et cite dans la préface de la 2e édition du livre avec approbation l’anthropologue britannique Edmund Leach qui considérait le livre comme une « splendid failure », un échec splendide. Par la suite, Lévi-Strauss s’emploiera alors à sortir de ces impasses en introduisant justement un agent modérateur, tel le père mort même s’il évite soigneusement l’expression, et un modèle beaucoup plus flexible articulant la structure inconsciente et sa propre métaphorisation. Ces développements fondamentaux qui actualisèrent Freud et permirent les percées de Lacan seront présentés dans les deux prochaines sections.

 

Un premier pas vers Freud : le signifiant flottant à valeur zéro

            Comme indiqué, les Structures élémentaires auraient beaucoup bénéficié d’une notion comme le totem ou le nom du père à la fois pour marquer le moment de l’entrée du symbolique dans le monde et pour assouplir l’articulation entre le signe et l’objet absent. Une telle notion aurait aussi permis d’éviter les explications naturalistes ad hoc, tel l’instinct d’échanger. D’ailleurs, même si Lévi-Strauss a toujours gardé la distance avec l’esquisse de la fonction paternelle de Totem et tabou, sa critique se concentre sur l’impossibilité de vérifier empiriquement un premier « meurtre du père » signifiant. Jamais il n’avait relevé une éventuelle incompatibilité logique de la fonction du père mort dans l’établissement d’un monde symboliquement structuré.

Lévi-Strauss comble cette lacune dans son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » (1950) avec la théorisation d’un signifiant flottant à valeur zéro comme instance qui préside, assouplit et complète la production symbolique. Si ce nouveau développement constitue indubitablement un pas vers Freud, il se garde bien de le présenter comme tel. Selon Lévi-Strauss, ce concept doit tout au travail de Mauss sur la magie et le shamanisme. Cette affirmation est peut-être vraie plus au niveau de l’inspiration et du contexte de l’élaboration du texte qu’au niveau d’une continuation linéaire de concepts maussiens. Quoi qu’il en soit, Lévi-Strauss crée avec le signifiant flottant à valeur zéro la version la plus abstraite possible d’une clef de voûte du système symbolique. En tant que signifiant flottant, le père mort et le totem sont réduit à leur fonction psycho-linguistique sans la moindre contamination imaginaire, aspect de la vision freudienne qui excède Lévi-Strauss. Lacan qui développe le nom du père à partir du signifiant flottant (Zafiropoulos, 2003) adoptera ensuite une sorte de compromis – le père mort, oui, mais réduit à son nom, faisant abstraction des éléments plus romanesques de Totem et tabou  

Au niveau de la fonction psycho-linguistique – capter l’excédent pulsionnel véhiculé par chaque acte langagier, chaque échange, et assurer une référence commune pour tous les participants – il n’y a guère de différence entre le signifiant flottant, le totem et le nom du père. Chaque tiers validant absorbe un surplus de sens, innommable et inconscient par définition, qui permet d’articuler un ensemble de signifiants (de phonèmes ou graphèmes socialement reconnus et immuables, préexistant au sujet), un système syntactique, avec un continuum de productions imaginaires, de sensations sensibles ou d’états de la nature, un système sémantique. La séparation et la coordination des deux systèmes sont l’essence même de la création d’un espace symbolique. Elle n’est rendue possible que par l’ubiquité, la malléabilité et l’acceptation inconditionnelle par un signifiant hors norme. L’existence d’un tel signifiant flottant pour créer du sens, toujours provisoire, établit la différence entre un code et un langage.

Après de longs méandres à travers l’œuvre de Mauss, Lévi Strauss introduit sa nouvelle conception de manière rapide, pédagogique et efficace en commençant avec une reformulation du problème en termes saussuriens :

Il y a donc une opposition fondamentale, dans l’histoire de l’esprit humain, entre le symbolisme, qui offre un caractère de discontinuité, et la connaissance, marquée de continuité. Qu’en résulte-t-il ? C’est que les deux catégories du signifiant et du signifié se sont constituées… comme deux blocs complémentaires (Lévi-Strauss, [1950] 2012, p. XLVII-XLVIII.)

