Mémoire collective et trauma

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Mémoire collective et trauma


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Aris TSANTIROPOULOS Emmanouil KONSTANTOPOULOS

Approche anthropologique et psychanalytique[1]

« Mémoire collective et trauma – L’exemple d’une communauté montagnarde en Crète – Approche anthropologique et psychanalytique » par Aris Tsantiropoulos (anthropologue) et Emmanouil Konstantopoulos (psychanalyste), à paraître sur le site de l’Association grecque d’ethnologie en janvier 2016 (link : http://societyforethnology.gr/el/ethnologyonline).

Résumé

Au soir du 26 aout 1955, dans le village montagnard crétois de Vorijia, une série meurtrière de vengeances ont transformé la joie de la fête consacrée à Saint Fanourios, le Saint protecteur de la communauté, en pleurs et en lamentations. Cet « amok meurtrier », selon l’appellation donnée par la presse de l’époque, a été provoqué par un prétexte futile. Un acte considéré comme humiliant a donné lieu à un premier meurtre sur la personne de son auteur, déclenchant une série meurtrière qui fit au total cinq morts et quatorze blessés, tous du même village, en l’espace d’une demi-heure.

Jusqu’à aujourd’hui, la communauté vit dans la peur qu’à la moindre occasion une telle explosion de violence se reproduise, tandis que le jour de Saint Fanourios est devenu un jour de deuil et de lamentation plutôt qu’un jour de fête comme autrefois : « Depuis on n’a plus jamais entendu la lyre (crétoise) dans notre village le jour de la fête de Saint Fanourios et apparemment on va plus jamais l’entendre » disent les paysans de Vorijia, les plus vieux comme les plus jeunes.

Cet article tente d’explorer deux problématiques. La première concerne les motifs qui ont conduit, sur un prétexte, à l’explosion de la violence. Ces motifs ont été cherchés dans le cadre de l’histoire locale en relation avec les événements et les actes qu’ont connu le village et ses habitants lors de l’occupation allemande. La seconde problématique concerne la recherche d’une causalité qui a transformé un événement indiscutablement tragique en trauma collectif à la suite duquel se produisirent des ruptures du lien social actives jusqu’à nos jours. Dans la recherche de cette causalité concernant tant l’« amok meurtrier » que la transformation de cet « amok meurtrier » en trauma collectif, le fait qu’on ait affaire à une société en état de vendetta revêt une importance notable. Dans la société de vendetta, la dimension du temps est cruciale car la vendetta signifie des rapports de rivalité (ou d’alliance) entre groupes, qui, en se transmettant, impliquent les générations à venir.

L’argument central de cette recherche est que le « fait traumatique », défini comme tel par les habitants de Vorijia eux-mêmes, constitue le « symptôme » d’une « rencontre » traumatique. Il s’agit de la « rencontre » traumatique d’une structure sociale dont la vendetta constitue un élément central jusqu’à nos jours. Cette structure dont la vendetta fait partie se croise avec une conjoncture qui agit comme facteur extérieur, à savoir les événements qui se sont déroulés localement pendant la guerre sous l’occupation allemande. La peur qui envahit jusqu’à aujourd’hui les habitants de Vorijia est donc la peur de la « répétition du symptôme ». La perspective de la recherche est historico-anthropologique, en faisant appel à des concepts psychanalytiques freudiens et lacaniens. C’est ainsi que, hormis l’anthropologue, intervient également un psychanalyste sous la forme d’amples « commentaires-pensées » abordant cliniquement le phénomène du meurtre causé par la vengeance.

Il s’agit donc dans cet article des résultats d’une longue recherche de terrain, de nature anthropologique et commentée du point de vue de la psychanalyse, des effets anthropologiques-cliniques du traumatisme lié à l’acte de vengeance dans le cadre de la vendetta crétoise.

[1] A paraître sur le site de l’Association grecque d’ethnologie. Aris Tsantiropoulos est anthropologue, Emmanouil Konstantopoulos est psychanalyste et nous en propose un résumé (ndlr).