 

C’est le principe fondateur de toute approche structuraliste. Vu qu’il n’y a aucun lien naturel entre signifiant et signifié, il se pose alors le problème de leur coordination. Ce problème ne peut être résolu que par une instance médiatrice qui organise la transition entre les deux systèmes. Sa fonction est au moins double dans ce contexte. D’abord, sa constitution est inséparable de la constitution des deux catégories ; elle maintient ainsi leur séparation dans la même mesure qu’elle offre de la dépasser. Ensuite, elle gère et focalise l’excès pulsionnel intrinsèque à l’internalisation du système signifiant qui fait que le sens d’un acte signifiant – énonciation, rite ou échange – dépasse toujours un signifié précis et codifiable. Dans les mots de Lévi-Strauss :

            Il y a toujours une inadéquation entre les deux [catégories de signifiant et de signifié], résorbable pour l’entendement divin seul, et qui résulte dans l’existence d’une surabondance de signifiant, par rapport aux signifiés sur lesquels elle peut se poser. Dans son effort pour comprendre le monde, l’homme dispose donc toujours d’un surplus de signification… Cette distribution d’une ration supplémentaire – si l’on peut s’exprimer ainsi – est absolument nécessaire pour qu’au total, le signifiant disponible et le signifié repéré restent entre eux dans le rapport de complémentarité qui est la condition même de l’exercice de la pensée symbolique. (Ibid., p. XLIX.)

 

Ration supplémentaire, excédant, reste… le signifiant et le signifié ne se recoupent jamais. Le fait que l’inadéquation entre les deux ne soit résorbable que par « l’entendement divin » est à souligner. Elle rappelle les passages de Freud sur les liens entre le totémisme et la religion chrétienne. Indépendamment des termes choisis et des sensibilités méthodologiques, chez l’un comme chez l’autre des deux auteurs, le père mort du totem se situe comme signifiant flottant dans l’écart entre les signifiants et le signifié, les mots et les choses.

Toutes seules, les structures ne permettent pas la réalisation de la pensée symbolique. C’est à la fin de « l’Introduction » que Lévi-Strauss fournit la définition du signifiant flottant tout en revenant au début de son arc d’argumentation, l’œuvre de Mauss et, en particulier, l’Essai sur le don :

Nous croyons que les notions de type mana… représentent précisément ce signifiant flottant, qui est la servitude de toute pensée finie… Nous inspirant du précepte de Mauss que tous les phénomènes sociaux peuvent être assimilés au langage, nous voyons dans le mana, le wakan, l’orenda et autres notions du même type, l’expression consciente d’une fonction sémantique, dont le rôle est de permettre à la pensée symbolique de s’exercer

            Et en effet, le mana est… simple forme, ou plus exactement symbole à l’état pur… ce serait simplement une valeur symbolique zéro, c’est-à-dire un signe marquant la nécessité d’un contenu symbolique supplémentaire à celui qui charge déjà le signifié. (Lévi-Strauss, [1950] 2012, p. XLIX-L.)

 

Avant, Lévi-Strauss avait déjà indiqué que certaines expressions, auxquelles appartiennent aussi « truc » ou « machin », peuvent fonctionner comme amortisseurs en cas d’une mobilisation libidinale forte. Le signifiant flottant, hors norme et hors système, est le concentré indicible de ces amortisseurs. Il devient ainsi le pôle attracteur des forces inconscientes et rend la pensée symbolique – ce terrible effort de séparer la locution de l’envie – possible. Appeler ceci un totem ou un nom du père ne change rien au niveau de la logique qui articule langage, pulsion et inconscient. Épuré des contingences imaginaires qui avaient tellement vexé Lévi-Strauss dans la « fable » du meurtre du père, la notion au signifiant flottant à valeur zéro possède cependant l’avantage de la précision dans le sens qu’il est entièrement réduit à sa fonction logique de permettre l’articulation pertinente entre des signifiants discontinus et un signifié continu.

En même temps, en faisant abstraction du meurtre du père, le signifiant flottant perd le lien avec l’interdit de l’inceste, barrière non négociable entre nature et culture à la fois pour Freud et pour Lévi-Strauss. A nouveau, ce dernier ressent ce manque et complète le dispositif en rétablissant le lien avec le mythe d’Œdipe dans une forme qui exprime le fond du modèle freudien dans le nouveau langage structuraliste gagnant en précision et profondeur en ne concédant que le minimum incompressible à l’imaginaire dont les hommes et les femmes ont besoin pour négocier leur rapport avec le signifiant flottant. Ce nouveau prisme offert par Lévi-Strauss permit à Lacan de relire Freud et de faire émerger la visée structurelle de son œuvre (Zafiropoulos, 2003).

Mais si quelque chose d’essentiel pour l’évolution de la théorie psychanalytique se joue ici entre Freud, Lévi-Strauss et Lacan, il faut revenir sur le rôle essentiel de Mauss dans ce contexte. Après tout, le signifiant flottant est introduit en forme d’hommage à maître Mauss. Ce dernier, se considérant empiriste tel Lévi-Strauss, avait aussi identifié, notamment dans L’essai sur le don, avec le mana, le hau ou l’orenda des notions qu’il associait à une croyance dans « l’esprit des choses » chez les peuples premiers. Mais Mauss n’avait jamais intégré les catégories saussuriennes dans son travail et était étranger à toute réflexion de nature linguistique sur la mise en place et la structure de ces croyances. Sa notion d’un surplus qui vise à rétablir dans « l’acte social total » une unité perdue reste générale et n’est jamais associée à une charge pulsionnelle qui dépasserait une communication, une cérémonie ou un échange.

Mais Marcel Mauss pèse plus lourd dans ce travail de Lévi-Strauss dans une autre dimension. Si ce dernier ne parle jamais du père mort, dans « L’Introduction », Mauss est le père mort au nom duquel Lévi-Strauss présente le signifiant flottant. Il y accomplit même une sorte de meurtre intellectuel du père en prêtant à Mauss une pensée que ce dernier aurait eu du mal à reconnaître comme la sienne et en finissant le texte avec l’image sombre des « lunes mortes, ou pâles ou obscures » que Mauss aurait voulu encore découvrir.

Mais au-delà du texte même, le contexte institutionnel et biographique n’est pas anodin ici. « L’Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » apparaît en été 1950 comme préface de la collection d’articles rassemblés par Lévi-Strauss et nommée Sociologie et anthropologie. Marcel Mauss était mort en février 1950. Cette même année, Lévi-Strauss avait été nommé Directeur d’études, chargé de l’étude comparée des religions des peuples sans écriture, à l’École pratique des Hautes Etudes (EPHE), VIe Section (Sciences économiques et sociales). Malgré la réorganisation de l’EPHE intervenue entre-temps, ce poste est XLIX clairement reconnaissable comme celui qu’avait occupé Marcel Mauss comme Directeur d’études, chargé de l’histoire des religions des peuples non civilisés, à la Ve section (Sciences religieuses) de 1901 jusqu’à son départ au Collège de France.

D’ailleurs, Lévi-Strauss quitta l’EPHE en 1959 également pour le Collège de France. Sa biographe remarque que Lévi-Strauss établit ainsi « une fois encore, une filiation spectrale privilégiée avec celui qui n’était pas son proche (Loyer, 2015, p. 361) ». « Filiation spectrale », on ne peut guère mieux exprimer la nature de la métaphore paternelle.

 

Un deuxième pas vers Freud : le mythe d’Œdipe Roi comme métaphore

Avec le « signifiant flottant » Lévi-Strauss avait brillamment identifié l’enjeu clef de la pensée symbolique et de sa dynamique pulsionnelle d’articuler la discontinuité des unités significatives avec la continuité de l’expérience sensible à la fois du monde extérieur et des flux libidinaux intérieurs. L’articulation du discontinu et du continu crée nécessairement un surplus ou un reste dont le signifiant flottant à valeur zéro était le dépositaire et l’agent. Mais le défi de Lévi-Strauss à Freud, expliquer la nature du symbolique sans le meurtre du père n’était ainsi que résolu à moitié. Le signifiant flottant ne permettait point d’expliquer ni le rôle de l’interdit de l’inceste sur fond d’une métaphore paternelle, ni la constitution de signifiants partagés qui pourraient canaliser l’excès pulsionnel au niveau d’une communauté. C’est très bien d’utiliser de temps à temps « truc » ou « machin » pour tenir lieu d’un surplus innommable, ce n’est guère suffisant pour générer les structures symboliques complexes que les cultures humaines ont su établir. Finalement, le concept du signifiant flottant ne donnait toujours aucune indication du moment particulier de sa venue au monde qui avait établi la pensée symbolique dans une cristallisation soudaine. Sur ce dernier point, Lévi-Strauss est d’accord avec Freud qu’il ne s’agit pas d’une évolution progressive mais d’une épiphanie foudroyante.

Cinq ans plus tard, en 1955, Lévi-Strauss donnera une réponse indirecte à ces questions dans la version anglaise de son article sur « La structures des mythes » qui paraîtra en français en 1958. La réponse est indirecte car l’article prétend se limiter à un simple travail d’identification de la structure des mythes plutôt qu’à une exploration des origines de la pensée symbolique. L’association des deux enjeux est cependant imposée par les résultats principaux obtenus par Lévi-Strauss : d’abord, il n’y a qu’un seul mythe, tous les mythes du monde suivent, en dernière conséquence, la structure du mythe d’Œdipe y inclus un inceste et le meurtre d’un « parent mâle » ; ensuite, le mythe d’Œdipe possède une structure quaternaire qui établit une métaphore de manière endogène au niveau du texte ; finalement, un mythe est identifiable par son efficacité clinique, c’est-à-dire par sa capacité d’engendrer un apaisement pulsionnel auprès du public.

Comme dans les Structures élémentaires et dans l’« Introduction », l’œuvre de Freud établit la toile de fond avec laquelle Lévi-Strauss engage un mouvement dialectique.  En fait, « La structure des mythes » est basée sur une étude comparative de différentes variantes du mythe d’Œdipe. Lévi-Strauss étaye donc le choix de Freud de faire du mythe d’Œdipe le concept le plus important de la psychanalyse, le noyau et le départ de la pensée symbolique. Mais il se garde bien d’attribuer explicitement à Freud un rôle central dans son analyse et préfère le ranger, avec Sophocle et d’autres, parmi les nombreuses différentes variantes du mythe d’Œdipe.

La relecture de Lévi-Strauss du mythe d’Œdipe contient aussi deux modifications qui sont du plus grand intérêt pour la théorie psychanalytique. D’abord la structure des mythes ou, mieux, du mythe, consiste en quatre éléments et non pas trois éléments comme habituellement relaté. Ensuite, le mythe permet une métaphorisation des évènements traumatiques de l’inceste et du meurtre. Seul l’établissement d’une telle métaphore par la structure intérieure du texte garantit son efficacité clinique. L’importance théorique et clinique fut tout de suite saisie par Lacan, qui probablement en avait connaissance avant même la publication de l’article grâce aux enseignements oraux de Lévi-Strauss, pour en faire la structure paradigmatique du fantasme dans le Mythe individuel du névrosé ([1953] 2007).

L’avancée de Lévi-Strauss permet surtout la relecture du mythe d’Œdipe, version sophocléenne incluse, comme une structure à quatre éléments, le quatrième élément étant le voyant Tirésias qui porte les actes du meurtre du père et de l’inceste avec la mère à la connaissance et les établit ainsi comme parties d’un récit. En fait, la tragédie sophocléenne se passe exclusivement dans la salle du trône d‘Œdipe Roi à Thèbes, tous les faits sont relatés, mis en relation, niés et finalement découverts dans leur signification par Œdipe grâce à Tirésias. A aucun moment le spectateur n’est exposé aux transgressions du jeune Œdipe.

De manière générale, ce quatrième élément du mythe est appelé par Lévi-Strauss en référence aux mythes des Indiens nord-américains le trickster. C’est lui qui déclenche comme agent de transition la métaphorisation endogène du mythe. Il est d’une ambivalence foncière et souvent de nature bisexuelle. Le trickster, un ami, un ennemi, un conseiller ou une rencontre fortuite, présente une image déformée du héros et anticipe la transformation de ce dernier. Lévi-Strauss écrit à leur propos qu’ils sont des « figures phalliques (médiateurs entre les sexes) » (ibid., p. 250). Dans les mythes amérindiens, le trickster peut aussi être représenté par un coyote ou un corbeau (tous les deux se nourrissant de charogne), la pluie, le brouillard ou la poussière, tous passant entre le ciel et la terre. Chez Lacan dans le Mythe individuel du névrosé (Lacan, [1953] 2007), la fonction du trickster sera assurée par un ami du père ou par un double du héros.

Un mythe avec efficacité clinique, constituant sa propre métaphore, consiste maintenant en quatre modules de base que Lévi-Strauss exprime dans une écriture formelle qui semble préfigurer les mathèmes lacaniens. Chaque module articule une des quatre personnes – le héros (a), un parent mâle, un adversaire ou un double du héros (b), un parent féminin et le trickster – avec une des deux fonctions – l’inceste f(x) et la mort (fy). Les quatre modules de base d’un mythe, A, B, C et D, sont alors :

  1. Un inceste est observé ou vécu par le héros qui s’écrit fx(a) où fx est la fonction de l’inceste et (a) est le héros ; on peut traduire avec « le héros subit un inceste »
  2. Le meurtre d’un parent mâle par le héros qui s’écrit fy(b) où fy est la fonction de la mort et (b) est un parent du héros ; on peut traduire avec « un parent mâle, adversaire/double du héros, subit la mort » ;
  3. La rencontre avec un monstre bisexuel, le trickster, qui s’écrit fx(b) où fx est la fonction de l’inceste (internalisée comme bisexualité) et (b) reste un adversaire/double du héros ; on traduit avec « un double du héros a subi un inceste » ;
  4. Une difficulté à marcher ou à se tenir droit car le héros porte une blessure qui s’écrit fa-1(y) où la fonction inversée (fa-1) signale que le héros fonctionne comme sujet plutôt que comme objet et internalise la mort (a) ; on traduit avec « le héros devenu sujet s’auto-administre la fonction de la mort ce qui correspond à la castration symbolique ».

Un mythe est ensuite une structure textuelle qui organise deux oppositions entre ces quatre éléments dans une isomorphie, une identité de structure, c’est-à-dire une métaphore. Lévi-Strauss utilise ici le signe « ≅ » qui souvent veut dire « approximativement égal », mais qui signifie en topologie justement que deux ensembles sont isomorphes. À la paire des éléments A et B fait donc miroir la deuxième paire faite de C et D. Dans cette duplication des paires, l’élément C (rencontre avec le trickster) prend donc la place de l’élément A (le héros subit un inceste) et l’élément D (le héros internalise la mort) prend la place de l’élément B (meurtre d’un parent).

Cette duplication de deux structures identiques correspond précisément à la mise en place d’une métaphore, ce qui littéralement veut dire transport. Lévi-Strauss n’utilise pas le terme de métaphore mais se limite à la notion d’isomorphie. Il est cependant clair la que la première paire avec les fonctions de l’inceste et du meurtre sans filtre est reflétée dans la deuxième paire, isomorphique, avec les mêmes deux fonctions transposées, virtuelles et internalisées. Le point d’orgue de l’article est la synthèse de la double opposition entre A et B (inceste et mort), et C et D (rencontre avec un trickster bisexuel et internalisation de la mort) dans une formule que Lévi-Strauss lui-même appelle canonique :

Quelles que soient les précisions et modifications qui devront être apportées à la formule ci-dessous, il semble dès à présent acquis que tout mythe… est réductible à une relation canonique du type :

Fx(a) : Fy(b) ≅ Fx(b) : Fa-1(y)

dans laquelle, deux termes a et b étant donnés simultanément ainsi que deux fonctions, x et y, de ces termes, on pose qu’une relation d’équivalence existe entre deux situations, définies respectivement par une inversion des termes et des relations, sous deux conditions : 1o qu’un des termes soit remplacé par son contraire (dans l’expression ci-dessus : a et a-1) ; 2o qu’une inversion corrélative se produise entre la valeur de fonction et la valeur de terme de deux éléments (ci-dessus : y et a) (Lévi-Strauss, 1958, p. 252-253).

 

L’opération décisive est naturellement le déclenchement de la fonction Fa-1(y) où le héros (a) s’auto-administre, en tant que négation de lui-même, l’expérience de la mort (y). Ainsi le héros n’est plus objet, « terme » dans le langage de Lévi-Strauss, mais devient lui-même fonction, c’est-à-dire sujet, en internalisant la mort, ce qui revient à la castration symbolique. Cette dernière peut prendre la forme d’une automutilation. Dans tous les cas, « internalisation de la mort » veut dire également identification avec le parent mâle tué par le héros, ce qui implique établissement et acceptation de la métaphore paternelle.

Au niveau de la structure du texte, fa-1(y) ne constitue pas seulement une reprise du meurtre d’un parent du héros fy(b). Une simple reprise s’inscrirait dans une série infinie de répétitions et de meurtres réciproques. Même si les conteurs de mythes ne se priveront pas de telles répétitions à des fins dramaturgiques, ces éléments picaresques ne résolvent jamais rien. Telles les 1003 aventures de Don Juan, ils ne font que préparer la rencontre avec la statue du Commandeur. Le récit n’est verrouillé qu’au moment où le meurtre n’est plus répété mais internalisé et ainsi porté au niveau du symbolique. À ce stade, le carré est verrouillé et la métaphore établie.

Un mythe est donc une structure textuelle ultracondensée avec une efficacité clinique prouvée. D’où vient cette efficacité clinique ? Elle est établie par le fait que le mythe est une structure signifiante qui crée sa propre métaphore au niveau de la macrostructure du récit. Chaque mythe raconte alors la sortie de l’impasse pulsionnelle marquée par le meurtre et l’inceste ainsi que l’avènement de l’homme comme sujet marqué par l’intériorisation de la mort à la suite de la rencontre avec un médiateur. A propos de cette répétition inhérente à la métaphore, Lévi-Strauss dit :

La formule prend tout son sens quand on se souvient que Freud considérait que deux traumatismes (et non un seul comme on le dit si communément) sont nécessaires pour donner naissance à ce mythe individuel en quoi consiste une névrose (Lévi-Strauss, 1955, p. 253.)

 

Dans un premier temps, le mythe présente ainsi avec le meurtre et l’inceste le conflit sanglant du mouvement pulsionnel cru. Dans un deuxième temps, il présente, à la suite de la rencontre avec le trickster et la blessure du héros, la version internalisée et symbolisée du même conflit. Cette internalisation correspond alors à l’établissement d’une névrose inconsciente, plus précisément d’une névrose œdipienne. Lévi-Strauss résume ici l’essence de l’œuvre freudienne : la névrose est la forme métaphorisée et internalisée du conflit œdipien.

Il faut donc lire Lévi-Strauss avec Freud et Freud avec Lévi-Strauss. « La structure des mythes » permit alors une lecture structurelle du processus d’humanisation relaté dans Totem et tabou. Ici, la métaphore paternelle n’est plus mise en place par la déclaration en commun par un groupe de frères survivants mais elle est actualisée chaque fois quand le héros d’un récit mythique fait l’amère expérience de l’internalisation de la mort devant un public de pairs qui attend un support dans la gestion de leur propre excédent pulsionnel. La métaphorisation du meurtre et de l’inceste confirme alors l’interdit de l’inceste et revigore la pensée symbolique. Avec « La structure des mythes » Lévi-Strauss confirme l’intuition freudienne que le mythe d’Œdipe fournit la structure de base à la fois des mythes collectifs et du mythe individuel du sujet névrosé. En même temps, il sort le récit freudien de ses ambages romanesques et lui donne une forme invitant au dialogue avec la psychanalyse, la linguistique et les sciences sociales.

 

  1. Comment vivre sans meurtre du père ?

Freud avait développé dans Totem et tabou (1913) sa vision de la création du symbolique et de l’inconscient structuré à partir de l’accord des membres d’une horde préhistorique selon lesquels leur ancien chef était mort, que c’était leur faute et qu’il était le père de chacun d’eux. Leur culpabilité se concrétise ensuite dans les interdits du meurtre et de l’inceste. Lévi-Strauss avait proposé dans les Structures élémentaires de la parenté (1947) un contre-modèle basé sur une inclination innée à l’échange, un modèle qui s’avérait insatisfaisant à cause de sa rigidité mécanique. Dans deux textes ultérieurs, il travaillait ce problème, « L’introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » (1950) et « La structure des mythes » (1958) dont la version anglophone était apparu en 1955. Ces deux textes reconnaissent la nécessité d’un signifiant d’exception tel qu’il avait été fourni par l’approche freudienne avec le signifiant du père mort et du totem. En 1950, le signifiant flottant à valeur zéro avait encore réduit le problème à un pur problème de sémiologie. En 1955, la métaphore établie de manière endogène par la structure des mythes fournissait ensuite un instrument plus complet pour permettre pleinement l’exercice de la pensée symbolique. Le prix à payer, pour ainsi dire, était de revenir au mythe d’Œdipe qui selon Freud correspondait au rapport inconscient des mâles de la horde avec leur chef mort.

Lévi-Strauss se rapproche donc à la position freudienne tout en précisant le fonctionnement du signifiant d’exception et de la métaphore paternelle. Si sa polémique vis-à-vis de Freud des débuts avait laissé place à des références plus sereines, il ne se range jamais complètement à la vision de Totem et tabou. Certes, prendre la structure du mythe d’Œdipe comme la structure de tous les mythes cliniquement efficaces est un choix fort. Cependant, Lévi-Strauss n’accepte jamais explicitement la reconnaissance d’un meurtre du père comme condition du symbolique. En conclusion, il convient alors de s’interroger sur la vision particulière de Lévi-Strauss du père mort qui lui permettait de maintenir cette ambivalence de la manière naturelle.

Freud ressentait fortement la nécessité d’un opérateur d’exception pour maintenir la vision d’un « Un » une fois que le monde continu de la préhistoire avait été scindé par des signifiants discontinus. Nommer le monde, nommer ses animaux, ses plantes et tout ce qui s’y trouve, crée un reste pulsionnel qui demande un signifiant flottant supplémentaire pour faire du sens. Le nom du père mort et le totem sont de tels signifiants flottants.

Lévi-Strauss ressentait cet éclatement du monde de manière beaucoup moins douloureuse. Pour lui, le monde était naturellement habité de sens bien avant que les hommes ne commençassent à s’en séparer, à le regarder comme quelque chose d’étranger, à le découper avec leurs mots, en inventant des cérémonies, des rituels, des vecteurs de transition pour chercher à rétablir l’unité perdue. S’il comprenait le problème mieux que quiconque, il le regardait comme un défi logique à résoudre, pas comme une urgence existentielle à pallier avec des moyens qu’il considérait comme des rustines.

Dans ce processus, Freud était à la fois son adversaire et son guide. Ce n’était pas son père mort à lui. Pour Lévi-Strauss, Freud, juif séculier comme lui, était une sorte de frère aîné, qui orientait sa propre recherche dans l’opposition d’abord, dans un rapprochement prudent ensuite, et qui le motivait à travailler et à approfondir ses propres arguments.

Contrairement à Freud, Lévi-Strauss ne ressentait pas instinctivement le besoin d’un supplétif de sens dans la forme d’un père symbolique, même s’il en comprenait parfaitement la nécessité logique. C’était possible seulement parce que pour Lévi-Strauss le père mort était, depuis toujours et pour toujours, présent dans l’immensité de la nature. Cette nature était signifiante pour lui, même avant l’introduction du premier signe. Il y a chez ce petit-fils de rabbin qui se voulait athée une foi à toute épreuve que l’univers était habité par le sens. « L’Univers a signifié bien avant qu’on ne commence à savoir ce qu’il signifiait ; cela va sans doute de soi » (Lévi-Strauss, 1950, p. xlviii) écrit-il, en affirmant la préexistence du sens à l’entendement humain.

L’univers naturel pour Lévi-Strauss était donc imbu de sens, par nature. Avec cet univers transi par des structures signifiantes mystérieuses, Lévi-Strauss aurait bien voulu communiquer directement. Sa biographe met en exergue de son livre cette citation étonnante :

J’aurais aimé, une fois dans ma vie, pleinement communiquer avec un animal. C’est un but inaccessible. Il m’est presque douloureux de savoir que je ne pourrai jamais trouver de quoi est composée la matière et la structure de l’univers. Cela eût signifié : être capable de parler avec un oiseau… Si vous pouviez me procurer une bonne fée qui exaucerait un de mes vœux, c’est celui-là que je choisirai (Loyer, 2015, p. 9).

 

Un accès direct à la « matière et la structure de l’univers », tout en unité, sans référence, explicite ou implicite, à un père mort, réparateur d’un monde en éclatement, serait donc concevable ? Dans le passage cité, Lévi-Strauss répond « oui », même si c’est au niveau d’un rêve, d’une aspiration intime d’un retour à l’unicité paradisiaque du monde avant la chute quand l’homme parlait avec les animaux.

Mais naturellement c’est en même temps un « oui » prudent et savant. Supposer à Lévi-Strauss une foi naïve dans une fusion panthéiste négligerait l’acharnement intellectuel de ce sculpteur de structures qui mesurait à chaque instant la distance entre les sensations sensibles et les symboles qui en rendent comptent. Cependant, pour lui cette distance n’était pas à remplir au plus vite par une diffuse dette à la suite du meurtre du chef d’une horde préhistorique. Lévi-Strauss mettait le monde plus haut que les mots. La distance entre les deux était alors à dépasser par un travail d’archéologie sémantique pour débusquer le sens originaire du monde.

Ce sens que le père mort n’a jamais vraiment quitté le monde et garantit à tout moment une mystérieuse unité avait été traduit en poésie par Shakespeare dans un sens proche de celui de Lévi-Strauss. Le « Chant d’Ariel » dans La tempête, la dernière pièce de Shakespeare, exprime cette confiance dans un univers sensé qui animait Lévi-Strauss et qui était le complément inséparable de son ascétisme personnel et intellectuel. Cet ascétisme doit être compris comme une forme de pudeur devant le miracle de la création. C’est aussi pourquoi Lévi-Strauss dans ses recherches de terrain se sentait toujours confortable avec ceux auxquels il prêtait la même pudeur et le même respect devant la création.

Dans le « Chant d’Ariel », le père mort n’est pas un pôle mythique construit par les hommes en opposition au monde sensible pour essayer de rétablir un semblant d’unicité. Au contraire, ici le père mort est le monde pour ceux qui l’aiment suffisamment pour l’apercevoir :

Full fathom five thy father lies;

Of his bones are coral made;

Those are pearls that were his eyes.

Nothing of him that doth fade,

But doth suffer a sea-change

Into something rich and strange.

 

Par cinq brasses, ton père gît,

De ses os le corail est fait ;

Ce sont les perles qui étaient ses yeux.

Rien de lui qui ne soit périssable,

Mais subit le flot marin qui le transforme

En quelque chose de riche et étrange

 

Une structure inconsciente sans le meurtre du père est donc concevable pour ceux qui possèdent la foi de croire que les os du père originaire forment, depuis toujours, le matériel et la structure du monde pour lui donner son sens. Sur la base d’une telle foi, Lévi-Strauss a pu établir le fonctionnement et les contours d’une pensée symbolique qui était d’abord une émanation du monde naturel avant d’être un contre-modèle s’érigeant en opposition. Pour ceux qui ressentent plus vivement le traumatisme de l’éclatement du monde avec la brisure symbolique, l’idée de la mort violente de celui qui en est considéré l’opérateur reste une exigence logique pour rétablir l’espoir d’une unité lointaine.

La perceptivité de Lacan a tiré le meilleur des œuvres de ses deux aînés. En restant fidèle au modèle freudien, – après tout quel besoin de la psychanalyse sans angoisse face à l’incomplétude du monde ? –, il y a intégré les découvertes de Lévi-Strauss, informées par Mauss, Jakobson et Saussure, sur l’opération de la pensée symbolique dans une perspective linguistique et sémiologique. En passant, il a relevé la nature profondément structuraliste – dans le sens que chaque signe perceptible n’est que la manifestation circonstancielle de lois d’agencement, de structures, plus profondes – de l’œuvre freudienne. En attendant de retrouver le sentiment vif d’unité avec une nature continue, la fable du meurtre du père reste la trame la plus complète et la plus efficace cliniquement pour gérer la tension entre un monde demandant un travail symbolique permanent, toujours incomplet, et l’espoir d’une nouvelle unité.


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  2. Zafiropoulos, Lacan et Lévi-Strauss ou le retour à Freud 1951-1957, Paris, Puf, 2003.
  3. Zafiropoulos, Les mythologiques de Lacan : La prison de verre du fantasme, Œdipe roi, Le diable amoureux. Hamlet, Toulouse, Erès, 2017.

[1] « La structure des mythes » paraît en 1958 comme le chapitre 11 de l’Anthropologie structurale, Paris, Plon, p. 227-255. Lévi-Strauss dans une note de bas de page indique la relation avec l’article original en langue anglaise datant de 1955 : « D’après l’article original : The Structural Study of Myth, in : Mytii, A Symposium, Journal of American Folklore, vol. 78, n° 270, oct.-déc. 1955, p. 428-444. Traduit avec quelques compléments et modifications. » Plus, Lévi-Strauss aurait déjà utilisé sa formule canonique du mythe en quatre éléments en 1952 dans ses cours à l’Ecole des Hautes Etudes.